Pour prendre du recul…

Répression à l’université et autres histoires de transphobie

A partir du 29 avril 2022, une ample polémique [1] a agité l’université de Genève. En effet, une conférence d’abord et un séminaire public ensuite ont été empêchés. Et cela pour une simple et bonne raison : ces deux événements offraient une plateforme sans contradiction réellement possible à des auteur.e.s pour promouvoir leurs ouvrages et idéologies transphobes. Mais cette affaire a pris une autre tournure lorsqu’au lendemain du deuxième empêchement, le rectorat a annoncé par voie de presse qu’il s’apprêtait à porter plainte pénale contre X, c’est-à-dire contre les militant.e.x.s impliqué.e.x.s dont il ne connaissait pas l’identité. Cette affaire a été largement relayée par différents médias et a donc largement dépassé le cadre de l’université. Beaucoup d’informations, souvent contradictoires, ont circulé (et continuent de le faire) sur les deux événements et leur empêchement mais également sur la réaction des différents acteurs universitaires. Ce texte a vocation à réaffirmer le point de vue de la CUAE concernant la gestion des deux empêchements de conférences.
Depuis une dizaine de jours, on sait que le rectorat ne déposera pas plainte. En effet, suite à de longues discussions, il s’est résolu à “engager un dialogue”, dont le premier pas est une déclaration commune (rectorat et CUAE) qui “réaffirme les valeurs de l’institution” et dans lequel le rectorat s’engage à ne pas porter plainte. Ce texte sera également l’occasion de revenir sur ce que signifie cette déclaration pour la CUAE et la politique universitaire.


