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Retour sur l’occupation du Marx café

Lors du semestre d’automne 2021, une mobilisation marquante a été menée à l’UNIGE afin d’exiger le retour des repas à 3 CHF dans les cafétérias universitaires. Après leur suppression, un retour “à la normale” n’était pas une option envisageable pour nous. Cette mobilisation a atteint son paroxysme lorsqu’on, la CUAE, a occupé l’une des cafétérias d’Uni-mail. Ironie de l’histoire, l’espace qu’on a occupé jour et nuit pendant deux semaines porte le nom de “Marx Café”. L’occupation sans faim a été un événement fort dans l’histoire récente du syndicat étudiant et a été un tournant dans les luttes qu’on mène. Ce texte revient sur cette action majeure du semestre d’automne 2021 afin de retracer le déroulement des événements, d’illustrer que la mobilisation contre la précarité dépasse largement l’occupation, et d’offrir des pistes de réflexion quant à la portée d’une telle mobilisation – et la suite.

Petit historique
Depuis sa création en 1971, la CUAE lutte contre la précarité. En 2002, pour lutter contre le manque de logement pour les personnes en formation, elle occupe un hôtel aux Pâquis. En 2016, elle occupe le bureau du rectorat pour s’opposer au projet de mettre en place des frais d’inscription, et finit par faire plier les autorités universitaires.

En mai 2021, alors que le COVID ne cesse de toujours plus précariser les étudiant.e.x.s, la CUAE obtient la mise en place de repas à 3 CHF dans les cafétérias universitaires. Dès leur instauration, ces repas à bas prix ont littéralement changé la vie des étudiant.e.x.s, en témoignent les files d’attentes démesurées devant les cafétérias à l’heure du repas de midi. En pleine crise sanitaire, en pleine période de révisions et d’examens, cette mesure représentait une avancée significative dans la lutte contre la précarité estudiantine, une réalité de plus en plus tangible. Pourtant, à peine deux mois plus tard, cette offre est retirée.

Mais deux mois, c’était suffisant pour qu’on mette le pied dans la porte: les repas à 3 CHF avaient prouvé leur indiscutable nécessité et il était hors de question de les laisser disparaître. Les promesses vides de la part du rectorat et du conseil d’état étant de plus en plus insatisfaisantes. Lors de la rentrée de septembre 2021 les repas à 3CHF représentaient pour nous une mesure nécessaire pour faire face à la précarité et garantir des conditions d’étude dignes.

Alors, que faire ? Recommencer à payer au moins 8.90.- pour un repas complet, ou se mobiliser pour lutter pour nos droits ? Accepter docilement l’absence de politiques sociales, ou s’organiser collectivement pour porter une série de revendications menant à l’amélioration de la condition étudiante ? Les repas à 3CHF on les a obtenus, on ne les lâche plus !

Mais la question était donc : comment faire pour les récupérer ? Dès la rentrée, on s’est penché.e.x.s sur cette question. Dès septembre, lors de réunions avec des membres du rectorat, nous avons tenté, en vain, de créer des propositions concrètes pour les repas à 3CHF. En octobre, le comité de la CUAE a recommencé à écrire, publier et distribuer régulièrement les nouveaux numéros des “3 CHF critiques”, le petit journal éphémère des étudiant.e.x.s précaires. Le premier exemplaire, paru en mai, s’était intitulé “Eh mercé les caf’ ” et proposait une analyse critique de la mise en place des repas à 3CHF dans les cafétérias universitaires.

Celui-ci a été distribué dès la mise en place des repas. Après une pause estivale, la rédaction s’est remise à la plume pour écrire les numéros suivants du journal, qui se sont enchaînés toutes les deux semaines.

En parallèle, deux motions en faveur du retour des repas à 3CHF ont été adoptées lors de l’assemblée générale et l’assemblée des délégué.e.x.s de la CUAE. Celles-ci se positionnaient en faveur du retour des repas à 3CHF et d’un modèle radicalement différent de la restauration universitaire, chargeant le comité de la CUAE de mettre en œuvre tous les moyens qu’il jugeait nécessaire pour y parvenir.

