L'incroyable foire aux questions de la CUAE

Article originairement paru sur TOPOLITIQUE.ch

« Si on pouvait manger les enfants du recteur et piquer les sachets de sucre à la cafét’, c’est sûr qu’on le ferait »

devise attribuée à la CUAE

Beaucoup de bêtises ont été dites et écrites à propos de la CUAE à l’occasion des dernières élections à l’Assemblée de l’Université (AU) – l’organe participatif au niveau central de l’Université de Genève – qui ont eu lieu le 13 mai dernier. Le point positif est qu’on n’avait peut-être jamais autant parlé de l’action du comité de la CUAE que pendant cette campagne.

Pour rappel, deux listes se sont affrontées pour les 10 sièges (sur 45 !) qui sont réservés aux étudiantes (1) à l’AU. Ces élections ont été largement remportées par la liste des associations (liste 2), qui a obtenu 7 sièges sur 10. La liste victorieuse était soutenue par une vingtaine d’associations. Elle présentait des étudiantes provenant de la majorité des facultés de l’Université de Genève. Son programme a été élaboré de manière commune par les candidates et s’est basé en grande partie sur le bilan du travail des représentantes à l’AU actuellement élues sous la bannière des associations.

La liste 1, soutenue par 3 associations, s’est posée en « challenger » et a obtenu 3 sièges. La volonté affichée au départ par la liste 1 était de faire vivre le débat démocratique et de faire augmenter la participation aux élections universitaires, en proposant en quelque sorte « pour le sport » une liste concurrente. Néanmoins, il est vite apparu qu’en guise de contenu politique, le programme des candidates de la liste 1 consistait en un dénigrement systématique du travail accompli par les associations en faveur des étudiantes. Le comité de la CUAE a été la cible d’attaques particulièrement vives.

Ces élections n’avaient pas pour vocation d’être un plébiscite de la politique du comité de la CUAE, malgré le fait que nos adversaires se soient évertuées à les présenter comme tel. La victoire appartient à l’ensemble des associations qui ont soutenu la liste numéro 2. Cela étant, le comité de la CUAE ne peut ignorer les attaques de la liste adverse, ne serait-ce que parce que la plupart d’entre elles étaient tout simplement mensongères. Il est également possible que, suite à ces élections, certaines étudiantes s’intéressent davantage au travail du comité et se posent des questions tout à fait légitimes sur nos prises de positions politiques.

Le comité souhaite donc répondre à quelques questions et revenir sur certaines allégations faites durant la campagne mais aussi expliquer plus généralement certains points de son fonctionnement et de ses prises de positions.

Partie I : à propos des élections universitaires en particulier

La CUAE tenait-elle à ne présenter qu’une seule liste durant les élections ? Une seule liste, n’est-ce pas un signe de « mort de la démocratie » ?

Il faut tout d’abord rappeler qu’il s’agit d’élections au sein d’un système de représentation corporatiste où la majorité relative est garantie aux professeures. La loi sur l’Université de 2008 a également fait en sorte de réduire à peau de chagrin tout ce qui pourrait s’apparenter à un contre-pouvoir des membres de la communauté universitaire face au rectorat. User et abuser du terme « démocratie » dans ce contexte nous paraît bien incongru.

Quoiqu’il en soit, nous pensons effectivement que pour tirer le meilleur parti de cet organe, les étudiantes ont tout intérêt à se montrer unies. Les professeures l’ont d’ailleurs bien compris et ne présentent qu’une seule liste. C’est dans ce sens que le comité de la CUAE s’est toujours rallié au principe selon lequel une liste devait être constituée le plus largement possible à travers les associations d’étudiantes. Cette manière de procéder a fait ses preuves et permis aux étudiantes de connaître de nombreux succès à l’assemblée.

Cela étant dit, il faut souligner que depuis la création de l’Assemblée de l’Université, plusieurs listes étudiantes s’affrontent tout de même à chaque élection(2).

Par ailleurs, il est amusant d’entendre nos adversaires ressasser le terme de démocratie quand on connaît certaines de leurs orientations politiques. L’un des candidats à l’initiative de la liste 1 n’écrivait-il pas : « Il faudrait qu’un coup d’État mette au pouvoir des individus capables de parfaitement gérer la société et l’information, à l’image de l’utopie imaginée par Georges [sic] Orwell dans 1984, bien que l’auteur ne la considère pas ainsi »(3). Tout cela nous laisse songeuses quant au souci de « démocratie vivante et représentative » qui a présidé à la constitution de cette liste.

