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Adoption du statut de l'université : le mépris de Charles Beer pour la participation des étudiantes

Le Conseil d’État a adopté aujourd’hui le statut de l’université de Genève, règlement d’application de la loi sur l’université. Cette adoption intervient après une tragi-comédie de plus de neuf mois, au cours de laquelle Charles Beer a pu démontrer tant sa parfaite méconnaissance du dossier que son désintérêt le plus profond pour la participation des membres de l’université, en particulier des étudiantes [ref]Les termes au féminin s’entendent, bien entendu, aussi au féminin.[/ref].

Pour mémoire, l’assemblée de l’université a adopté une première version du statut le 22 septembre 2010 déjà, après plus d’une année de travail. Lors du vote final, ce texte a bénéficié d’un très large soutien dans les quatre corps de l’université (étudiantes, professeures corps intermédiaire et personnel administratif et technique), ainsi que de la part du rectorat.

Depuis lors, plutôt que d’assumer ses responsabilités politiques, le président du DIP a préféré se réfugier derrière l’avis des juristes de son département. Il a ainsi tenté en vain de supprimer les dispositions permettant de contrôler les prérogatives du collège des professeurs, contredisant ainsi la réponse du Conseil d’État à une question orale, dans laquelle François Longchamp affirmait que « le Statut, qui devra être adopté par l’Assemblée de l’Université, devra déterminer de quelle manière sera traitée la question du collège des professeurs dans ce futur texte » [ref] IUE 863-A de la députée Anne Emery-Torracinta, 16 décembre 2009.[/ref].

Il a également imposé de nouvelles compétences, en particulier, la création de centres ou d’instituts interfacultaires contre l’avis des facultés concernées et de l’assemblée de l’université. L’argument pour justifier cette intervention était « l’autonomie de l’Université ». Cette justification est symptomatique de la confusion qui règne dans l’esprit des promoteurs de la loi sur l’université : pour Charles Beer, comme pour Ruth Dreifuss, cette autonomie n’est en aucun cas critique ou intellectuelle, et encore moins au service de la démocratie interne; il s’agit uniquement de permettre au « rectorat fort » de créer un institut à la minute, sur demande du pouvoir politique ou d’un banquier privé de la place. En résumé, c’est l’autonomie de la girouette, qui a le pouvoir de suivre le vent dominant. Plutôt que l’autonomie de l’université, il s’agit de l’autonomie du rectorat, au besoin contre l’université.

La position du parti socialiste sur la politique des hautes écoles proclame que « l’ensemble du monde universitaire (professeurs, assistantes, étudiantes et personnel d’exploitation) dispose de manière adéquate d’un droit de participation aux décisions » [ref]Politique des hautes écoles du Parti socialiste : plus de qualité, plus d’égalité des chances, plus d’efficacité, 17 septembre 2005.[/ref]. Dans les faits, la nouvelle loi sur l’université a considérablement réduit cette participation. Malgré cela, d’importantes avancées ont pu être intégrées au statut, en particulier la présence d’étudiantes et d’assistantes dans les commissions de nomination du corps professoral. Là aussi, Charles Beer a tenté de supprimer ces dispositions du statut, avant de reculer devant la résistance des membres de l’université.

La CUAE se réjouit de l’adoption du statut de l’université, et en particulier des nombreuses avancées qu’il comporte pour les étudiantes : contrôle sur le collège des professeurs, participation aux commissions de nomination ou encore disparition du critère de normalité pour l’exonération des taxes. Elle s’insurge toutefois contre le mépris affiché par le président du DIP envers le travail effectué par les étudiantes et les autres membres de l’assemblée, ainsi que contre les nombreuses pressions exercées. Cet épisode a toutefois eu le mérite de montrer les limites de l’autonomie telle que la conçoit Charles Beer : un exercice de style pour les étudiantes et les travailleuses, après lequel elles sont priées de se soumettre au diktat de la politique ou de l’économie.

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Réaction de la CUAE à la réorganisation des départements du Conseil fédéral 

C’est sous la canicule du mois de juin que le Conseil fédéral a annoncé le transfert des domaines de l’éducation et de la recherche au Département fédéral de l’économie (DFE) de Johann Schneider-Ammann. Il va de soi que pour les Sept sages, cette annonce, qui constitue à l’échelle suisse un mini-séisme politique, était d’une urgence incontestable et ne pouvait en aucun cas attendre la rentrée universitaire de septembre.

Un Conseil fédéral en phase terminale de kleiberisme

Le fond de cette réforme des Départements fédéraux ne laisse rien présager de bon pour l’avenir d’un système suisse de formation déjà passablement sinistré par l’activisme hystérique de Charles Kleiber, le prédécesseur de Dell’Ambrogio au Secrétariat d’état à l’éducation et à la recherche (SER). Charles Kleiber a d’ailleurs été le premier retraité à se réjouir de la réorganisation du Conseil fédéral, clamant à qui voulait bien l’entendre que cette réforme était fondamentalement nécessaire puisque « Charly » lui-même avait tenté à deux reprises de la mettre en place durant sa carrière de Secrétaire d’état.

