UNIGE complice – rien ne change

Ce texte a été écrit lors de l’été 2024.

À l’arrivée du nouveau rectorat, Leuba et sa team nous ont dit qu’un de leur but était de mettre en avant le « vivre-ensemble ». Or, il n’a même pas fallu attendre deux mois pour se rendre compte que cette rhétorique du vivre-ensemble n’était qu’une façade pour mieux faire passer la répression, la condescendance et la complicité de l’UNIGE. En réalité, le nouveau rectorat est tout aussi condescendant et néolibéral que le dernier (si ce n’est encore plus).

Un des exemples les plus édifiants de tout cela a été l’occupation pour la Palestine qui a eu lieu en printemps 2024.


1)    Petit rappel des faits

Vous l’avez sûrement vu passer, le hall d’UniMail a été occupé ce printemps en solidarité avec le peuple palestinien. Pendant une semaine, des centaines d’étudiant.e.x.s se sont nourri.e.x.s dans le hall, y ont dormi, s’y sont formé.e.x.s et y ont manifesté l’obtention de leurs revendications. Les étudiant.e.x.s étaient soutenu.e.x.s par des assistant.e.x.s (lien lettre assistant.e.x.s), des professeur.e.x.s (lien pétition) et par des personnes issues de la société civile qui ont apporté leur soutien aux occupant.e.x.s en venant sur place, apportant de la nourriture et du matériel, etc. Ce mouvement de contestation était adressé à l’université de Genève (et plus précisément au rectorat, et encore plus précisément à la rectrice). Les étudiant.e.x.s occupaient car iels voulaient que l’université se positionne clairement face au génocide[1] en cours à Gaza. Les revendications étaient très claires : appeler à un cessez-le-feu, dénoncer le génocide, arrêter toute collaboration avec l’État d’Israël et ses universités, accueillir proactivement des palestinien.ne.x.s à l’UNIGE et la transparence des accords entre l’UNIGE et les universités israëliennes[2]. Iels ont ensuite rédigé un rapport expliquant les liens concrets entre l’UNIGE et les universités israéliennes[3].

Si une minorité de ces revendications ont été « entendues », comme la transparence entre l’UNIGE et les université israéliennes ainsi que l’accueil (pas proactif) des gazaouis (et pas des palestinien.ne.x.s) via une structure existant déjà à l’université, leur majorité reste ignorée pour le rectorat. En effet, il estime impossible d’appeler directement à un cessez-le-feu et refuse de stopper toute collaboration avec les universités israéliennes. Au contraire, l’université “soutient les appels des organisations internationales humanitaires tendant à la libération des otages et à un cessez-le-feu afin d’éviter une catastrophe humanitaire” et “[s’]engag[e] sur la voie d’une réflexion sur le rôle des universités dans le débat public notamment en cas de conflits armés” dans sa prise de position concernant la “guerre Israël-Hamas” du 20 mai 2024[4]. Il est d’abord entièrement faux de qualifier de guerre ce qu’il se passe à Gaza depuis le 8 octobre et ce qu’il se passe en Palestine depuis plus de 75 ans (ne serait-ce qu’au regard du droit international). De plus, on voit très clairement que l’université ne veut pas se positionner et utilise des jolis mots et des tournures de phrases alambiquées pour éviter de dire tout simplement : l’université ne se positionnera pas et ce malgré la demande de notre communauté. De plus, les revendications « entendues » ne le sont qu’en surface. En effet, rien n’a encore été mis en place pour réellement accueillir pro-activement des gazaouis.

Dans ce texte, nous allons voir comment et pourquoi l’UNIGE est complice des crimes de guerre de l’état d’Israël mais aussi comment elle a fait pour éteindre de son mieux un mouvement de contestation au sein de ces murs. 

Ici, nous ne reviendrons pas sur les différentes avancées depuis la fin du semestre de printemps 2024.


2)    « Collaborer » ou comment tenter d’éteindre la contestation

Un jour après le début de l’occupation, une petite délégation des occupant.e.x.s ont pu rencontrer en huis clos le vice-recteur Édouard Gentaz ainsi que Fréderic Esposito, responsable du bachelor en relations internationales. Les occupant.e.x.s voulaient pouvoir discuter directement de la mise en place des revendications ainsi que de la forme des négociations. 