Le travail de politique universitaire ne se limite pas aux salles de cours ou de réunion. Bien au contraire ! La politique institutionnelle a de bien trop grandes lacunes pour qu’on la laisse prendre nos assiettes en main. Preuve des limites du parlementarisme : pendant l’été 2021, une motion proposée par le parti socialiste a été adoptée par le grand conseil genevois (et donc légitimée par l’organe législatif cantonal!). Celle-ci invitait le conseil d’état à financer les repas à 3 CHF pour l’année académique 21-22. Mais surprise ! Cela n’a servi à rien car le DIP, en la personne d’Anne Emery-Torracinta – pourtant socialiste – a refusé de mettre en place une aide “qui couterait trop cher” et qui “arroserait tou[.te.x.]s les étudiant[.e.x.]s”. Encore une fois, les partis bourgeois nous rappelaient qu’on ne pouvait pas compter sur eux.Le rectorat, c’est à peu près pareil. On a beau aller les voir et leur demander de mettre en place des solutions à des problèmes dont tout le monde reconnait l’existence et l’importance, rien n’est mis en place pour lutter contre ces problèmes. Rien à faire, il fallait trouver autre chose pour qu’on soit considéré.e.x.

C’est ainsi que nous nous sommes mis.e.x.s au boulot: les deux derniers mardis d’octobre, on a organisé des bouffes pop prix libre sur le parvis d’uni mail. Ces repas étaient un succès: beaucoup de monde est venu manger (nous estimons à 200 assiettes servies la première fois et plus de 300 la seconde), plusieurs discours ont été prononcés et la presse a commencé à s’intéresser à la thématique de la précarité alimentaire.

On nous reproche souvent de ne pas être suffisamment ouvert.e.x.s au dialogue avec “les autorités”. Mais rappelons peut-être que lorsqu’on les invitait nominativement à nos bouffes pop’ pour qu’on puisse leur poser nos questions, aussi bien les membres de l’équipe rectorale qu’Anne Emery-Torracinta n’ont pas daigné venir. Il leur était sûrement plus facile de brasser du vent dans des réponses écrites par mail qu’à l’oral face à nous !La question des repas à prix abordable n’était plus négociable. La problématique de la précarité étudiante devait impérativement être traitée. Les repas à 3CHF devaient revenir !

Ainsi, au cours des deux semaines, de plus en plus de personnes ont commencé à s’impliquer dans l’organisation du mouvement: nous étions plus nombreux.se.s à cuisiner, à déplacer les canaps, à servir les repas, à faire la vaisselle… Et c’est grâce aux étudiant.e.x.s et bien d’autres qui ont décidé de s’impliquer et de faire face de manière collective à la précarité que les mobilisations ont pu être menées.

Ça s’accélère 
Ainsi, nous arrivons au 2 novembre. Au moment où on est rentré.e.x dans la caf avec la ferme ambition d’y rester, on avait plusieurs revendications:

  • le retour des repas à 3 CHF tout de suite, pour tout le monde et pour toujours
  • un modèle de cafétérias radicalement différent : des repas à prix libre, une réelle implication de la communauté étudiante dans la gestion des cafs et tout ça en garantissant les conditions d’emploi du personnel y travaillant alors
  • un soutien financier de la part de l’UNIGE à La Farce, une épicerie étudiante gratuite
  • une semaine de révision au semestre de printemps dans toutes les facultés

Le plan était donc d’élire domicile à la cafétéria le temps qu’il fallait pour que nos exigences soient entendues. Au cours de cette période, nous voulions faire régner un modèle de restauration alternatif qui soit inclusif et convivial. Nous voulions faire vivre, bien au-delà des heures de repas, un lieu qu’on a toujours connu froid et austère. En réalité, cette expérience était inédite pour la plupart d’entre nous et l’apprentissage collectif a pris la forme d’une improvisation plus ou moins de A à Z. 

Pendant deux semaines, entre le 2 et le 16 novembre, on a été au four et au moulin pour assurer le bon déroulement de cette occup. Il y avait de multiples réalités à prendre en compte : entre 600 et 800 repas de midi à préparer quotidiennement, des négociations à mener, une accessibilité de la lutte à touxtes à assurer, un lieu à maintenir propre et accueillant, des conflits internes à gérer, une visibilité médiatique à entretenir, etc. Et tout ça a dû se mettre en place assez rapidement sous réserve de nuire à la mobilisation et aux résultats qu’on visait.

