Jusqu’à quand?

Bilan intermédiaire et critique de la gestion de la crise par l’Université


Dès le mois d’avril 2020, l’Université de Genève décidait de lancer son programme d’évaluation de la période de pandémie afin de tirer “les leçons de la crise”. Face à ce processus qui paraissait d’emblée inutilement prématuré, et face au refus persistant du rectorat d’inclure la communauté étudiante dans les prises de décision, la CUAE a décidé de publier son bilan intermédiaire et critique de la gestion de la crise par l’Université. Nos conditions d’étude se sont aggravées dans un contexte déjà très difficile. Une question émerge : combien de temps encore continuerons-nous sur cette voie ?
A travers différents thèmes, faisons le point sur les enjeux estudiantins principaux de cette crise.


1. Aides financières
De ce point de vue des plus essentiels pour nombre d’entre nous, l’Université a été plutôt bonne élève. De grosses sommes ont été débloquées et les démarches pour y accéder ont été facilitées.
Mais on aurait aimé une meilleure communication au sujet de ces aides et plus d’incitation à y faire appel. Pourquoi favoriser des annonces de conférences en ligne (au hasard celle d’octobre dernier invitant le richissime directeur de l’aéroport de Genève) dans les mails envoyés à toute la communauté étudiante, alors qu’il serait bien plus pertinent de rappeler régulièrement le soutien auquel les étudiant.e.x.s ont droit ?
Les mots prononcés par le recteur à l’Assemblée de l’Université du 6 mai 2020 “l’Uni ne doit pas être une charge pour la société” passent mal. Cette conception très libérale de l’Université a notamment donné lieu à un appel aux aides privées et aux fonds personnels de la communauté universitaire pour soutenir les étudiant.e.x.s précarisé.e.x.s. Oublier qu’une université est avant tout un enrichissement sans équivalent pour la société, c’est aussi oublier que les conditions de vie des étudiant.e.x.s conditionnent cette richesse sociale. Mais pour prétendre à une telle place dans la société, une université a besoin de fonds publics suffisants et doit, plus encore, reconnaître que les aides financières accordées aux étudiant.e.x.s sont un droit qui ne se mendie pas. De plus, faire appel à la “bienveillance” des collaborateurices et alumni de l’UNIGE pour obtenir des fonds semble assez mal placé quand on sait que la majorité du corps enseignant se trouve dans des conditions de travail très précaires.


2. Gouvernance
Là, le bilan se corse. On peut même parler de gestion catastrophique pour une institution qui s’autoproclame démocratique.
Entre mépris pour les avis des associations étudiantes et court-circuitage pur et simple des organes démocratiques en place (Commissions mixtes au niveau des disciplines, Conseils Participatifs pour les facultés et Assemblée de l’Université pour toute l’institution), l’attitude des autorités universitaires a frôlé l’insulte.
En plus, cette attitude a concerné des décisions d’importance fondamentale comme les modalités du passage en ligne des enseignements, la comptabilisation des tentatives, le format des examens ou l’augmentation du recours aux agent.e.x.s issu.e.x.s d’une société privée problématique pour policer les couloirs de l’Université.
Nous dénonçons cette stratégie du choc qui, sous prétexte de crise, oublie jusqu’à la définition même du terme “démocratie”.


3. Examens
La gestion des examens à coup de directives rectorales s’est apparentée à un cauchemar éveillé. Dans ses recommandations, le rectorat n’a fait preuve d’aucune (ou de si peu de) prise en compte de l’immense stress et de la détresse psychologique causés par la crise sanitaire que nous traversons encore.
D’un côté, des chiffres de dépression en hausse et des étudiant.e.x.s souvent à bout.1 De l’autre, des modalités d’examens inchangées voire durcies sous prétexte de la facilité du passage des examens en ligne ou de possibilités de triche trop accessibles.
D’un côté, une Université qui accueille dans ses murs des expert.e.x.s de la santé mentale ou des professionel.le.x.s des conséquences médicales du stress. De l’autre, des facultés comme la FAPSE, la faculté de Droit et la GSEM qui, souhaitant conserver à tout prix leur taux d’échec, créent des examens plus courts (avec parfois une seule minute à disposition par question), des examens à questions séquentielles (sans possibilité de revenir en arrière) et des examens surveillés à distance à l’aide de logiciels privés.
A l’Université de Genève, cette surveillance numérique a été permise et même encouragée de manière généralisée.
Dès lors, où est passée la notion de consentement? Le délai pour signaler son refus d’utiliser le logiciel TestWe était exagérément court en GSEM et l’accord des étudiant.e.x.s n’a même pas été demandé pour les examens surveillés par Zoom dans les autres facultés. Il existe un rapport du préposé cantonal à la protection des données qui condamne la pratique de surveillance numérique et le logiciel TestWe en particulier, pourquoi s’obstiner ?
De plus, la surveillance numérique n’était pas la seule option viable. L’Unige aurait pu s’inspirer d’autres institutions telles que l’EPFL qui, en plus de ne pas surveiller numériquement les examens, a décidé d’offrir une tentative supplémentaire en cas d’échec à la session d’hiver 2021.2
Rappelons que de telles pratiques supposent que chaque étudiant.e.x est un.e.x suspect.e.x par défaut. Le message sur le peu d’estime qu’a le rectorat vis-à-vis du travail de la communauté étudiante est inquiétant.