Un peu de contexte

Le 29 avril 2022, l’université de Genève avait loué une de ses salles pour que deux psychanalystes françaises (Céline Masson et Caroline Eliacheff) puissent présenter leur livre La fabrique de l’enfant-transgenre. Il n’y a pas besoin de s’aventurer très loin pour être convaincu.e.x que ce livre tient des propos et des thèses (ou plutôt des lubies) largement dégradantes à l’égard des personnes trans et tout particulièrement des mineur.e.x.s trans. Dans des situations telles que celle-là, on exige toujours des personnes opprimées de se justifier et de documenter de manière bétonnée leurs accusations de transphobie alors qu’on accorde un bénéfice du doute disproportionné aux personnes en face qui ne sont que très rarement inquiétées. Durant l’action, les militant.e.x.s n’ont pas “cédé aux injonctions au débat”[2], mais nous proposons ici quelques arguments qui attestent de la transphobie de Masson et Eliacheff. 
Les auteures de ce torchon réactionnaire ne s’arrêtent évidemment pas à considérer les enfants trans comme un objet dont l’existence n’est dictée que par un ordre social et culturel nouveau et dominant (laissez-nous rire), qui s’imposerait entre autres par les réseaux sociaux [3]. Elles assimilent également les transidentités et les transitions de genre à des “scandales sanitaires” [4]. En plus de s’opposer à toute forme de progressisme, ces deux auteures sont également connues pour être à l’origine et co-directrices de l’observatoire de la petite sirène, un groupuscule ultra-conservateur issu de la manif pour tous qui cherche notamment à entraver l’accès aux transitions pour les mineur.e.x.s trans [5]. Cet observatoire a été créé dans l’idée de s’opposer à l’autodétermination des mineur.e.x.s comme en témoigne sa charte fondatrice : “L’« autodétermination de l’enfant », argument renvoyé par une certaine militance poussant les enfants à changer de genre, est un concept que la pratique des cliniciens doit interroger sur un plan éthique.” [6]. Bref, Masson et Eliacheff sont toutes deux transphobes tout comme leur horrible ouvrage et il est dès lors nécessaire de les combattre. [7]
Un peu plus de deux semaines plus tard, le 17 mai 2022 (journée internationale de lutte contre les LGBTIQ+phobies, une coïncidence de date que le rectorat et le service égalité et diversité n’ont cessé de qualifier de “malheureux”), c’était une professeure du département de langue et littérature françaises modernes qui invitait Eric Marty pour un séminaire (public) au cours duquel il devait présenter son ouvrage paru en 2021 intitulé Le sexe des Modernes. C’est un livre qui, derrière une érudition caméléonesque et une prétention littéraire extravagante, cache une idéologie néfaste et meurtrière. En effet, Marty prétend, à l’aide de son livre, retracer une histoire de la pensée moderne en mobilisant de nombreu.se.x.s. auteur.e.x.s mais, en réalité, son livre sert plutôt à asseoir une idéologie, la sienne. Ainsi, il se donne comme ennemis les théories du genre (qui seraient idéologiquement hégémoniques…), les mouvements minoritaires ou encore Judith Butler [8]. Mais la revendiquée démarche scientifique et littéraire ne saurait cacher un manque de connaissances et sa volonté de remettre en cause les études sur le genre (ou gender studies).
Un des autres éléments troublants dans ce livre est sa volonté d’opposer deux blocs intellectuels (l’Europe et l’Amérique du Nord) qui seraient antagonistes. Selon cette idéologie, l’un devrait se défendre de l’influence de l’autre. Il est difficile ici de ne pas voir une inspiration huntigtonienne [9] d’un choc supposé entre plusieurs civilisations, idée qui a inspiré et inspire largement de nombreux courants d’extrême-droite.
Marty se distingue également par l’usage répété de faux-concepts qui ne renvoient à aucune réalité, si ce n’est celle qu’il invente. Il parle ainsi de “mouvance LGBT” ou de “discours LGBT” comme si ces concepts existaient vraiment (d’ailleurs il faut se méfier parce qu’ils sont violents…) et qu’ils étaient les forces qui structuraient le monde social. Lorsqu’on entend des discours aussi grossiers, force est de constater qu’il est difficile de les prendre au sérieux. Mais il est également difficile de les ignorer tant ils reprennent toutes les caractéristiques du discours réactionnaire omniprésent.
D’après ce que nous venons d’avancer, nous pouvons dire sans craindre de nous tromper que Marty et ses écrits sont réactionnaires. Mais si le séminaire n’a pas pu se tenir c’est parce qu’ils sont également virulemment transphobes. En effet, Marty soutient que l’existence de personnes trans constitue une violence pour les femmes cisgenres (à comprendre: les “vraies femmes”) ou encore que le “désir transsexuel” est une haine de soi en tant que sujet homosexuel qui refoule son homophobie. [10]
Pour plus d’informations : voir le formidable dossier sur la transphobie de Marty écrit par l’AEEG (Association des Étudiant.e.x.s en Études Genre) [11].

Les réacs, dehors!