Peut-être qu’on peut commencer par raconter la prise des lieux pour bien poser le décor. On avait annoncé la fameuse “grosse surprise” qui allait avoir lieu le 2 novembre dès 10h30, juste avant une troisième bouffe pop’. Malgré les efforts de mobilisation des semaines précédentes, nous étions moins que prévu et l’option de juste faire marche arrière et de ne même pas tenter de rentrer trottait dans la tête de certain.e.x.s d’entre nous. Mais finalement, on a décidé de foncer et bien nous en a pris !

Alors que l’une de nous haranguait les étudiant.e.x.s au milieu d’uni mail avec un discours, d’autres prenaient des grilles d’exposition de l’université. Quelle ne fut pas la stupeur des employé.e.x.s de la cafétéria quand iels virent que les entrées et sorties du Marx café étaient soudain grillagées ou obstruées par des tables maintenues à l’aide de cordes et de gaffer. En même temps, le repas amoureusement préparé toute la journée de la veille (on avait même passé notre comité hebdomadaire à éplucher des patates douces) et cuit pendant toute la matinée était amené sur les lieux et posé sur des tables mises à l’arrache devant le comptoir. D’ailleurs, une table était largement branlante et ne tarda pas à céder sous le poids d’une de nos grosses marmites de ratatouille. Le nettoyage a été assez efficace et n’a pas entravé le service des premières assiettes qui commençait alors même que l’agitation provoquée par notre entreprise était à son apogée. Les premièr.e.x.s étudiant.e.x.s venu.e.x.s prendre leurs repas sont entré.e.x.s vers 11h30. La réaction des employé.e.x.s n’était pas unanime: certain.e.x.s avaient l’air plutôt de notre côté, d’autres nous injuriaient et menaçaient de “porter plainte” contre nous – ce qui n’a finalement pas été fait – et la plupart avaient surtout l’air de s’inquiéter de ce qu’il se passait. C’était quelque chose de difficile à gérer, et on aurait bien voulu que le contact se passe mieux avec elleux.

Il y avait également le patron des cafs d’uni mail, avec qui les relations sont restées tendues tout au long de l’occup, et les protectas qui étaient déboussolés par ce qu’ils voyaient. Ils ont tenté de nous convaincre de sortir tandis que certain.e.x.s d’entre nous menaient la négociation avec calme et fermeté. Mais tout ça ne changera rien au fait que la caf était à nous et qu’elle le resterait pendant plus de deux semaines !

Depuis, on appelle ce moment la “prise de la Bastille”. L’entrée dans la caf restera un moment fort, entre autres parce qu’on plongeait dans l’inconnu total et que tout allait tellement vite. Une fois que la bouffe pop à l’intérieur a été terminée et que l’adrénaline retombait un peu, on a pu se rendre compte que le lieu était immense et qu’on pouvait y faire des choses très diversifiées, qu’il fallait simplement définir collectivement. 

La routine
Une routine s’est très vite installée dans la caf’. Dès le premier jour en fait. Souvent, les dernièr.e.x.s à se coucher étaient également les premièr.e.x.s à se réveiller. En effet, celleux qui finissaient la soirée tard s’endormaient souvent dans la “partie comptoir”. Mais c’est aussi cette partie qu’on ouvrait le matin pour servir le petit-déjeuner et accueillir les personnes dès qu’uni mail ouvrait ses portes. A ce moment-là, on installait les tables avec le petit-déjeuner (pain, confitures et cie) et on passait un petit coup de ménage. Au fur et à mesure que les personnes se levaient, on pouvait commencer à couper les légumes pour préparer le repas de midi. A chaque fois, les repas qu’on préparait étaient végétariens et il y avait au moins une option végane et une option sans gluten pour celleux qui le désiraient. En plus de cela, au cours des deux semaines d’occupation, on a fait preuve de suffisamment d’inventivité et d’originalité pour qu’il n’y ait pas deux plats identiques. Généralement, on commençait la préparation vers 8h. On coupait les légumes et les fruits dans la caf ou dans le hall d’uni mail, assez visible pour que tout le monde puisse nous rejoindre. Puisqu’on avait pas la possibilité d’utiliser le matos de la cuisine professionnelle de la caf, on avait pas assez de plaques pour faire 600-800 repas et on faisait mijoter les plats dans pléthore de casseroles réparties dans les cuisines des membres de la CUAE qui étaient à proximité d’uni mail.