La CUAE a pris le parti de s’opposer à la vidéo-surveillance des examens. Nous refusons que notre institution s’inscrive dans ce mouvement général vers une société sécuritaire où il faut se méfier de tout le monde. Nous ne voulons pas d’une université qui nous flique, qui nous espionne et qui n’accorde aucune importance à nos droits fondamentaux.
L’Université est restée attachée aux conceptions traditionnelles et néo-libérales de l’évaluation et de la valeur des diplômes, ce qui l’a poussée sur la pente glissante de la surveillance numérique généralisée. Nous ne voulons pas d’une université qui ne conçoit la valeur des diplômes qu’au travers du prisme du marché du travail et de ses exigences capitalistes. Nos diplômes ont d’autres valeurs qui s’incarnent entre autres dans l’esprit critique que nous essayons tant bien que mal de développer, dans un enseignement de qualité et dans les liens que nous tissons à l’université. Et, comme par hasard, l’accès à ces valeurs-là ne nécessitent aucune surveillance numérique autoritaire.    

4. Enseignements en présentiel
Nous saluons la volonté de réouverture des portes universitaires à la rentrée d’automne 2020. Mais nous aimerions surtout voir le rectorat pointer publiquement les problèmes liés à l’enseignement en ligne et prendre clairement position sur le caractère provisoire et conjoncturel du distanciel.
Les conséquences néfastes de la situation sur nos vies et nos formations ne semblent pas avoir alarmé la direction de l’Univesité outre mesure. A part l’ouverture de salles de travail, où sont les mesures demandées par la CUAE au début du deuxième confinement?


5. Horizon post-covid
En dialoguant avec le rectorat et certaines directions facultaires, il s’est avéré que l’avenir qu’iels nous préparent risque de perpétuer les pratiques de surveillance autoritaires qui dégradent nos conditions d’études depuis un an. Ne soyons pas naïf.ve.x.s. Graver dans le marbre ne serait-ce que la possibilité de telles pratiques ouvre grand la porte à leur généralisation dans un futur proche pour tou.te.x.s les étudiant.e.x.s.
Par ailleurs, nous mettons en garde contre une volonté future du rectorat, une fois la pandémie derrière nous, de pallier le manque d’espaces par un passage forcé à l’enseignement à distance. Cette volonté est déjà perceptible dans certaines positions des autorités universitaires. Les vertus du numérique pourraient s’avérer nombreuses aux yeux du rectorat et au détriment des étudiant.e.x.s.

6. Appel à un changement de cap
Mettre l’Université de Genève en examen face à sa gestion de la crise du coronavirus nous force à constater qu’elle n’est pas à la hauteur de la période actuelle. 


Concrètement, la CUAE exige :   

– La pérennisation du large accès aux aides financières pour les étudiant.e.x.s.   

– Une véritable démocratisation de l’Université, notamment la prise en compte des associations étudiantes dans les décisions, plus de pouvoirs et de représentation étudiante pour les organes participatifs.   

– La fin de toute forme de surveillance numérique.   

– L’arrêt des activités des agent.e.x.s de surveillance privé.e.x.s au sein des bâtiments universitaires, et une alternative sociale de protection de l’intégrité des personnes.   

– Une adaptation des conditions d’examen en temps de crise, par exemple par la généralisation des dossiers à faire “à la maison”.   

– Un prolongement généralisé du délai maximum des études et un assouplissement général des règlements.    

– Une augmentation de l’encadrement des cours et plus généralement de meilleures conditions de travail pour tout le corps intermédiaire. Vraie solution au décrochage et à l’isolement à nos yeux.


La crise que nous vivons ne fait d’ailleurs que révéler plus vivement des tendances inquiétantes que la CUAE dénonce depuis des années. La pandémie n’a fait qu’exacerber des tendances structurelles fortes, telles que la gouvernance autoritaire de l’institution et la précarité qui y règne. Mais il n’est pas trop tard pour renverser la vapeur. L’accumulation du ras-le-bol général engendré par la gestion universitaire de la crise nous prouve qu’il est plus que temps d’adopter une autre attitude pour le semestre du printemps 2021 et ceux qui viendront ensuite.

1 https://lecourrier.ch/2021/02/08/depressions-en-hausse/

2 https://www.24heures.ch/pas-de-logiciel-espion-pour-les-examens-universitaires-234879284158