“On veut des livres, pas des policiers”
Le néo-libéralisme a ouvert un nouveau front en Grèce. Alors que le confinement détériore les conditions d’études et que les universités grecques manquent de moyens financiers et de locaux, le gouvernement d’extrême droite a décidé de faire passer une loi qui accentue la sélection sociale, marchandise les études et cherche à réprimer les mouvements étudiants.
La réforme proposée s’inscrit dans la droite ligne des textes européens sur l’éducation. La sélection sociale d’abord : durcissement des conditions d’entrée et exclusion des étudiant.e.x.s qui dépassent le temps autorisé pour l’obtention d’un diplôme, souvent afin de pouvoir financer leurs études en travaillant en parallèle. Au total, ce sont plus de 25’000 étudiant.e.x.s qui pourraient se voir refuser l’accès ou la continuation de leurs études.
La marchandisation ensuite : le texte de loi entérine l’équivalence des diplômes entre les universités publiques et les écoles privées souvent très coûteuses et de mauvaise qualité, auxquelles les exclu.e.x.s du système public n’auraient plus le choix de s’inscrire s’iels souhaitent poursuivre une formation “académique” reconnue. On parle ici d’un énorme cadeau offert au secteur privé. Les conséquences pour les étudiant.e.x.s et la société grecque sont nombreuses : augmentation du décrochage scolaire, augmentation des frais de scolarité, réduction du financement universitaire (lié au nombre d’étudiant.e.x.s), inégalités accrues, potentielle fuite des cerveaux à l’étranger, etc.
Et enfin, la cerise sur le gâteau qui cristallise la colère étudiante, la répression : interdiction des activités contestataires au sein des universités et création d’un corps de police entièrement dédié aux universités et dépendant du ministère de l’Intérieur. Une fois encore, les conséquences s’avéreraient désastreuses car l’indépendance et la qualité des enseignements se verraient sérieusement mises sous pression tandis que les tensions risquent de s’aggraver dans les campus.
Mais ces mesures ne sont que la continuation logique d’un projet de société réactionnaire que porte le gouvernement grec depuis son élection en 2019 et qui marque le coup d’envoi d’une dérive sécuritaire inquiétante dans ce pays. Depuis cette date, les forces de l’ordre social ont de nouveau été autorisé.e.x.s à entrer dans les universités et les moyens alloués à la police et à l’armée ont fortement augmenté, aux dépens du budget de la santé, amputé de près de 20% pour 2021 alors même que la deuxième vague de coronavirus fait des ravages…
“Nous ne voulons pas de recteur sous tutelle”
De l’autre côté du détroit du Bosphore, à Istanbul, c’est la nomination à la tête de la prestigieuse Université du Bosphore d’un recteur nommé par décret présidentiel et proche du pouvoir qui a déclenché un mouvement de protestation. Ces nominations sont légion depuis le coup d’Etat manqué de 2016 qui a vu le pouvoir présidentiel fortement renforcer ses prérogatives et tendre toujours plus vers l’autoritarisme.
Depuis le début du mois de janvier, la répression s’est accentuée contre les manifestant.e.x.s et des centaines d’arrestations sont à déplorer. Cette répression toujours plus intensive intervient alors que le mouvement étudiant avait déclaré son soutien à la communauté LGBTQIA+ suite à un discours homophobe et transphobe du président turc Erdogan. Le gouvernement a cherché à diaboliser les étudiant.e.x.s en les déclarant “terroristes” et en leur adressant des insultes homophobes.
“Nous n’allons pas baisser les yeux”
Le point commun entre la Grèce et la Turquie est l’écran de fumée du discours sécuritaire qui cache la vraie raison de ces mesures réactionnaires : la peur. Les universités font peur. Car elles sont plus politisées que la société. Car elles sont critiques des pouvoirs en place. Car elles sont engagées dans les mouvements sociaux. Mais pour ça, elles ont besoin d’indépendance et d’autogestion politique, de moyens financiers suffisants, d’étudiant.e.x.s de tous les horizons, etc. Et ce sont ces moyens d’émancipation de la communauté étudiante qui sont aujourd’hui attaqués en Grèce, en Turquie, et ailleurs. Mais le combat n’est pas gagné d’avance. De Thessalonique à Athènes, d’Istanbul à Izmir, des milliers d’étudiant.e.x.s marchent dans la rue et affrontent les polices des pouvoirs autoritaires. A Ankara, des pancartes proclamaient “Nous n’allons pas baisser les yeux”.