Ces deux événements ont indéniablement des points en commun malgré les efforts que l’université a faits pour distinguer les deux cas. Comme nous l’avons brièvement expliqué plus haut, les ouvrages qui étaient censés être présentés développaient des thèses transphobes. Mais aussi bien Eric Marty que Caroline Eliacheff ou Céline Masson sont connu.e.s en tant que personnalités publiques pour les positions réactionnaires qu’il et elles défendent. Ces trois pseudo-intellectuel.le.s s’inscrivent dans un mouvement largement plus général de panique morale réactionnaire dont les défenseurs se sentent mis en danger par l’émergence de nouvelles formes d’expression, d’existence et par les revendications politiques des groupes opprimés.
Les deux livres qui ont provoqué la réaction des militant.e.x.s se distinguent par leur méconnaissance des sujets étudiés et surtout de leur totale méconnaissance du vécu des personnes trans. Il n’y a donc rien de réellement surprenant à les voir et à les entendre dire les pires aberrations et nier les vécus et les expériences trans. Ces deux conférences sont également une manière d’empêcher tout débat scientifique sérieux qui mobilise des arguments réellement fondés et des connaissances tirées des vécus des personnes trans ou des champs de recherche spécialisés en la matière. Pour des réactionnaires comme Masson, Eliacheff ou Marty, toute expertise sérieuse sur ces sujets est immédiatement discréditée parce qu’elle serait trop militante ou des effets de mode.
Ces deux événements auraient dû se tenir dans les murs de l’université. Mais tout ça n’a pas eu lieu puisque des militant.e.x.s se sont rendu.e.x.s dans les salles où étaient censées se tenir les conférences et ont exprimé leur colère quant au fait que des ouvrages aussi dégradants soient promus dans les murs de l’université et que leurs auteur.e.s usent de son image pour se parer d’une respectabilité des plus délétères. Pour cela, les militant.e.x.s ont occupé l’espace de leur présence et de leurs voix. 
La CUAE, n’ayant ni organisé, ni participé à, ni revendiqué ces actions, elle n’a pas les informations suffisantes pour décrire précisément le déroulement des événements. Cependant, une chose est sûre, le récit sur l’action du 17 mai que les principaux médias ont relayé (selon lequel les manifestant.e.x.s étaient violent.e.x.s et agressif.ve.x.s, voire hystériques) est tout à fait exagéré. Primo, il n’existe pas de version concordante. En effet, le communiqué de l’action du 17 mai paru sur renverse.co ne signale aucune velléité de violence de la part des manifestant.e.x.s, bien au contraire, mais celui-ci ne semble pas intéresser les journalistes réactionnaires qui cherchent à discréditer sommairement cette action. Deusio, l’accent est invariablement mis sur la violence (supposée) des manifestant.e.x.s et jamais sur celle des conférencièr.e.s ou du public, ni même sur l’immense violence systémique qui est pourtant le déclencheur de cette action. Tertio, il est affligeant de constater que cette instrumentalisation de la notion de violence ne sert finalement qu’à entraver la problématisation du problème dont il est ici question : le cissexisme [12], qu’il soit interne ou non à l’université.

Quand la plainte pénale vole au secours de la liberté académique

Le rectorat a annoncé qu’il allait porter plainte suite au deuxième empêchement, celui du séminaire de Marty le 17 mai. Sa réaction était ainsi beaucoup plus forte qu’après l’interruption de la conférence de Masson et Eliacheff le 29 avril. Précision importante : le séminaire de Marty était un séminaire public qui, de plus, ressemblait passablement à une conférence. En plus de la répétition (l’interruption du 17 mai était la deuxième en à peine plus de deux semaines), la différence de traitement entre les deux actions s’explique, selon le rectorat, parce qu’Eric Marty venait dans le cadre d’un séminaire donné par l’université, ce qui rend l’affront à la liberté académique d’autant plus grand. Masson et Eliacheff venaient quant à elles donner une conférence pour laquelle l’université prêtait ses locaux (et de ce fait aussi son image, malgré les tentatives de l’université de se dédouaner du contenu des conférences organisées par des tiers en son sein). Pour le rectorat, interrompre un cours, c’est s’attaquer au coeur des missions de l’université. Et ça le rectorat ne pourrait le tolérer, quel que soit le contexte, quelle que soit la situation.
Le rectorat se comporte comme si la notion de liberté académique était indiscutable, mais dans la pratique elle est constamment négociée quant à sa définition et son cadre d’application: qu’est-ce qu’un cours? Un savoir? Une expertise? Un débat? Toutes ces questions n’ont pas forcément de réponse toute faite. En somme, la liberté académique est tout sauf figée.
Le rectorat s’inquiète beaucoup du fait que la liberté académique était menacée et qu’il est important de la préserver. En tant que syndicat étudiant, nous abondons dans le sens de la deuxième partie de la phrase. En revanche, la première nous dégoûte lorsqu’elle est associée à de telles actions. Nous pensons en effet que laisser Marty s’exprimer sans contradiction sur des sujets tels que la transidentité est largement plus dangereux pour les sciences et principalement les sciences sociales [13] que les actions du 29 avril et du 17 mai. Dire qu’il ne sera bientôt possible de parler que des choses qui font consensus et qu’on va être contraint.e.x.s de s’auto-censurer est l’argument facile (et facilement démontable) pour voler au secours des réactionnaires. Et il a très souvent été utilisé, notamment par un certain recteur.