« Les réformes se passent sur le mode du troc » a-t-il déclaré sur les ondes de la Radio suisse romande. Le mot est sans doute trop faible pour décrire les tractations politiciennes qui se sont déroulées sous la Coupole fédérale ces derniers mois. Comme le faisait remarquer un journaliste, l’enjeu de ce transfert de la formation et de la recherche a fait l’objet d’une intense lutte de pouvoir entre les deux Conseillers fédéraux libéraux-radicaux Didier Burkhalter et Johann Schneider-Ammann. Ce bras de fer étant maintenant réglé, Schneider-Ammann est aujourd’hui présenté par les médias comme le grand gagnant de cette réforme des départements sans que l’on se pose davantage de questions.

Comme évoqué auparavant, ce projet de réforme dormait depuis plus de cinq ans dans les tiroirs de Charles Kleiber. Comment, mais surtout pourquoi, a-t-il soudain pu se concrétiser aujourd’hui ? L’arrivée triomphale du multi-millionnaire Johann Schneider-Ammann au Conseil fédéral il y a bientôt un an, avec rappelons-le les voix de la gauche parlementaire, apporte déjà un élément de réponse. Un bref retour sur son parcours politique nous fait comprendre que le grand gagnant de la réorganisation des Départements n’est pas Schneider-Ammann en personne, mais bien les milieux économiques de la finance et de l’industrie avec lesquels il a tissé des liens, des convergences tout au long de sa carrière et avec lesquels il partage un certain nombre d’intérêts objectifs.

« Une relation assez naturelle au pouvoir » (J. Schneider-Ammann, Schweizer Fernsehen, 22.09.2010)

Issu d’une famille aisée du canton de Berne, Johann Niklaus Schneider-Ammann a mené une carrière typique des grands cadres du patronat suisse. Un diplôme d’ingénieur EPFZ en poche, ce colonel à l’armée suisse a ensuite obtenu un MBA à l’Institut européen d’administration des affaires de Fontainebleau ; un institut entièrement financée par des fonds privés et dont les taxes d’études se montent aujourd’hui à 56’000 € par an.

Johann Schneider-Ammann

Sa volonté de maintenir une partie des activités du Groupe industriel Ammann en Suisse lui ont valu des déclarations émouvantes de la part de certains cadres syndicaux d’Unia. À l’étranger en revanche, Schneider-Ammann s’est montré impitoyable avec les salariés de l’usine de Metzingen (Allemagne du sud) en procédant à un licenciement collectif en 2009. Élu au Conseil national en 1999, il s’est illustré par des revendications délirantes qui ont crée le malaise jusque dans son camp politique ; notamment lorsqu’il a défendu en Commission l’introduction d’indemnités dégressives de jour en jour pour les chômeurs de longue durée. Parallèlement à ses activités de chef d’entreprise et de parlementaire, Schneider-Ammann cumulait un nombre insensé de postes au sein de conseils d’administration et de différentes associations patronales, collectionnant les jetons de présence comme certains collectionnent les « Nanos » offerts par la Migros.

Johann Schneider-Ammann a notamment été vice-président de la tristement célèbre faîtière patronale Economiesuisse pendant plus de dix ans. Les statuts de cette fédération affirment dès le départ que leur mission est de « créer les conditions-cadre optimales pour l’économie suisse », comprenez le profit des actionnaires et autres parasites de l’économie marchande. À ce titre, les représentants d’Economiesuisse ont milité avec succès pour la hausse des taxes universitaires à Zurich ainsi que pour l’alignement des universités suisses sur le modèle de la concurrence entre les entreprises. Ces discours réactionnaires ont été combiné avec des élucubrations sur la nécessité de pratiquer des politiques d’austérité budgétaire afin de diminuer la dette étatique. Il est donc correct d’affirmer qu’Economiesuisse et ses alliés au sein des sphères politiques et administratives sont directement responsables du sous-encadrement structurel subis par les étudiantes [ref]Les termes au féminin s’entendent bien sûr aussi au masculin[/ref] dans certaines facultés ainsi que la baisse drastique des moyens accordés aux disciplines ne fournissant pas une rentabilité immédiate à l’économie.

Santé!

Face à l’hostilité patronale, le silence des agneaux

Comment un tel personnage dont la fortune s’élève à 600 millions de francs selon les estimations du magazine Bilan, a-t-il pu recevoir les clés de l’éducation et de la recherche ? La réponse est à chercher dans l’évolution dramatique du rapport de force entre les étudiantes et les milieux économiques suisses depuis une dizaine d’années et l’alignement progressif des partis classés à gauche de l’échiquier politique sur les discours managériaux sur la “qualité” et la saine “concurrence” [ref]Nous ne reviendrons pas sur le second élément dans ce texte et renvoyons les lectrices intéressées au livre d’Isabelle Bruno, La grande mutation. Néolibéralisme et éducation en Europe. Syllepse, Paris, 2010.[/ref].