Ainsi, l’acheminement des repas était également quelque chose auquel il fallait veiller et il n’était pas rare de voir des caddies remplis de casseroles arriver en trombe dans la caf. D’habitude, on commençait le service vers 11h30 et celui-ci s’étendait jusqu’à 14h-14h30.

En plus des repas qu’on servait, il y avait en permanence une machine à café mise à disposition de tou.te.x.s à prix libre. Ainsi que, la plupart du temps, un grand stock de smoothies récupérés. Le moins qu’on puisse dire c’est qu’aussi bien les cafés que les smoothies ont eu un franc succès.
Un enjeu auquel on ne pense pas forcément directement avec toutes ces bouffes pop, c’est la vaisselle. Au début, tout le monde laissait sa vaisselle sale dans un caddie et on lavait tout nous-mêmes à la main, parce que les lave-vaisselles de la caf’ avaient été débranchés pour qu’on ne puisse pas les utiliser. C’était beaucoup de travail (vous avez déjà essayé de laver 800 assiettes?) et ça instaurait une dynamique où les personnes qui venaient manger étaient “servies”, alors qu’on voulait justement instaurer une participation étudiante plus générale pour dépasser les rapports marchands auxquels on est habitué.e.x.s. Du coup, on a tenté de mettre en place une vaisselle auto-gérée dans l’espace central de la salle du fond de la caf’.

Ça a pris du temps: au début, on avait quelques bacs qui faisaient office de stations de lavage, rinçage et séchage. Il fallait expliquer à chaque personne qui venait qu’on l’encourageait à faire sa propre vaisselle si elle en avait le temps. Mais au fil des jours, ça commençait à rouler plus fluidement, preuve que l’autogestion peut marcher. Les gens étaient plus impliqué.e.x.s et prenaient l’habitude de laver leur assiette et même celle des autres ; bientôt, on avait 5 stations de vaisselle en même temps et parfois, on avait juste besoin de jeter un œil de temps en temps à ce qui se passait. Ça prouve encore une fois qu’un système de restauration émancipé de la dichotomie client.e.x-serveur.euse.x est loin d’être utopique.

Il y avait aussi très régulièrement d’autres sollicitations auxquelles on devait répondre, comme des médias qui débarquaient, des personnes qui venaient nous poser des questions ou juste nous engueuler parce que ce qu’on faisait ne leur plaisait pas. Tout ça pour dire que les matinées et les débuts d’après-midi étaient chargés. Mais souvent les fins d’après-midi et les soirées l’étaient tout autant. Quand on arrivait gentiment à la fin du service, on se laissait un moment pour manger et souffler un peu. Mais pas trop longtemps.

Après la fin du service de midi, on enchaînait avec les plénières qui avaient lieu chaque jour. L’heure à laquelle la prochaine aurait lieu était indiquée sur un tableau blanc à l’entrée de la cafétéria (même si ça arrivait régulièrement qu’on ait du retard — beaucoup parfois). Tout le monde y était le.a bienvenu.e.x. Souvent on se posait dans les canapés qu’on avait ramenés dès le premier jour. Ils étaient disposés en cercle autour du tableau blanc que nous utilisions pour marquer toutes les informations nécessaires (ordre du jour, répartitions des tâches, listes de courses, …). Tout au long de l’occup, nous avons pris les décisions par consensus.

Les plénières, bien que très riches et indéniablement nécessaires, pouvaient aussi être longues et désorganisées.