Peut-on dire que le comité de la CUAE a piloté la liste des associations (liste 2) lors des élections pour l’assemblée universitaire ?

Non. La liste 2 était celle de toutes les associations et individus qui souhaitaient la soutenir et s’investir. Elle s’est constituée à une assemblée des déléguées des associations membres de la CUAE. Par la suite, elle était ouverte à toute personne qui adhérait à son programme. Il est vrai que le comité de la CUAE s’est chargé de coordonner la liste, car il s’agit de l’un des buts statutaires de la faîtière – mis en œuvre par le comité – que de créer des synergies entre ses associations membres et de favoriser leur coopération.

Mais plusieurs membres du comité de la CUAE étaient sur la liste !

Effectivement, mais elles sont investies sur cette liste au même titre que n’importe quelle personne également membre d’une autre association. Que des membres du comité de la CUAE qui s’investissent toute l’année dans la politique universitaire se sentent compétentes et aient envie de poursuivre leur engagement dans un organe comme l’AU ne nous paraît pas absurde.

C’est pourquoi, nous avons été plutôt effarées par les pratiques de barbouillages d’affiches ainsi que par certains tracts délétères. S’il y a un problème à ce qu’une association soit plus représentée que les autres sur une liste, on peut dès lors, dans le même ordre d’idée, questionner l’appartenance de nombreuses candidates et des trois élues de la liste numéro 1 au très distingué Geneva University Investment Club, au sein duquel elles font leurs premières armes en matière de spéculation boursière.

Selon vous, quelle était alors la différence majeure entre les programmes des deux listes en présence ?

Contrairement à la liste 1, la liste 2 s’est engagée clairement et sans ambiguïté au côté des étudiantes contre la hausse des taxes universitaires. Ses élues vont travailler sans relâche en collaboration avec les autres membres de l’assemblée et le rectorat pour nous défendre de cette hausse.

Dans le passé, lors de l’adoption du statut de l’Université en 2011, une avancée majeure a été obtenue à ce sujet par la liste des associations avec la suppression du critère de normalité, qui empêchait les étudiantes redoublantes de prétendre à une exonération de taxes. Pour ces raisons, le comité ne pouvait que soutenir la liste 2.

Partie II : à propos de la CUAE en général

Qu’est-ce que cette CUAE au juste ?

Il s’agit de la Conférence Universitaire des Associations d’EtudiantEs, association faîtière et syndicat des étudiantes de l’Université de Genève. Elle a pour but de défendre les intérêts des étudiantes tout en offrant un certain nombre de services. Dans ce sens, elle fonctionne comme un syndicat et adopte la ligne et l’opinion de la majorité des gens qui s’y engagent. La CUAE est politiquement indépendante. Ses structures sont démocratiques et elle est ouverte à tout étudiante, et à toute association étudiante de l’Université dont les statuts sont compatibles avec les siens. L’assemblée générale (AG) est son organe suprême qui regroupe toutes les étudiantes membres. Les autres organes sont l’assemblée des déléguées de chaque association membre et le comité élu pour un an par l’AG. La CUAE emploie également trois secrétaires à temps partiel.

En tant qu’association faîtière, nous regroupons la grande majorité des associations d’étudiantes de l’Université de Genève, et nous nous réjouissons d’accueillir chaque année de nouvelles associations qui demandent à adhérer à la CUAE.

Vous voyez-vous comme « le sommet de la hiérarchie des associations d’étudiantes » ?

Absolument pas. Le comité n’exerce en aucun cas un contrôle intrusif sur les affaires des associations membres. Ces dernières sont libres de s’intéresser ou non aux affaires de la faîtière et à la politique universitaire en général.

Nous sommes conscientes qu’il y a de nombreuses manières de faire des choses collectivement au sein et en dehors de l’Université. Nous sommes aussi conscientes des limites de la position institutionnelle de notre comité et du fait que tout le monde n’a pas forcément envie de s’intéresser aux mêmes thématiques ou alors d’agir de la même manière que nous. Les étudiantes en sciences sociales n’ont par exemple pas attendu le comité de la CUAE pour se mobiliser contre le projet de scission de la faculté de SES et solliciter son soutien.