Dès leur arrivée à la réunion, la couleur était annoncée : il n’y aurait pas de négociation avec le rectorat. Plutôt, cette même délégation allait rejoindre – à titre provisoire et conditionné – un “comité scientifique”. La participation au comité scientifique allait servir de substitut à la négociation.

Pour revenir au comité scientifique, le rectorat avait (habilement) annoncé un jour avant l’occupation la mise en place d’un “comité scientifique” ayant pour but de réfléchir à la place de l’université dans le débat public, notamment en lien avec la situation à Gaza et “de permettre et d’éclairer les débats par une approche scientifique, en partageant leur exp ertise juridique, politique, historique ou sociologique”. On aurait difficilement réussi à faire plus flou comme but. 

Il y a plusieurs choses à dire concernant ce comité. Tout d’abord, du point de vue purement formel, il est étonnant que le rectorat se permette de créer un comité[5] sans passer par aucune des instances “démocratiques”[6] alors que cela est la procédure usuelle. Sachant que le génocide avait commencé 7 mois auparavant et que l’université a historiquement toujours dû se positionner politiquement, la création de ce comité semblait avoir pour unique but de montrer que l’université faisait quelque chose alors même que la contestation des étudiant.e.x.s était en train de monter dans toute la Suisse et plus largement dans le monde entier.

Autre point formel étonnant, l’appellation “scientifique”. On pourrait questionner (et on va le faire à la fin de cet article[7]) ce qu’est la science et à quel point elle est grandement influencé par la pensée des dominants, mais il est tout bonnement lunaire d’estimer que quelques personnes choisies par cooptation – personnes dans lesquelles figurent notamment l’ancienne conseillère fédérale Ruth Dreifuss, des étudiant.e.x.s suivant les cours du président du comité ainsi que la doyenne de la faculté des Lettres – puissent se targuer de l’appellation “scientifique” concernant les prises de position politique de l’université. Il nous semble plutôt que l’appellation “scientifique” serve ici d’argument de légitimation aux prises de position du rectorat. 

Mais alors, pourquoi ce comité existe ? Étant donné que toutes les “décisions” du comité doivent passer par le rectorat selon ce dernier (c’est entièrement faux[8]) et qu’un vice-recteur siège au sein du comité, ce dernier n’est absolument pas neutre et est entièrement dépendant de la volonté du rectorat. Si le comité disait “nous condamnons le génocide à Gaza”, le rectorat pourrait tout à fait refuser que cela soit la prise de position officielle de l’université et dire autre chose. Cela permet aussi au rectorat d’éviter de dialoguer directement avec les personnes qui contestent sa politique. En effet, alors même que les occupant.e.x.s voulaient rencontrer dès le premier jour la rectrice Audrey Leuba, cette dernière refusait de les rencontrer car, selon elle, les occupant.e.x.s négociait déjà avec le comité scientifique. Cela permettait au rectorat de dire publiquement qu’il débattait avec les occupant.e.x.s, alors qu’en réalité, il refusait toute discussion de fond avec ces dernier.ère.x.s. Ce comité sert donc uniquement au rectorat à se laver les mains et à ne pas prendre ses responsabilités politiques tout en disant que ces mêmes responsabilités ne sont pas politiques mais « scientifiques ». Cette tentative de dépolitisation du politique, présente à toutes les sphères de la société, permet de lisser des décisions anti-démocratiques et oppressantes. En disant qu’un comité « neutre » a pris une décision, le rectorat n’adresse pas l’aspect politique de la décision d’une part et la légitime – de par sa neutralité – de l’autre.