Les points à l’ordre du jour étaient très diversifiés. Ça allait du menu prévu pour le lendemain aux dernières informations qu’on avait de la part du rectorat et quelle devait être notre réponse en passant par des débats plus profonds sur le rôle du syndicalisme classique (qui, nous le rappelons, est mou et collabo) dans les luttes étudiantes. Mais aussi de la gestion de conflits très concrets qu’on observait dans la cafétéria ou de savoir si on allait occuper la deuxième cafétéria d’uni mail ou pas et, le cas échéant, comment on s’y prenait. Finalement, on a décidé de ne pas le faire. Bref, quand c’était possible, les décisions importantes, qu’elles soient stratégiques ou organisationnelles, passaient par les plénières. Mais d’autres fois, la situation ne permettait pas de passer par les plénières pour prendre certaines décisions. Notamment quand un problème se posait et qu’une solution devait être trouvée dans l’urgence. Ou alors quand elle impliquait des informations véritablement sensibles. Dans ce cas, on se réunissait moins formellement entre les personnes qui étaient quotidiennement impliqué.e.x.s dans l’occup’.

Il nous arrivait souvent de finir les plénières assez tard. Ainsi, souvent, les personnes qui allaient faire les courses devaient partir avant la fin. Et quand on finissait pas aussi tard, elles devaient partir dès que la réunion était finie pour avoir le temps de faire les courses avant que les magasins ferment. Au tout début on faisait les courses avec l’argent de la CUAE. Mais assez vite, les courses ont été amorties par le prix libre et, dès le troisième jour, nous faisions les courses avec le prix libre de la veille. En fait c’était presque un modèle d’affaire compétitif ;).

Ces courses constituaient la base de ce qu’on servait pour les repas mais on fonctionnait aussi pas mal en faisant des récups. Il n’était pas rare que des personnes prêtent la voiture de leurs parents pour faire le tour des bons plans récup de Genève. On a aussi profité d’être à deux pas du marché de Plainpalais pour demander les invendus aux maréchèr.e.x.s. Certaines fois, on revenait quasiment les mains vides alors que d’autres fois, on pouvait remplir plusieurs caddies entiers.

Avec tout ça, on oubliait presque de se nourrir le soir. Mais il y avait tout le temps quelqu’un.e.x pour nous le rappeler. Quand il en restait, on mangeait les restes du repas de midi. Sinon, on faisait des plats qui ne demandaient pas trop de mains et d’efforts. Les repas du soir étaient des moments très conviviaux – parfois à beaucoup et parfois en (très) petit comité. Mais à chaque fois on installait une seule et longue table. C’étaient de super moments pour avoir des discussions plus informelles et pour échanger sur des sujets, qu’ils soient politiques ou non. Mais les soirées n’étaient pas tout le temps un moment de détente parce qu’il restait toujours quelque chose à faire et il n’était pas rare qu’on reste debout jusqu’à très tard pour finir d’écrire un texte à publier sur nos réseaux ou sur renverse.co.

La réappropriation des lieux occupait elle aussi une partie du temps qu’il nous restait. Un groupe de travail a même été créé dans ce but. Des plantes ont été amenés, des tableaux recouverts de couleurs, des canapés disposés de manière accueillante et confortable. L’extérieur n’a pas été en reste non plus! Nous avons tout.e.x.s pu constater l’apparition d’une “terrasse” dans le hall d’uni-mail où il était possible de manger. Bref, nous voulions nous éloigner de ces lieux aseptisés qu’on nous a toujours proposé jusqu’alors pour enfin en avoir un qui nous ressemble. Un bel endroit où chacun.e.x pourrait apporter sa touche personnelle.

Une plante aux nombreuses racines
Cette occupation a aussi beaucoup fait parler d’elle à Genève et dans ses environs. On a reçu un grand nombre de retours positifs et il y a également beaucoup de personnes et de collectifs qui sont venus sur place pour nous rendre de grands services.

Ainsi, assez vite, certaines tâches étaient prises en charge par des personnes externes à la CUAE, ce qui nous déchargeait vraiment beaucoup. Les services qu’on nous a rendus étaient de plus ou moins grande ampleur mais ils ont tous été appréciés à leur juste valeur.