L’anti-wokisme, nouvelle mode de l’extrême droite

On ne peut démonter cet argument et plus globalement comprendre cette affaire sans prendre un peu de recul pour la replacer dans un contexte plus large de droitisation des débats et d’une vague anti-wokiste d’envergure.
Avant même que le rectorat annonce porter plainte et que cette affaire prenne une autre dimension, les journalistes réactionnaires se lâchaient déjà et sautaient sur l’occasion pour s’indigner devant les supposées censure et cancel culture. En gros, ils instrumentalisaient l’action du 29 avril pour justifier leur rengaine désormais bien connue : “On peut plus rien dire”, rengaine corroborée par nos têtes rectorales préférées. Or, les fachos ont tendance à avoir de plus en plus de tribunes pour déverser leurs idées haineuses, et non l’inverse.
Le 16 mai par exemple, une interview de Flückiger, le recteur de l’UNIGE est parue dans le Temps. [14] Deux journalistes s’inquiètent du fait que “l’Université de Genève est sous pression face aux revendications et actions militantes” et demandent à Flückiger ce qu’il en pense. Avec une complicité active, il rentre dans leur jeu et mélange tous les sujets (la volonté d’un espace de prière pour les personnes de confession musulmane, l’organisation d’une assemblée en mixité choisie sans mecs cis il y a plus d’un an ou l’empêchement d’une conférence transphobe) comme si c’était une seule et même question. A force d’user de raccourcis intellectuels et d’amalgames des plus grotesques, il est presque logique de l’entendre conclure que “la liberté d’expression est malmenée à l’université”, démontrant encore une fois qu’il ne saisit rien aux enjeux qui concernent “son” université.
Une fois que la deuxième conférence a été empêchée, le traitement médiatique a encore gagné en intensité et les journalistes réactionnaires s’en sont donné à coeur joie. Iels sont allé.e.s de généralités fallacieuses en considérations personnelles infondées, dans ce qui ressemblait plus à des règlements de compte personnels qu’à du journalisme [15].
Flückiger a également dit dans une interview accordée à la Tribune de Genève que “[l]es personnes qui craignent les livres n’ont jamais été du bon côté de l’histoire. Nous avons besoin d’approches critiques, de dialogue. Pas d’autodafés.” [16] Ainsi, il y a un retournement de sens extrêmement grave où les manifestant.e.x.s (et la CUAE) sont assimilé.e.x.s aux “fascistes des années 20 et 30”. [17] En plus d’être une attaque ad hominem honteuse, elle s’inscrit dans une stratégie rhétorique bien connue de l’extrême droite qui consiste à faire passer les antifascistes pour les vrais fascistes, les antiracistes pour les vrais racistes, etc. Et au final, ce discours est utilisé pour redéfinir les frontières du politiquement acceptable afin de pouvoir défendre des positions politiques foncièrement racistes, autoritaires, transphobes, fascistes, etc. Et il est absolument terrifiant de voir le recteur de l’université de Genève participer activement à une droitisation des discours aussi agressive et décomplexée.
Droitisation à laquelle Eric Marty n’a pas oublié de rajouter son grain de sel (au lieu de se faire tout petit) en répondant dans un journal d’extrême droite romand nouvellement créé [18]. En plus d’exposer son arrogance et sa condescendance, il prouve haut et fort (en ne se basant sur aucun argument excepté son intolérance) sa transphobie et son mépris de tout mouvement social qui pourrait remettre en question sa place privilégiée dans la structure sociale.
Mais les médias ne sont pas les seuls à s’être saisis du sujet puisque les politiques y ont également perçu une bonne occasion de se faire de la pub. Le PLR genevois a par exemple publié un communiqué de presse en soutien à l’université dès le 18 mai soit le lendemain du séminaire empêché [19]. Mais évidemment, il ne s’est pas contenté de ça et a multiplié les communications comme si c’était devenu le sujet d’actualité prioritaire numéro 1. Ainsi, le PLR, dans son journal [20], désignait son nouvel ennemi : le wokisme qui “s’étend à Genève”. Et s’effrayait de l’avancée de la cancel culture, même à l’université de Genève, qui devrait être un bastion protégé de ces bassesses militantes. Notons quand même que c’est un des quatre sujets traités dans ce numéro. On voit ici les priorités des partis bourgeois. Sans parler du ton alarmiste qu’ils emploient pour décrire le nouveau fléau sociétal auquel on est confronté.Les personnalités politiques en profitaient aussi pour glisser leur petite analyse personnelle sur le sujet puisque tout le monde était sommé de s’opposer à cette action au risque de paraître comme trop extrême ou à l’encontre de principes tels que la liberté. Par exemple, Alexandre de Senarclens, député PLR genevois, s’insurge dans une opinion publiée dans la TdG [21] contre des élu.e.x.s vert.e.x.s qui ont osé ne pas discréditer les wokistes empêcheureuses de conférence. Il affirme que les Vert.e.s sont opposé.e.x.s à la liberté et au dialogue et qu’iels nourrissent “un discours qui verse dans le discours communautariste”. Mais il n’y a pas que les partis ou membres de partis de droite dure ou d’extrême droite qui ont été incendiaires face à ces actions. En effet, Anne Emery-Torracinta, pourtant au PS, parti centriste, se fendait elle aussi d’une opinion dans la TdG [22] où elle affirmait qu’il fallait “dénoncer avec force de tels comportements”. Traduction : elle demandait publiquement au rectorat de porter plainte. En plus de témoigner de l’incroyable ampleur qu’a pris cette affaire, ces deux opinions témoignent d’une évidente droitisation du débat politique. Ils montrent entre autres que des discours haineux et leur relai par les médias réactionnaires ont des effets concrets extrêmement forts.