En plus de tout cela, le comité permettait surtout au rectorat de maîtriser le mouvement. Comme dit plus haut, le rectorat avait conditionné la participation des occupant.e.x.s aux « négociations » à certaines conditions. À l’origine, le rectorat conditionnait la participation au comité scientifique à la levée de l’occupation de nuit. Cela revenait en somme à tuer quasiment tout dérangement que l’occupation apportait à l’université. L’occupation comme forme de contestation n’est pas un choix anodin, elle permet de déranger l’espace occupé et donc de montrer physiquement et matériellement un mécontentement. Arrêter l’occupation de nuit revenait à réduire l’occupation à une simple manifestation journalière, chose qui enlevait beaucoup de son sens à cette dernière, d’autant plus qu’elle n’empêchait ni la tenue des cours[9] ni la tenue des activités économiques à l’UNIGE[10].

Heureusement, les occupant.e.x.s ont réussi à s’extirper de ce conditionnement dans un premier temps et à accéder au comité scientifique tout en tenant l’occupation de nuit. Néanmoins, iels n’avait toujours pas accès à une négociation directe avec le rectorat.

Après deux réunions avec le comité scientifique qui ont résulté en quelques promesses en l’air et à un soutien aux appels au cessez-le-feu, les étudiant.e.x.s ont encore une fois refusé de lever l’occupation de nuit après 5 jours d’occupation. Cela a résulté à leur exclusion du comité scientifique et à une diabolisation du mouvement de la part du rectorat. En effet, selon la rectrice, les occupant.e.xs ont à ce moment-là « brisé le dialogue »[11]. En réalité, c’est bien le rectorat qui a brisé le dialogue. Pour être même plus précis.e.x.s, le rectorat n’a même initié aucun dialogue. Au contraire, il a refusé tout dialogue et après 5 jours d’occupation il a activement commencé à tuer le mouvement matériellement et médiatiquement.

En plus de tuer le mouvement, le rectorat a aussi essayé de le calmer en adoptant une attitude infantilisante et nonchalante avec les étudiant.e.x.s participant à l’occupation. Ce dernier a multiplié les interactions informelles tout au long de l’occupation alors que les membres de la CEP avaient exigé un cadre clair de négociation, et ce depuis le début de l’occupation. La venue répétée des membres du rectorat et de leurs sbires collaborateur.ice.x.s avaient pour but de convaincre les étudiant.e.x.s (et ce explicitement) que ces négociations n’étaient pas politiques. Cette personnification et pseudo-humanisation des enjeux politiques invisibilise les dynamiques de pouvoir entre les parties au profit de supposées discussions entre « humains ». Les dominants ne sont considérés plus des vice-recteurs, secrétaires généraux ou directeurs de programmes d’études mais des humains (avec un petit cœur qui bat). Cette stratégie désamorce, lisse et évite d’entrer en conflictualité. La politique laisse place à l’émotion, ce qui rend très compliqué les négociations de fond et délégitime les personnes cherchant à obtenir certaines revendications (ici les étudiant.e.x.s).


 

3) Lisser et infantiliser, ou comment éteindre la contestation

Après avoir définitivement écarté les étudiant.e.x.s de toute négociation, le rectorat a commencé à affaiblir le mouvement à petit feu en prenant des décisions remettant en question le fait que l’université soit un lieu public et en diabolisant explicitement l’occupation via des unilistes[12].

Le soir même de l’exclusion des occupant.e.x.s du comité scientifique, le rectorat a décidé de fermer tous ses bâtiments au public pour des raisons “sécuritaires”. Cette affirmation était choquante pour deux raisons : elle faisait croire que le mouvement était dangereux d’une part et que ce n’était pas le rôle de l’université de maintenir le droit de manifester de sa communauté de l’autre. Or, la CEP a été, tout au long de l’occupation, un mouvement inclusif et pacifique. De plus, c’est le rôle de l’uni de garantir le droit de manifester et non l’inverse. Dire que l’uni doit être fermée “à cause des occupant.e.x.s” n’est qu’une énième volonté d’étouffer un mouvement contestataire. 


