Nous refusons la surveillance numérique décidée par la directive du rectorat le 24 novembre et communiquée par mail le jeudi 26 novembre. Nous appelons tou.te.x.s les étudiant.e.x.s à faire de même.
Une telle mesure est révoltante.
La directive indique pourtant avoir pour but d’assurer que les examens se déroulent dans les meilleures conditions possibles. Mais les meilleures conditions pour qui? Pas pour les étudiant.e.x.s en tout cas.
La surveillance numérique est une atteinte claire au droit au respect
à la vie privée, garanti à l’article 13 de la Constitution fédérale et à
l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.
Contrairement aux cours à distance où nous pouvons décider d’apparaître
ou non à l’écran et contrôler la façon dont nous nous présentons, les
directives relatives aux examens à distance nous dépossèdent de cette
maîtrise de notre image. En effet, la présentation de notre personne et
de notre environnement est un impératif des examens numériques. Tolérer
une telle intrusion dans notre sphère privée est hors de question.
Dans
la pratique, cet espionnage numérique pose de nombreuses questions. En
effet, des comportements quotidiens et justifiés impliquent une absence
du champ de la caméra et pourront donc être confondus avec une
tentative de fraude. Aller aux toilettes en cas de règles, se pencher
pour ramasser un stylo, s’étirer, ouvrir la fenêtre, détourner le
regard, avoir une interaction imprévue… Qui sera chargé.e.x de faire la
différence? Qui sanctionnera?
Mais ce n’est pas tout, cette inspection numérique provoque
incontestablement un stress accru avant et pendant l’examen chez les
étudiant.e.x.s. Quelles que soient nos intentions, nous sommes
tou.te.x.s considéré.e.x.s comme de potentiel.le.x.s fraudeur.euse.x.s.
Alors que les examens en lignes sont déjà très anxiogènes, la peur de
déroger à un protocole numérique difficile à tenir dans la pratique ne
permet pas aux étudiant.e.x.s de passer leurs examens dans des
conditions favorables.
De plus, la directive n’exclut pas d’autres
outils numériques, encore plus intrusifs que Zoom.Le logiciel utilisé en
GSEM (Geneva School of Economics and Management) est à nouveau TestWe
et ce, alors qu’il a déjà posé de nombreux problèmes le semestre
passé. TestWe, startup privée française, implique une surveillance
audio-visuelle accrue et encore plus inacceptable : le système
d’exploitation de l’ordinateur sur lequel a lieu l’examen est
totalement bloqué et contrôlé par le logiciel. Ce qui signifie que la
start-up contrôle les données présentes sur les fichiers bloqués. TestWe
prend des photos de manière aléatoire, augmentant l’angoisse de
l’examen. Mais il ne se contente pas d’utiliser la caméra puisqu’il est
aussi à l’affût de tout “son suspect”. Pour parfaire le tableau, le
stockage des captations photographiques et des sons est effectué dans
des serveurs appartant à AWS, propriété d’Amazon.
Nous connaissons déjà les justifications avancées par l’Université
pour justifier cette pratique. “De quoi vous plaignez-vous? En présence
aussi, vous êtes surveillé.e.x.s.” et “Il faut préserver la valeur des
diplômes”. Nous ne les acceptons pas. Oui, en présentiel, nous sommes
observé.e.x.s, de loin, dans un auditoire rempli de centaines de
personnes. Mais cela n’équivaut pas du tout à une surveillance
numérique et individualisée, avec enregistrement et stockage de données
à la clé. Les mesures mises en place et l’atteinte à la vie privée
qu’elles représentent sont complètement disproportionnées par rapport
aux réels risques de fraude. Quant aux préoccupations relatives à la
valeur des diplômes soit disant en péril, elles en disent long sur les
priorités et le manque de bonne volonté du rectorat. Le rectorat ne
voit apparemment qu’une seule façon d’accorder de la valeur aux
diplômes qu’il décerne : les examens. Pour lui, il est donc normal de
payer n’importe quel prix, aux frais des étudiant.e.x.s, afin de
conserver son rôle de garant de la valeur de bouts de papier tamponnés
qui ne trouvent preneur que sur un marché du travail absurde. Car c’est
bien de cette valeur-là dont parle le rectorat. Mais la valeur d’un
apprentissage ne se fonde pas que sur son évaluation, et encore moins
sur sa forme numérique actuelle. Il serait temps que l’Université le
comprenne et se montre pour une fois “en avance sur son temps”.
Rappelons-le : demain, la valeur de nos examens se révèlera d’abord dans
les indices boursiers de Facebook ou d’Amazon.
Et quand bien même
les examens devraient garder leur importance actuelle, il existe de
nombreuses autres manières de les imaginer ne nécessitant pas ce type
de surveillance. L’Université avait une occasion d’innover, de se
montrer pionnière en inventant des solutions qui ne se feraient pas aux
dépens des intérêts étudiants.
A la place, elle a préféré
s’inscrire dans un contexte global d’augmentation de la surveillance et
du développement d’outils numériques la permettant. Alors que les
caméras se multiplient avec l’assentiment des gouvernements (sauf en
France où diffuser des images de violences policières est désormais
pénalement répréhensible), l’Université de Genève aurait pu s’opposer à
ce courant en refusant d’imposer cette pratique violant la vie privée
des étudiant.e.x.s et en refusant de les présumer coupables. Elle
aurait pu se montrer créative en imaginant de nouvelles manières de
tester les connaissances. Plus que tout, elle aurait pu envoyer un
message de confiance et de compréhension face au mal-être étudiant en
cette période. Elle ne l’a pas fait et c’est grave.