Excepté le président de l’EPFL Patrick Aebischer, personne n’est d’avis que la réorganisation des Départements constitue une « demi-décision ». Ce transfert est au contraire historique et vient couronner vingt ans de réformes universitaires ouvertement hostiles aux étudiantes. On ne peut à ce titre que déplorer la réaction de l’Union des Étudiant-e-s Suisses (UNESenjeux en présence. Son communiqué exprimait en effet la plus grande confusion, l’UNES ayant décidé de « saluer la décision du Conseil fédéral » tout en déplorant que cette réunification se fasse au profit du DFE. Cette position, partagée par le biologiste Denis Duboule et l’Académie suisse des sciences humaines et sociales, est toutefois intenable en pratique. Il vaut en effet mieux vaut dormir dehors sous la pluie que de partager le gîte avec Freddy Krueger[ref]Héros du film Les Griffes de la nuit[/ref].

Au contraire, la réorganisation des Départements fédéraux obéit à des contraintes anciennes et nouvelles qui ont marqué les différentes étapes du développement du système universitaire suisse. La pénétration des logiques marchandes au sein des universités est un phénomène largement documenté depuis la fin des années 90 [ref]Voir notamment: Jean-Luc de Meulemeester, « Éducation et « capital humain » : La contribution des théories économiques à la définition des politiques éducatives », Revue Agone, n°29-30, 2003, pp. 177-194, consultable en ligne: http://agone.org/revueagone/agone29et30/

Yves Steiner & Olivier Longchamp « Bologne et après ? Essai d’histoire immédiate des réformes universitaires récentes », Traverse, n°3, 2003, pp. 125-144.

Pierre Milot, « La reconfiguration des universités selon l’OCDE. Économie du savoir et politique de l’innovation », Actes de la recherche en sciences sociales, Vol. 3, n°148, 2003, pp. 68-73.

Isabelle Bruno, A vos marques, prêts… cherchez ! La stratégie européenne de Lisbonne, vers un marché de la recherche, Éd. du Croquant, Paris, 2008, 267 p.

Christian Laval, Louis Weber (dir.), Le nouvel ordre éducatif mondial. OMC, Banque mondiale, OCDE, Commission européenne. Syllepse, Paris, 2002.

Franz Schultheis, Marta Roca i Escoda & Paul-Frantz Cousin (dir.), Le cauchemar de Humboldt. Les réformes de l’enseignement supérieur européen, Éd. Raisons d’Agir, Paris, 2001, 230 p.

Gérard de Sélys, « L’école, grand marché du XXIe siècle », Le Monde Diplomatique, juin 1998.

Abélard (coll.), Universitas calamitatum : Le Livre noir des réformes universitaires, Éd. du Croquant, Paris, 2003, 220 p.

Jean-Émile Charlier, Sarah Croché, « Le processus de Bologne, ses acteurs et leurs complices », in Éducation et Sociétés, Vol. 2, n°12, 2003, pp.13-34.[/ref].

Il est toutefois indéniable que le Conseil fédéral a cette fois-ci repoussé les limites du concevable en liant l’éducation et la recherche au DFE, une liaison qui, le rappelait une Conseillère aux États, « n’a lieu dans aucun autre pays du monde ». Avec Schneider-Ammann à la tête de l’éducation, les milieux de l’économie ont obtenu ce qu’ils réclamaient depuis des années, à savoir une intervention politique, stratégique et financière directe sur la direction de la recherche et l’offre d’enseignement. Leur lobbying politique et idéologique a été si efficace que les représentants de l’économie n’ont désormais plus besoin d’avancer masqués et peuvent revendiquer haut et fort leur volonté de voir l’université devenir un centre de recherche et de formation de main-d’œuvre pour le profit de quelques uns.

La marchandisation, et après ?

Une réflexion stratégique s’impose donc pour les personnes engagées dans la lutte contre la marchandisation de l’éducation et de la recherche ainsi que pour une université réellement autonome et démocratique. L’incorporation croissante de la science au capital n’est en effet pas un processus historique linéaire ni une fatalité et dépend directement de la persistance et des oppositions qui se manifesteront contre cet accord tacite entre les élites politiques, administratives et financières de perpétuation d’un système d’enseignement élitiste et rentable.

La CUAE invite donc chaque étudiante à s’opposer à ce transfert et s’engage à mettre en œuvre tous les moyens qu’elle jugera utile afin de combattre l’influence grandissante des représentants de l’économie dans la vie politique suisse et de construire, en accord avec ses statuts, une vision alternative à la vision capitaliste des études supérieures.

Le comité de la CUAE.

Une version .pdf de l’article est disponible ici