Afin de déloger des étudiant.e.x.s, le rectorat a finalement choisi de porter plainte. Il aurait évidemment pu agir autrement. Tout d’abord, il aurait évidemment pu accepter les revendications du mouvement en raison de leur pertinence. Ensuite, il n’était absolument pas nécessaire de porter plainte pour faire partir les manifestant.e.x.s. En effet, le rectorat aurait pu emprunter la voie civile, ce qui aurait évité l’envoi au poste de police de près de 50 personnes. Les occupant.e.x.s avaient annoncé.e.x.s dès le départ qu’en cas d’arrivée de la police iels partiraient directement et sans violence. La “stratégie des menottes” était claire : intimider tout un mouvement. En effet les occupant.e.x.s de l’UNIGE ont été arrêtéexs pour des raisons politiques. Le rectorat a refusé le dialogue. Étant donné qu’il n’a pas voulu répondre aux revendications politiques du mouvement, il a préféré faire usage de la force physique. 


Nous voyons là une violation claire du droit de manifester, droit qui inclut notamment de manifester là où se trouvent les personnes et le fait de pouvoir “déranger”. En accusant le mouvement d’une instrumentalisation du mouvement par des groupes ayant un autre agenda[uniliste du 13 mai] et en proposant une cellule psychologique car la manifestation aurait créé un « malaise » [uniliste du 14 mai] auprès de la communauté universitaire, le rectorat infantilise les étudiant.e.x.s qui demandent l’acceptation de revendications claires. Ironiquement, le rectorat n’a ni “mis en place”[uniliste mardi 14 mai] cette cellule psychologique (qui existe depuis des années) ni averti les collaborateurice.x.s de la cellule psychologique de leur potentielle nouvelle charge de travail, ni osé avouer que le dit “malaise”[uniliste mardi 14 mai] a été produit par la répression exercée par le rectorat envers des membres de sa propre communauté. 

Les revendications de la CEP, qui demandent simplement à l’université de se positionner face à un génocide et d’agir en conséquence, soit en arrêtant les partenariats UNIGE- universités israéliennes, n’ont rien d’heurtant ni de radical. Elles sont dans la lignée claire de ce que revendique la CEP depuis le début – une condamnation claire de l’irrespect du droit international humanitaire et un appel à la paix.


Nous voyons donc dans les méthodes d’intimidation du rectorat trois choses : une répression du droit de manifester, une volonté de ne pas répondre aux revendications de la CEP et une privatisation inquiétante de l’université (en faisant usage de sécus afin de contrôler les identités et en fermant l’université à touxtes). 


Notre rectorat nous a donc envoyé un message politique fort : face au droit de manifester, d’autant plus pacifique, de personnes de la communauté choquées par un génocide, on ferme l’uni, on envoie la police et finalement on fait taire un mouvement de contestation.


Cette stratégie s’inscrit très directement dans tout ce que nous savons du nouveau rectorat : privilégier “l’employabilité” – soit la disciplinarisation au salariat – à la réflexion, des fausses mesures au vrai dialogue et la néolibéralisation de l’université à la création de savoir pour touxtes.


Tout au long de cette séquence politique, alors même que le rectorat empêchait tout dialogue avec le mouvement de la CEP-UNIGE, la rectrice n’a eu de cesse de délivrer nombre d’éléments de discours – notamment à travers l’envoi de mails uniliste et d’apparitions médiatiques – infantilisant le mouvement et justifiant la répression menée à son encontre. Elle a pu ainsi faire usage d’une rhétorique sécuritaire afin de contrôler les identités des personnes entrant dans les bâtiments par des sécus et afin d’envoyer les flics.


4) Mais pourquoi éteindre la contestation ?

Officiellement, l’UNIGE a « dû » arrêter l’occupation car cette dernière aurait supposément « échapp[er] au collectif » [uniliste du 14 mai]. Les occupant.e.x.s seraient en réalité des « personnes extérieures à l’Université », se feraient influencer par des groupes politiques, seraient un danger pour la sécurité et ne retireraient pas une banderole « polémique ». On ne reviendra pas trop ici sur le pourquoi du comment ces allégations sont entièrement fausses, la CEP l’a très bien fait dans plusieurs de ses posts insta[13] et communiquésmais il faut retenir une chose : elles sont toutes fausses et détournent la réalité. Par exemple, alors même que le rectorat et les étudiant.e.x.s avaient trouvé un accord concernant la banderole « polémique » (les étudiant.e.x.s pouvaient la laisser mais mettaient une explication sur les réseaux sociaux et à côté de la banderole), le rectorat a finalement retourné sa veste et exigé qu’elle soit enlevée.