Est-ce vrai que vous vous versez des salaires sur les taxes des étudiantes ?

Les membres élues du comité s’engagent toutes bénévolement !

En revanche, les étudiantes se sont battues pour que l’Université finance des professionnelles pour conseiller les étudiantes et les associations. Trois secrétaires travaillent à 40 % pour l’association à côté de leurs études. Leur cahier des charges leur impose de tenir des permanences quotidiennes. Ces dernières sont gratuites, confidentielles et ouvertes à toute personne ou association pour les aider à faire face à des problèmes administratifs liés à l’Université. Le fait que les secrétaires soient employées par la CUAE plutôt que par l’Université garantit leur indépendance, ce qui est nécessaire pour conseiller loyalement les étudiantes dans des litiges avec l’Université en cas d’élimination par exemple.

Le travail des secrétaires de la CUAE est très largement reconnu y compris par les candidates de la liste numéro 1. À ce titre, nous dénonçons la mauvaise foi de certaines, qui d’une part prétendent ne pas remettre en cause le travail des secrétaires CUAE et d’autre part, jettent à la vindicte publique leurs conditions salariales par des sous-entendus sournois. Concernant le salaire, l’argent provient effectivement d’une subvention de l’Université à la CUAE comptabilisée sur les taxes fixes. Cette subvention représente 3.50 CHF sur les 500 CHF des taxes. Elle est garantie par une convention avec le Département de l’Instruction Publique.

Que fait concrètement le comité de la CUAE ?

Le comité a pour but de mettre en œuvre les décisions prises par l’assemblée générale qui définissent la politique syndicale de l’association. Cela va de se solidariser avec une manifestation contre la hausse des taxes à négocier avec le rectorat afin que le problème des examens à la patinoire des Vernets soit mis à l’ordre du jour des rencontres associations-rectorat, en passant par les réponses aux médias ou à une commission du Grand Conseil sur un projet de loi sur les bourses d’études. Un compte rendu de nos activités est mensuellement publié sur cuae.ch. Le comité rend également un rapport d’activités annuel à l’assemblée générale.

Au fil des années, les membres bénévoles du comité développent une expertise sur les questions de politique universitaire. Ces compétences sont reconnues par les autorités académiques et par des partenaires étudiants comme l’UNES (association faîtière des étudiantes suisses). Cette reconnaissance a entraîné des avancées concrètes pour les étudiantes, comme par exemple lors des difficiles négociations pour l’obtention de l’espace étudiant autogéré (Nadir) après l’occupation d’un auditoire.

La CUAE est-elle représentative de la communauté étudiante ?

La CUAE est une association faîtière à laquelle les étudiantes et les associations peuvent adhérer librement. Elle n’est donc pas une corporation à laquelle toutes les étudiantes sont automatiquement affiliées, contrairement à ce qui se fait dans la plupart des universités suisses. Son orientation politique et les intérêts qu’elle défend sont définis par ses propres membres. La CUAE ne vise ainsi pas à représenter des étudiantes qui seraient par hypothèse en faveur d’une hausse des taxes universitaires puisque l’assemblée générale a décidé de s’opposer à celle-ci. De même, nous ne serons jamais les porte-paroles des personnes qui se proposent de dénoncer les sans-papiers à l’école, quand bien même nous savons qu’il y a certainement quelques étudiantes membres de la jeunesse UDC qui pourraient cautionner cette idée.

Ne serait-il pas mieux que la faîtière soit apolitique pour représenter le plus d’étudiantes possible ?

Lutter pour les intérêts des étudiantes implique nécessairement des prises de positions politiques. Vouloir de meilleures conditions d’études et un accès facilité à celles-ci sont des prises de postions politiques. Il s’agit de les défendre et pas de plaire à tout le monde.

Cependant, la CUAE est indépendante politiquement et ne roule pour aucun parti. Cela n’empêche pas le comité de décider qu’il peut être intéressant à un moment donné de se solidariser et de travailler avec un groupement quelconque tout en conservant son autonomie.

Ainsi, l’idée d’une structure « apolitique » nous paraît être un cache-misère qui masque la docilité par rapport aux personnes qui détiennent réellement le pouvoir à l’Université et dans la cité.