C’était la cantine du Silure qui venait faire à manger un midi. C’était le collectif Frites qui s’installait à l’entrée d’uni mail pour faire des frites. C’était le Nadir qui s’arrêtait totalement de fonctionner pour venir en aide à l’occup’ et qui nous prêta tout son mobilier et ses forces. C’était la Julienne qui faisait des repas avec sa cuisine transportable. C’était Semance de pays qui nous donnait des courges fraîchement récoltées. C’était le restaurant “Le portugais” qui nous filait ses casseroles. C’était le réseau d’appartements de Plainpalais qui nous ouvrait ses portes pour y faire à manger. C’était des cuisiniers qui venaient nous expliquer comment utiliser les différents accessoires des cuisines professionnelles. C’était Momo qui cuisinait des repas marocains en totale indépendance pour plusieurs centaines de personnes. Et c’était aussi bien d’autres choses.
Vous l’avez compris, cette mobilisation a été possible grâce à une constellation de services rendus par un grand nombre de personnes. Mais la caf occupée a aussi pu être un lieu de rencontre et où des activités chouettes pouvaient se dérouler. Le Silure a eu l’occasion d’y animer son infokiosque. Plusieurs séances de peinture de banderoles ont pu s’y tenir.

La cafétéria était vaste et certaines parties étaient tout à fait propices à des réunions ou des activités de groupe. Par exemple, les cafés solidaires (des associations étudiantes qui échangent avec des personnes réfugiées, tous les mercredis matins) y ont trouvé un cadre idéal. Le GT genre de la CUAE a aussi eu l’occasion d’y tenir une réunion. Et bien évidemment, le comité hebdomadaire de la CUAE a eu lieu au fond de la caf, la veille du jour où on a tout nettoyé et quitté les lieux. 

Négociations avec le rectorat: une brève chronologie
L’occupation de la caf’, même si elle a pris beaucoup d’ampleur et a donné lieu à beaucoup de choses imprévues, était à la base un moyen de pression pour forcer le rectorat à nous donner ce qu’on revendiquait. Si on a décidé d’occuper, c’est parce que les négociations avec les autorités universitaires ne menaient nulle part. Le plan initial était de faire pression sur le rectorat en empêchant le prestataire privé, Novae, de tourner. Le rectorat devait à son tour entrer en discussion sérieuse avec ses partenaires (que ce soit le conseil d’état ou des entreprises/fondations privées) afin que celles-ci débloquent des fonds pour lutter contre la précarité alimentaire.Ça a plutôt marché, dans le sens qu’au moins, d’un coup, on nous écoutait. Le rectorat a essayé de la jouer ami-ami avec nous, il nous a bien fait comprendre qu’il était déçu qu’on brise le rapport de confiance qui nous liait à lui et nous a menacé.e.x.s à demi-mot, mais au moins, le dialogue pouvait être constructif parce qu’on avait réussi à imposer un petit rapport de force. Dès le premier jour – presque dès la première heure – il est venu nous voir pour discuter. La situation était assez comique: deux d’entre nous négociaient tant bien que mal avec la délégation rectorale tandis que le reste d’entre nous n’entendait rien et les entouraient passivement en portant une banderole. Pour celleux-là, il était difficile de ne pas rigoler devant le ridicule des petits chefs de l’uni. En plus, on voyait qu’au même moment, à côté de nous, tout le monde s’agitait pour s’assurer du bon déroulement du service. Un point positif tout de même à cette première entrevue : il était désormais clair que la police n’interviendrait pas pour nous virer. On s’en doutait pas mal mais la confirmation nous a rassuré.e.x.s et on a pu sérieusement se projeter dans une lutte qui était là pour durer, au moins un petit peu. Le rectorat avait compris qu’on allait pas bouger. Leur stratégie a alors été d’insister sur la sécurité: c’est dangereux de rester dans l’uni la nuit, il faut tout encadrer pour s’assurer qu’on ne se blesse pas, d’ailleurs ils ne tolèrent pas la violence et il y a eu une blessée durant la prise de la caf’ (une employée nous a balancé une table dessus qui a rebondi et l’a légèrement blessée), attention, il pourrait y avoir des suites pénales – leur paternalisme et leur fausse inquiétude se mêlaient assez souvent à des menaces. On a rapidement reçu une liste de conditions à respecter à tout prix si on voulait que notre occupation nocturne soit “tolérée”: limitation du nombre de personnes (30 personnes max), interdiction des allers-venues entre la caf’ et le reste du bâtiment pendant la nuit, non-consommation d’alcool et de drogues, absence de dispositifs sonores, interdiction d’aller dans les cuisines et derrière le comptoir, interdiction de dégrader le matériel. Au début, on était pas hyper au clair quant à ce qu’on devait faire ou pas: leurs exigences nous soûlaient et on avait pas envie de les laisser encadrer notre action pour la rendre la moins dérangeante possible. En même temps, on ne se rendait pas compte si on pouvait réellement désobéir sans conséquences. Finalement, on a tâté le terrain et tout s’est fait petit à petit.