Bref, les réactions irrespectueuses et infantilisantes du rectorat témoignaient d’une chose : sa peur. Sa peur que sa complicité à un génocide soit mise en avant et sa peur que sa collaboration avec des universités travaillant activement pour ce génocide soit aussi mise en avant.

Aujourd’hui l’UNIGE collabore avec trois universités israéliennes qui soutiennent toutes le gouvernement israélien et son armée dans leurs actions. Ces collaborations ne sont scientifiquement et monétairement pas importantes pour l’UNIGE, qui n’a donc visiblement pas d’autres raisons que celles politiques de les continuer. Par exemple, l’université hébraïque de Jérusalem a un partenariat très spécial[14] avec l’UNIGE alors même que leurs échanges académiques sont rares.

Avec ces collaborations, l’UNIGE légitime politiquement et académiquement ses universités alors même que ces dernières participent activement au massacre de l’État israélien, qui a fait dans les premiers 9 mois du génocide plus de 186’000 en bande de Gaza[15].

L’UNIGE se cache derrière un neutralité et un comité « scientifique » pour éviter de montrer au grand jour qu’elle soutient et légitime des institutions travaillant main dans la main avec un état génocidaire.


5) Neutralité ?[16]

La scientificité́ construite des savoirs va souvent de pair avec un apolitisme revendiqué. Ce dernier joue en réalité́ un rôle idéologique. Comme mentionné plus haut, il sert à cacher les rapports de domination et à définir comme «objectivement vrais» les savoirs des dominants. A l’université́, ça permet de cacher que ce sont toujours les mêmes qui les produisent et les diffusent. On nous fait constamment oublier que tout savoir est construit, en premier lieu dans une salle de cours, et qu’on pourrait être partie prenante de leur production et de leur diffusion. En bref, que ces connaissances pourraient être les nôtres.

Mais cette association entre science et apolitisme n’est bien entendu pas naturelle. Bien que toujours minoritaires, de plus en plus de chercheur.euse.x.s produisent du savoir « militant », c’est-à-dire avec un parti pris en faveur des dominé.e.x.s assumé ouvertement. D’autres font un pas supplémentaire et produisent du savoir par et pour les luttes sociales, à l’image du récent site Internet ENQUETECRITIQUE.ORG.

Au niveau institutionnel, on nous brandit sans cesse un apolitisme qui nie le caractère hiérarchique de l’université́. Par exemple, depuis des années, l’UNIGE refuse d’envoyer les unilistes de la part de la CUAE lorsqu’elles sont jugées « à caractère politique ». Pas de politique à l’université́, nous dit-on donc.

Doit-on rappeler que le buste de Carl Vogt, une figure du racisme scientifique, est toujours censé revenir trôner fièrement devant Uni-Bastions à la fin des travaux malgré des demandes répétées de plusieurs collectifs de le retirer? Comment l’université peut-elle se prétendre neutre lorsque qu’elle fait le choix réfléchi d’accorder une place si valorisante à un racialiste ? En 2015, l’UNIGE a d’ailleurs également baptisé le plus récent de ses bâtiments en l’honneur de Carl Vogt. Après de nombreuses contestations étudiantes, elle l’a finalement dépabtisé (même si le bâtiment n’est toujours pas renommé). Souvent, lorsque des critiques s’élèvent contre la valorisation de personnages racistes dans l’espace public, les réacs répondent que de toute façon, on ne peut plus rien dire et qu’il est quand même bien dommage de juger le passé avec les critères du présent. Mais ce genre de réaction illustre, une fois de plus, que ces personnes considèrent leur vision de l’histoire, leur lecture des rapports sociaux comme la norme, figée dans le temps et immuable. Et que toute tentative de renverser cette norme est une censure, une lubie politique. Plus généralement, le monde académique se réfugie derrière une infrastructure stable pour garantir les intérêts des dominants. Il possède une panoplie d’outils pour éviter une remise en cause trop radicale en son sein, comme l’a très bien démontré le comité scientifique en considérant qu’un appel au cessez-le-feu à Gaza était trop radical.