Ça pue la répression

Même si aujourd’hui, nous avons la confirmation que le rectorat ne portera pas plainte, il n’en reste pas moins que pendant de longues semaines, celle-ci était brandie comme une menace constante qui avait entre autres pour but d’intimider. Les deux chefs d’accusation dont il était question sont la contrainte et la violation de domicile. L’intimidation utilisée par le rectorat via l’annonce de sa volonté de porter plainte pénale contre inconnu.e.x s’inscrit évidemment dans cette stratégie d’esquive des questions de fond. 
Le rectorat nous disait qu’une enquête de police permettrait de mieux comprendre ce qui s’était passé dans ces salles d’uni Bastions le 29 avril et le 17 mai. Mais nous ne sommes pas dupes, sa véritable intention était de marquer le coup et son territoire. La plainte n’aurait pas seulement servi de punition aux manifestant.e.x.s présent.e.x.s le 17 mai mais également d’avertissement à tou.te.x.s les étudiant.e.x.s qui apportent des revendications combatives au sein de l’université. En creux, il nous dit : “L’université c’est chez nous (cf. violation de domicile) et désormais vous êtes prévenu.e.x.s, si vous cherchez à vous approprier l’université (qui ne vous appartient donc pas), vous devrez en subir les conséquences.”
Finalement, le rectorat cherchait à minimiser les conséquences d’une plainte pénale. Une plainte implique une enquête menée par la police qui n’hésiterait pas à utiliser ses méthodes habituelles : chantage, intimidations brutales, espionnage, fichage généralisé, etc. En plus d’être confronté.e.x.s à la police, les militant.e.x.s auraient pu être exposé.e.x.s au système judiciaire, avec les coûts pécuniaires, psychologiques et sociaux que cela implique. Coûts d’autant plus importants que les personnes trans et les militant.e.x.s sont des populations particulièrement vulnérables à ces institutions répressives.
En plus de cela, la menace du conseil de discipline (organe de répression et de sanction interne à l’université) pouvant prononcer jusqu’à l’exclusion des potentiel.le.x.s étudiant.e.x.s planait toujours au-dessus de (et dans) la tête de tout le monde, bien qu’évoquée seulement à de rares reprises puisqu’il n’y avait pas la certitude (malgré la mauvaise foi dont découlait ce doute) de la part du rectorat que des étudiant.e.x.s soient impliqué.e.x.s (et/ou reconnaissables). Il va sans dire que la CUAE trouve extrêmement choquant que ce soit une option réellement envisageable dans la tête du rectorat pour contrecarrer l’expression de revendications de la part du corps étudiant.
D’autant plus que ces menaces dépassent largement le cadre de ces deux empêchements et des personnes impliquées et sont des menaces dissuasives pour les luttes à venir. Les conséquences sont donc aussi énormes à long-terme. En somme, la répression du rectorat est éminemment politique et la manière de lui répondre ne pourra être que tout aussi politique.