Cependant, vous avez tendance à prendre position sur toutes sortes de sujets politiques, pas seulement concernant l’uni. Par exemple, pourquoi est-ce que vous vous intéressez à la hausse des taxes dans les HES et dans les EPF alors que cela ne concerne pas les étudiantes de l’UNIGE?

L’Université de Genève n’est pas une île au milieu de la société. Elle est traversée par de nombreux rapports de pouvoir et différents intérêts s’y affrontent, notamment les hautes sphères des milieux politiques et économiques. La politique universitaire ne peut se comprendre qu’ainsi. Les étudiantes font bien de s’intéresser aux politiques de l’emploi, du logement ou migratoire pour la simple raison que ces politiques s’occupent – fort mal – d’elles.

En ce qui concerne plus précisément la tendance à l’augmentation des taxes universitaires qui touche toute l’Europe, le sort des étudiantes de l’Université de Genève est intimement lié à celui des autres étudiantes en Suisse. D’une part la loi sur l’Université relie explicitement le montant des taxes à Genève avec celui des autres hautes écoles (art. 16 al. 2). D’autre part, une opposition efficace à la hausse ne peut se concevoir que par la solidarité étudiante. Observer passivement les taxes augmenter dans les HES genevoises au prétexte que cela ne nous concerne pas est peut- être critiquable d’un point de vue éthique, mais c’est plus certainement une erreur politique, car nous aurons besoin de l’aide de ces étudiantes lorsque notre tour viendra.

Je trouve les méthodes du comité de la CUAE trop agressives, est-ce qu’il ne serait pas plus constructif de ne pas être systématiquement dans l’opposition ?

Nous sommes convaincues que nos méthodes portent leurs fruits. L’expérience montre que pour faire entendre sa voix face à tout pouvoir, il faut imposer un rapport de force. La hausse des taxes dans la HES serait, par exemple, passée comme une lettre à la poste sans les manifestations de la coordination d’étudiantes « Stop la hausse ».

Il faut aussi se rendre compte que les actions spectaculaires du comité de la CUAE sont celles qu’on retient le plus mais que l’essentiel de notre action consiste en un travail de discussion. Les victoires obtenues autour des conditions d’exonérations des taxes et des bourses proviennent aussi de négociations autour d’une table. Lorsque le comité envisage une action « coup de poing » comme l’occupation des bureaux du recteur pour exiger que la police des étrangères ne soit pas présente à l’Université pour contrôler les étudiantes, c’est parce que de nombreuses tentatives de négociation n’ont pas donné satisfaction.

Êtes-vous des « militantes anticapitalistes exacerbées » ?

Statutairement, la CUAE a pour but de promouvoir une alternative à la vision capitaliste de l’éducation et de la recherche scientifique. Cette disposition provient d’une réflexion sur la réforme de Bologne et de ses effets néfastes constatables par toutes aujourd’hui. Toutes les formations ont leur place à l’Université, y compris les moins « rentables ».

Nos adversaires qui parlent d’anti-capitalisme seraient-elles des promoteuses d’une vision capitaliste de l’éducation ? Sans doute qu’à force de pratiquer le trading au sein de clubs d’investissement, certaines s’imaginent que tout s’achète et se vend : crédits ECTS, filières de formations et établissements d’enseignement supérieur. Ce n’est pas notre cas et nous pensons que l’exacerbation est de leur côté.

Pourquoi est-ce que vous féminisez toujours tous vos textes ?

Parce que l’académie française a dit qu’il fallait tous les masculiniser et qu’on trouve que Jean d’Ormesson a beaucoup perdu de son swag. On fait néanmoins une exception concernant Zofingue.

Plus sérieusement, le but est d’attirer l’attention sur une discrimination systématiquement banalisée et d’interpeller les lectrices. D’autres instances de l’Université en font de même, comme par exemple les facultés des SES et de droit. Et comme ça dérange pas mal, on se dit qu’on n’a pas tort et on continue.

C’est aussi une manière d’étendre la lutte contre le sexisme, qui n’est que trop présent à l’Université comme ailleurs.

1 Les termes au féminin s’entendent bien entendu aussi au masculin.

2 Nous saluons cependant l’invention par une éminente journaliste de la Tribune du concept des « élections tacites, avec une participation relativement faible » (TdG du 11-12 mai 2013 p. 15).

3 « Le Requiem de la violence », site internet de la revue REEL, consulté le 30 mai 2013.