La tentative des dominants de faire passer leur politique pour de la neutralité́ et notre politique comme une agression est un stratagème pour nous réduire au silence. Mais dans un monde traversé par des rapports de domination, voulons-nous vraiment rester «objecti.f.ve.x.s» et «neutres» face à des relations qui engendrent de l’oppression ? L’idéal d’objectivité́ voudrait qu’on traite sur un pied d’égalité́ toutes les opinions de manière à faire entendre toutes les voix. Mais traiter indifféremment les dominants et les opprimé.e.x.s est au mieux un désintérêt pour l’émancipation des second.e.x.s, et au pire une excuse pour dissimuler un soutien aux premiers.


7) La suite ?

En refusant de prendre position et en continuant de collaborer avec des états impérialistes et coloniaux au nom d’un soi-disant apolitisme et d’une soi-disant nécessité de rigueur et de liberté académique, l’université est complice. De plus, l’uni instrumentalise les positionnements politiques des étudiant.e.x.s occupant.e.x.s comme des pseudos-agressions. Comme l’a dit Adèle Haenel, « dépolitiser le réel, c’est le repolitiser au profit de l’oppresseur », et c’est bien ça que font les dominants (comprendre ici : le rectorat) en faisant passer leur politique pour de la neutralité et notre politique comme une agression. 

Aujourd’hui plus que jamais, il faut continuer de se mobiliser autour de la question palestinienne et ne pas baisser les bras face aux attaques du rectorat. En effet, l’université ne doit pas être un lieu de légitimation d’états génocidaires au nom d’une pseudo-neutralité. Au contraire, elle se doit d’être un lieu d’apprentissage critique. Les étudiant.e.x.s ont une position très privilégiée dans la société : nous avons souvent plus de temps et de moyens de lutter. Alors même si nos unis ne nous apprennent pas à penser de façon critique mais ne sont que des machines à création de travailleur.euse.x.s discipliné.e.x.s pour le patronat, de notre côté on peut continuer de lutter, de s’informer et d’occuper. Du coup, n’hésite pas à rejoindre la CEP !


[1] rapport de Francesca Albanese

[2] https://cuae.ch/lettre-de-la-cep-au-rectorat-de-lunige/

[3] https://cuae.ch/rapport-de-la-cep-concernant-les-liens-entre-lunige-et-les-universites-israeliennes/

[4] https://www.unige.ch/index.php?cID=635

[5] il y a très peu de comités à l’université et ceux-ci ont d’habitude un but précis

[6] Notamment l’assemblée universitaire de l’UNIGE, sorte de parlement de l’UNIGE. Seulement un quart de ses membres sont des étudiant.e.x.s alors qu’iels sont de très loin le plus grand corps de l’UNIGE. Bien que l’assemblée universitaire soit considérée comme le parlement de l’UNIGE, elle n’a en réalité aucun pouvoir décisionnel et ne peut que donner des recommendations au Rectorat.

[7] cf. p. 6

[8] par exemple, le comité des bourses prend des décisions sans que cela ne passe par le rectorat

[9] contrairement à l’occupation d’un auditoire qui a permit d’obtenir le Nadir, espace autogéré étudiant

[10] contrairement à l’occupation de la cafétéria de 2021

[11] l’interview de Leuba au 19h30 du 10 mai 2024 https://www.rts.ch/play/tv/19h30/video/19h30?urn=urn:rts:video:14897473

[12] mails envoyés à tou.te.x.s les étudiant.e.x.s

[13] Voir l’instagram : @cepunige

[14] rapport sur les liens entre l’Université de Genève, les universités israéliennes et le régime israélien p.37ss

[15] et ce selon le média the Lancet en date du 5 juillet 2024 https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(24)01169-3/fulltext

[16] cette partie est en partie reprise de l’article « Neutralité mon cul ! » du Regard Critique n°51 de la CUAE