Conclusion: la suite au prochain numéro


Au final, pour tous les réactionnaires qui espéraient et qui sommaient l’université de répondre par la répressive, cette affaire a accouché d’une souris puisque le rectorat a finalement décidé de ne pas porter plainte. Il a préféré publier un communiqué conjoint avec la CUAE pour réaffirmer les valeurs de l’université. 
Ce communiqué affirme que le rectorat ne portera pas plainte afin de privilégier un dialogue. Il a l’ambition de se tourner vers l’avenir et d’utiliser l’empêchement du 17 mai comme un élément révélateur d’un problème plus enraciné. Ainsi, il affirme s’inquiéter du traitement des personnes trans et un peu plus généralement des populations marginalisées. Pour cela, comme d’habitude, tout passera uniquement par le “dialogue”.
Pourtant, l’annonce d’une plainte pénale était une fois de plus une preuve de son incapacité à intégrer les revendications et les besoins exprimés. En effet, il semble superflu de devoir le dire, mais cette menace brandie coupait court à toute intervention de la part des manifestant.e.x.s qui risquaient des conséquences pénales en se montrant (déjà qu’en se cachant iels les risquent). Cela a donc comme conséquence directe d’empêcher la possibilité même d’avoir une discussion avec ces personnes concernées, que le rectorat semblait souhaiter.
Pour mener ce dialogue de manière efficace, l’université se targue d’avoir un service qui existe déjà et qui fait du “super boulot” : le service égalité et diversité. Mais quand on se penche d’un peu plus près sur ce que fait véritablement ce service, il est difficile de ne pas y voir du pinkwashing bien rôdé. En effet, lorsqu’il défend son bilan, il évoque les “magnifiques prix genre” que son service distribue ou les stands qu’il tient lors de journées symboliques (le 17 mai par exemple, jour où Marty venait déverser sa haine sans que ça le dérange).
Bref, bien que l’université affirme son prétendu engagement pour lutter contre les violences systémiques et les inégalités structurelles, il n’y a pas l’amorce d’une remise en question de son fonctionnement institutionnel, pourtant source de tellement de problèmes. Et ce n’est pas surprenant puisque l’université est parfaitement dans son rôle de préservation de ses intérêts en tant qu’institution. 
Ce serait une erreur stratégique fatale et une énorme perte de temps que de demander à l’institution (au cours du dialogue qu’elle recherche tant) de remettre en question de fond en comble le fonctionnement de l’alma mater pour une simple et bonne raison : elle ne le fera pas d’elle-même. Et si nous voulons vraiment changer les choses, ça ne se fera pas au cours d’un dialogue avec les instances directrices qui ne peut que mener dans une impasse s’il n’est pas accompagné d’une mobilisation collective et combative. En effet, leurs intérêts et les nôtres sont divergents et le rapport de force ne peut être qu’à l’avantage du rectorat et donc, avec une telle stratégie, les avancées ne seront que minimes. Malgré le tournant répressif opéré par l’université et parce que les dysfonctionnements sont plus profonds que ce que le rectorat veut bien admettre, il faudra adopter d’autres stratégies : plus revendicatives et collectives.

