Cette lettre a été rédigée par la Coordination étudiante Palestine de l’UniGE.

À l’attention du rectorat de l’UniGE,

Nous, étudiant⋅x⋅es, de l’Université de Genève (UniGE), membres du collectif CEP-UNIGE, vous adressons cette lettre en solidarité avec le peuple palestinien et nos collègues étudiant⋅x⋅es, académicien⋅x⋅nes palestinien⋅x⋅nes qui font face à un génocide en cours perpétré par l’État d’apartheid israélien[1]. Nous inscrivons notre démarche dans l’élan de solidarité internationale de la communauté académique à travers le monde, et dans un écho particulier avec l’occupation du hall de Géopolis à l’Université de Lausanne. Par la présente, nous vous faisons parvenir nos revendications, et sommes disposé⋅x⋅es à ouvrir un dialogue et une négociation.

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                  Comme vous le savez sûrement, la situation actuelle de l’enseignement et de l’éducation à Gaza est en tous points terrifiante. Le 18 avril 2024, un communiqué d’expert·es onusien en droits humains souligne que :

« En six mois d’offensive militaire, 5 479 étudiants, 261 enseignants et 95 professeurs d’université ont été tués à Gaza, et 7 819 étudiants et 756 enseignants ont été blessés, ces chiffres ne faisant qu’augmenter chaque jour. Au moins 60 % des établissements d’enseignement, dont 13 bibliothèques publiques, ont été endommagés ou détruits et au moins 625 000 élèves n’ont pas accès à l’éducation. »[2]

Dans leur communiqué, iels ajoutent que « la dernière université de Gaza, a été démolie par l’armée israélienne le 17 janvier 2024 » ainsi   

« [Qu’]étant donné que plus de 80 % des établissements scolaires de Gaza ont été endommagés ou détruits, il est raisonnable de se demander s’il existe un effort intentionnel visant à détruire complètement le système éducatif palestinien, une action connue sous le nom de « scolasticide. »[3]

En Israël, les palestinien⋅x⋅nes qui étudient sont victimes de négation flagrante et quotidienne de leurs droits à l’éducation élémentaire, ainsi que d’un racisme et d’une répression généralisée. Cela, sans compter les effets concrets induits par le régime d’apartheid israélien et ses pratiques administratives, violentes, répressives et coercitives, notamment à l’encontre des académicien·ne·xs palestinien·x·nes, qu’iels soient résident·e·x·s de Gaza, de Cisjordanie, d’Israël ou réfugié·x⋅e·s de la diaspora[4].

Ces entraves, frontières illégales et illicites, imposées par l’État d’occupation, ont un impact désastreux sur la vie, la dignité, ainsi que sur la liberté académique des Palestinien·ne·x·s. Un exemple récent nous le démontre avec force. Début mars 2024, les autorités de l’Université Hébraïque de Jérusalem (HUJI), ont suspendu la professeure titulaire palestinienne, Nadira Shalhoub-Kevorkian, en raison de ses prises de position contre l’état d’apartheid, le génocide et le sionisme[5]. Le 18 mars, suite à cette suspension, Mme Shalhoub-Kevorkian a subi une arrestation violente, une détention et un interrogatoire humiliant et dégradant, visant ultimement sa liberté d’expression. Ce n’est qu’un exemple parmi les milliers d’académicien⋅x⋅nes palestinien⋅x⋅nes qui ont été arrêtés, incarcérés, torturés et tués par le régime d’apartheid israélien[6]. Autant de parcours personnels anéantis qui nous remémorent l’histoire coloniale et génocidaire des institutions académiques israéliennes. La destruction des corps, des vies, des bibliothèques et de la pensée palestinienne est le projet du colonialisme de peuplement d’Israël.

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                  Les institutions universitaires israéliennes sont pleinement impliquées dans le projet de colonialisme de peuplement et génocidaire de l’État d’Israël. En effet, elles ont participé et continuent à participer à la planification, la construction et la mise en œuvre, ainsi qu’à la justification du projet colonial de l’État d’occupation. Leurs implications et complicités sont évidentes et très bien documentées[7].

