Dies academicus : la consécration du « rectorat fort » soumis aux intérêts privés

Le dies academicus est aujourd’hui l’occasion pour l’Université de Genève de mettre un point d’orgue aux festivités du soi-disant 450e anniversaire. Entre les petits fours et les accoutrements grotesques, on se congratule entre socialistes de droite – quand on a vendu l’uni au privé, on ne peut qu’admirer le camarade invité d’honneur qui dirige l’OMC – et on bavarde sur l’excellence. Et surtout, il importe que personne ne vienne troubler la vaste fumisterie publicitaire du rectorat. La dérive autoritaire mise en place avec la nouvelle loi sur l’université déploie à présent tous ses effets. Le rectorat n’a plus aucune vergogne et écarte de son chemin toute opposition. Alors qu’il ne se donne même plus la peine de procéder aux consultations (certes purement formelles) des membres de l’université, les 13’000 étudiantes [1] ne méritent pas à ses yeux une possibilité de s’exprimer lors du dies academicus comme il était d’usage les années précédentes. Comme quoi on peut très bien se gausser d’être l’héritier de quatre siècles et demi d’ouverture et d’excellence, et écarter du revers de la main une tradition qui pourrait déranger. Car on ne peut que louer la prudence du rectorat et de ses sbires du service de presse à cette occasion : l’attitude contraire les exposait au risque d’un éclairage sur la situation réelle des étudiantes, victimes des coupes financières brutales, d’un sous-encadrement chronique, de l’absence d’un système de bourses digne de ce nom, ou, en résumé, de la négligence des autorités universitaires. Mais avec une date tombant en plein milieu des examens pour cette auto-célébration évidemment passionnante, on pouvait déjà douter que la cérémonie s’adresse aux étudiantes, quand bien même elles y seraient les bienvenues. Tout n’est pas si « open » au pays de la formation néolibérale…

Cette exclusion des étudiantes du dies academicus est emblématique du refus de toute gestion démocratique de la part des autorités universitaires. L’organisation des élections à l’assemblée de l’université s’est faite en catimini et la participation y a été dérisoire. Il est vrai que toutes les conditions avaient été réunies pour cet échec programmé : durée d’ouverture du scrutin insuffisante, locaux de vote pas indiqués, et désintérêt total des étudiantes (et des autres) pour cette parodie de démocratie.

En revanche, on trouve sans problème les moyens nécessaires pour mettre sur pied une association d’anciennes étudiantes (alumni) aux ordres, et en faire la promotion acharnée. On peut même recycler à cette occasion un ancien président du conseil de l’université, qui peut continuer ainsi à obéir au rectorat avec la même servilité qu’auparavant, malgré la disparition de son poste. Dans le même temps, les activités indépendantes des associations d’étudiantes sont jugées non prioritaires par le rectorat, qui envisage tranquillement leur déclassement dans un pavillon préfabriqué où il pourra s’assurer qu’elles n’aient plus aucune visibilité. Et comme en plus ces associations avaient parfois l’audace de douter du génie du rectorat, on ne va pas pleurer sur leur sort : ce bâtiment, farci d’amiante selon les occupantes précédentes, leur conviendra très bien. Il est vrai que le logement ou les conditions de vie des personnes en formation ne sont que de moindre importance au regard du bénéfice publicitaire que retirera l’université en offrant à ses « alumnis » un rabais sur leur prochaine assurance complémentaire.

La récente nomination des membres du conseil d’orientation stratégique est emblématique de la nouvelle vision de l’université que partagent le Conseil d’État et le rectorat. Directrice de l’éducation à l’OCDE, organisation qui milite pour la privatisation de l’éducation et secrétaire général de la fédération des entreprises romandes : tout le gratin est au rendez-vous. Pour le reste, on oscille entre la recherche éhontée de couverture médiatique et le placard doré pour un ancien Conseiller d’État ou l’ex-président du feu conseil de l’université déjà cité. Mais de quelle compétence en matière académique peut bien se targuer, par exemple, le directeur de la TSR ? Pas de quoi donner le moindre crédit à cet organe consultatif qui ressemble plus à un rassemblement de lobbyistes néolibérales qu’à une institution universitaire, et dont on n’a par conséquent aucune peine à deviner quelle « stratégie » il proposera. Quant aux étudiantes et au personnel, qu’ils aillent se faire entendre ailleurs…

À peine entrée en vigueur, la nouvelle loi déploie pleinement ses effets : la rectature – pour reprendre l’expression d’un professeur honoraire – a mis au pas toute tentative d’opposition à l’intérieur de l’université et se distingue par sa soumission aux décideuses politiques ou économiques. On n’est toutefois pas dupes de cette mascarade, ni de l’indigence d’une direction de l’université qui se réduit à faire la promotion de ses salades, tentant à grand-peine de masquer une absence de contenu criante derrière les drapeaux roses du 450e.

[1] Les termes contenus au féminin se comprennent aussi au masculin