[1] Qualifier cette affaire de polémique n’a absolument pas pour but de minimiser ou d’occulter les impacts très importants, graves et concrets qu’aurait pu avoir une plainte pénale sur les personnes concernées mais également sur la politique contestataire à l’université dans les prochaines années. Bien au contraire, l’utilisation de ce terme cherche à montrer l’incroyable disproportion et l’acharnement qu’on a pu observer ces dernières semaines contre les militant.e.x.s de la part de certains médias, des instances universitaires et de certains acteurs politiques.
[2] https://renverse.co/infos-locales/article/conference-transphobe-a-l-uni-bastions-3528
[3] https://www.observatoirepetitesirene.org/quisommesnous
[4] Il faut pas chercher très loin. C’est sur la couverture de leur foutu bouquin
[5] https://www.observatoirepetitesirene.org/
[6] https://www.observatoirepetitesirene.org/quisommesnous
[7] Pour plus d’informations : article de mediapart Mineurs trans : des groupuscules conservateurs passent à l’offensive comme référence ; https://www.mediapart.fr/journal/france/170522/mineurs-trans-des-groupuscules-conservateurs-passent-l-offensive
[8] Judith Butler est une philosophe étasunienne qui travaille sur le genre et la théorie queer.
[9] Samuel Hungtington a fait carrière dans la science politique et est notamment connu pour son livre Le Choc des civilisations où il conçoit le monde comme fragmenté entre plusieurs civilisations irréconciliables. L’occident est vu par Huntington comme assiégé par des civilisations qui lui sont hostiles.
[10] Marty, Le Sexe des Modernes, p. 493, cité dans le blog de Mediapart, https://blogs.mediapart.fr/antoineidier/blog/170522/propos-du-sexe-des-modernes-et-d-un-probleme-plus-general-la-critique-de-gauche
[11] https://cuae.ch/quelques-ressources/
[12] Cissexisme: système de domination qui soutient que les personnes cisgenres sont plus naturelles et légitimes que les personnes trans. Nous préférons le terme “cissexiste” au terme “transphobe” car il illustre le fait que ce sont des oppressions systémiques et non individuelles et psychologiques, comme pourrait le sous-entendre le suffixe “-phobe”.
[13] Eric Marty utilise sa notoriété d’ancien professeur universitaire prestigieux pour parer ses travaux du sceau scientifique. Ainsi, il ne se fatigue pas à faire des recherches en mobilisant des sources scientifiques tirées des études spécialisées et par la même nuit à la qualité de la discussion scientifique. Par exemple, il ne mobilise pas le corpus des études trans (pourtant fourni et de qualité). Cela participe également à relativiser l’importance de ces travaux qui sont de meilleure qualité et plus respectueux des méthodes scientifiques.
[14] https://www.letemps.ch/suisse/yves-fluckiger-liberte-dexpression-malmenee-luniversite
[15] https://www.letemps.ch/suisse/geneve-pente-glissante-empruntee-syndicat-etudiants
[16] https://www.tdg.ch/je-crains-une-forme-dautocensure-626812446861
[17] https://www.watson.ch/fr/suisse/lgbtqia%2b/353800979-l-uni-de-geneve-la-liberte-attaquee-par-des-activistes-lgbtiq
[18] https://www.lepeuple.ch/le-prof-attaque-a-geneve-regle-ses-comptes/
[19] https://www.plr-ge.ch/actualites/communiques-de-presse/communiques-de-presse-details/news/soutien-a-luniversite-de-geneve-61448
[20] https://www.plr-ge.ch/actualites/le-nouveau-genevois/communiques-de-presse-details/news/nos-deputes-en-action-62070
[21] https://www.tdg.ch/derives-ideologiques-des-verts-780844734143
[22] https://www.tdg.ch/luniversite-ni-temple-ni-forum-ni-arene-263752509713