                  L’UniGE affiche fièrement son partenariat stratégique avec l’HUJI[8], ses accords avec l’Institut Weizmann des Sciences (IWS) ainsi que ceux passés avec l’Université de Tel-Aviv (UTA)[9]. Deux de ces institutions (HUJI et IWS) ont activement participé à la dépossession, la colonisation et l’effacement (par les armes, la stratégie militaire et la destruction symbolique) du peuple palestinien lors de la Nakba en 1948[10]. L’HUJI a été fondée en 1918 alors que la région était sous contrôle militaire britannique, dans le but d’établir une position symbolique et matérielle à Jérusalem[11]. L’HUJI est par ailleurs intimement lié aux services de renseignement israéliens, typiquement au travers du programme Havatzalot[12]. L’IWS est central pour la recherche technologique militaire, et travaille avec les plus grands fabricants d’armes et l’industrie aérospatiale de l’armée israélienne. L’UTA a des centres joints avec l’armée israélienne[13] et est le lieu de naissance de la doctrine Dahiya qui prône un usage disproportionné de la force, notamment en se concentrant sur des infrastructures civiles. Elle se trouve au cœur de la propagande israélienne, proposant aujourd’hui des cours permettant de développer la hasbara (la stratégie de communication) qui justifie le génocide du peuple palestinien[14].

Toutes les institutions académiques israéliennes, sans exception, apportent un soutien moral, financier et intellectuel au génocide en cours[15].

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                  L’UniGE, en soutien à l’appel de swissuniversities à « protéger la vie et la carrière des personnes »[16] liés à l’éducation et l’enseignement ukrainien, a suspendu tout nouvel accord avec les institutions académiques russes et condamné l’intervention militaire russe en Ukraine. Le double standard ne pourrait apparaître de manière plus flagrante. L’empathie sélective et le silence de l’UniGE sur l’apartheid israélien et le génocide en cours nous choquent profondément et nous interpellent politiquement.

L’Université palestinienne de Beir-zeit, fondé en 1924 (Ramallah), exhorte les institutions académiques internationales à « prendre des mesures concrètes pour mettre fin à la guerre génocidaire contre le peuple palestinien »[17] et à soutenir concrètement les étudiant⋅x⋅es et académicien⋅x⋅nes de Gaza.

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En l’absence de nouveau positionnement clair de la part du rectorat, il est de notre devoir de vous interpeller sur les liens que l’UniGE entretient avec l’État d’Israël et ses institutions. Nous vous demandons ainsi :

  • Une prise de position claire et ferme contre la destruction des universités, des écoles et des lieux d’enseignements et de culture à Gaza, ainsi que contre la répression et le meurtre des enseignant⋅e⋅x⋅s, des académicien⋅x⋅nes et des étudiant⋅e⋅x⋅s palestinien⋅x⋅ne  ;
  • Une liste complète de toute collaboration entre l’UniGE et des institutions académiques israéliennes, ainsi que de toute participation financière de l’UniGE dans le système colonial et d’apartheid israélien (par exemple, par des fonds d’investissement) ;
  • La suspension de toute collaboration de l’UniGE avec des universités ou des instituts de recherche israéliens ainsi que des échanges et des activités à visée de normalisation du gouvernement israélien  ;
  • Une politique proactive d’accueil et de soutiens aux étudiant⋅x⋅es et chercheur⋅x⋅reuses palestinien⋅x⋅nes, comme cela été fait pour les personnes ukrainiennes, ainsi qu’avec les institutions palestiniennes d’enseignements (par exemple, par le biais de bourses d’étude spéciales pour les étudiant⋅e⋅x⋅s palestinien⋅x⋅nes ou l’ouverture des programmes d’échange avec les universités palestiniennes) ;
  • Un appel institutionnel et du lobbying auprès de swissuniversities afin que cette institution se positionne par rapport au génocide en cours perpétré par Israël, comme demandé par les signataires de la pétition « Ne soyons pas complices de crimes contre l’humanité, cessons toute collaboration avec les institutions académiques israéliennes ! »[18]  ;
  • Une prise de position claire sur le génocide perpétré par Israël à Gaza et un appel institutionnel pour un cessez-le-feu immédiat, dénonçant le colonialisme d’occupation et le régime d’apartheid israélien.

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Prenant acte du courrier envoyé par la rectrice aux membres de la communauté universitaire[19], nous considérons que celui-ci n’est pas une réponse adéquate à l’urgence humanitaire actuelle.

En raison de la présente inaction de l’alma mater concernant ce génocide et son absence de positionnement, nous nous voyons dans l’obligation d’occuper le hall d’UniMail jusqu’à ce que nos revendications viennent entendues.

Dans l’attente de votre réponse, nous vous prions de croire en l’expression de nos salutations distinguées.

L’ensemble des étudiant·e·x·sde la Coordination Étudiante pour la Palestine-UNIGE (CEP-UNIGE) 


[1]La Cour Internationale de Justice a déclaré, le 26 janvier 2024 déjà, qu’il était « plausible » qu’un génocide soit en cours à Gaza perpétré par l’État d’Israël. Elle a d’ailleurs ordonné des mesures de prévention auxquelles l’État d’occupation ne s’est jamais soumis. https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/192/192-20240126-ord-01-00-en.pdf

[2] OHCHR, communiqué de presse, Des experts de l’ONU profondément inquiets face au «scolasticide» du système éducatif à Gaza, consulté 4 mai 2024, à l’adresse https://www.ohchr.org/fr/press-releases/2024/04/un-experts-deeply-concerned-over-scholasticide-gaza

[3] Ibid.

[4]Human Rights Watch. (2001). Second Class: Discrimination Against Palestinian Arab Children in Israel’s Schools. https://www.hrw.org/report/2001/09/30/second-class/discrimination-against-palestinian-arab-children-israels-schools

[5]Anti-Zionism Is Not Antisemitism”: Prof. Nadera Shalhoub-Kevorkian on Hebrew University Suspension. (s. d.). Democracy Now! Consulté 4 mai 2024, à l’adresse https://www.democracynow.org/2024/3/15/nadera_shalhoub_kevorkian_israel_palestine_gaza. Voir également Ady Arguelles-Sabatier (15 December 2023), Academic Freedom Letter of Support for Professor Nadera Shalhoub-Kevorkian, American Anthropological Association. https://americananthro.org/advocacy-statements/letter-of-support-for-professor-nadera-shalhoub-kevorkian

[6]Graham-Harrison, E., & Kierszenbaum, Q. (2024, avril 26). “Political arrest” of Palestinian academic in Israel marks new civil liberties threat. The Guardian. Consulté 4 mai 2024, à l’adresse https://www.theguardian.com/world/2024/apr/26/political-arrest-palestinian-academic-nadera-shalhoub-kevorkian-israel-civil-liberties-threat

[7] Très récemment, Wind, M., Kelley, R. D. G., & El-Haj, N. A. (2024). Towers of Ivory and Steel: How Israeli Universities Deny Palestinian Freedom. Verso. On consultera aussi cet article, publié par nos camarades de l’EPFL, https://journal.unipoly.ch/2024/03/13/les-universites-israeliennes-sont-un-outil-cle-du-regime-dapartheid/.

[8]Consulté 4 mai 2024, à l’adresse https://unige-cofunds.ch

[9]https://www.unige.ch/internationalrelations/fr/accords/accords/accords-par-pays/

[10] Voir Wind, 2004 : 13 ; 64-65

[11]Ibid., 13 ; 60

[12]Ibid., 53

[13]https://english.tau.ac.il/news/air-and-space-power

[14]https://bdsmovement.net/news/israeli-universities-attacking-campus-uprising-uphold-israels-crimes-against-palestinians et https://international.tau.ac.il/war-course  

[15]https://bdsmovement.net/news/israeli-universities-attacking-campus-uprising-uphold-israels-crimes-against-palestinians  

[16]L’UNIGE et swissuniversities condamnent fermement l’intervention militaire de la Russie en Ukraine — UNIGE. (2022, mars 1). https://www.unige.ch/lejournal/vie-unige/printemps-2022/ukraine/

[17]https://www.birzeit.edu/sites/default/files/upload/open_letter_from_birzeit_university-_french.pdf

[18]https://www.petitionenligne.fr/ne_soyons_pas_complices_de_crimes_contre_lhumanite_cessons_toute_collaboration_avec_les_institutions_academiques_israeliennes

[19]Leuba, « Quel rôle pour les universités dans le débat public ? », courriel à la communauté universitaire de Genève, 6 mai 2024.