Après ces premières discussions sur les modalités de l’occupation, ça a longtemps été le silence radio de la part du rectorat. Dès le lendemain, on est allé.e.x.s toquer pour avoir des nouvelles mais il y avait personne. Après deux jours, on a perdu patience et un petit groupe est de nouveau allé directement toquer à la porte de Flücki (et est entré sans même attendre sa réponse;)). Il y avait également Raboud et, pris au dépourvu, ils ont mis un petit moment avant de comprendre de quoi il s’agissait. Au début, ils avaient presque pas l’air de savoir qu’il y avait une occupation en cours. Mais après quelques minutes, ils ont mis le moulin à blabla en marche. Ils n’avaient simplement rien d’important à nous dire, mais ils ont quand même tenu à nous gratifier de leur définition de la démocratie et de comment notre action était fondamentalement anti-démocratique. On les a écoutés pendant près d’une heure (qu’est-ce que c’était long) et on était pas plus avancé.e.x.s. On savait seulement qu’ils allaient voir Torracinta le lundi d’après (5 jours plus tard). On était prévenu.e.x.s : ils jouaient la montre.

Pendant ce temps, l’occupation s’installait. De plus en plus de collectifs, internes ou externes à l’uni, soutenaient publiquement l’occupation (les revendications ET l’action) et il devenait de plus en plus dur pour le rectorat et le conseil d’état de simplement ignorer ce qu’on exigeait. 

Après leur réunion avec Torracinta, ils sont venus nous voir pour faire un retour. Ils lui avaient fait trois propositions : des repas à 5 chf pour tou.te.x.s les étudiant.e.x.s (de l’UNIGE et des HES-SO); des repas à 3 chf ciblés pour les étudiant.e.x.s éxonéré.e.x.s des taxes universitaires; des repas à 3chf ciblés pour les étudiant.e.x.s qui bénéficient d’aides financières. Une de ces trois propositions pourrait être mise en place jusqu’à la fin de l’année académique puisque dès le mois d’août 2022 des repas à 5 chf allaient de toute manière être fournis par le nouveau prestataire de la cafétéria. Le conseil d’état se réunissait mercredi 10 novembre et devait discuter de ces trois propositions. Le rectorat nous a également dit qu’il pourrait trouver des fonds ailleurs pour compléter les budgets débloqués par l’état.

On sentait de plus en plus le décalage entre la temporalité de notre lutte et la temporalité des négociations de parlementaires. On commençait donc à envisager d’autres options. L’une d’elle était d’augmenter la pression d’un cran en allant occuper le rectorat. C’est lorsqu’on discutait de cette option à la plénière du mercredi que le rectorat a débarqué pour nous anoncer à demi-mot que le conseil d’état allait mettre en place des repas à 5 chf, tout en nous mettant en garde qu’il ne fallait pas trop l’ébruiter au risque de mettre en péril leur mise en place.

Parallèlement à ces sombres négociations, on a décidé d’utiliser l’assemblée de l’université (AU), la vitrine démocratique de l’uni pour parvenir à nos fins. Nos infiltré.e.x.s avaient songé à soumettre au vote une motion demandant la mise en place de repas à 3 chf, l’internalisation des cafétérias d’uni mail et un soutien financier à La Farce à l’AU ce jour-là. Mais on n’était pas dans les délais. On s’est finalement retourné.e.x.s vers l’AU plus tard.

L’idée de ne pas faire trop trainer l’occupation et de choisir stratégiquement le moment où on quittait le lieu a été l’objet de longues discussions. Finalement, on a décidé de quitter la cafétéria au début de la semaine du 15 novembre. Dans cette optique, on a convoqué une réunion avec le rectorat le vendredi 12. L’idée de cette réunion était de voir où en étaient nos quatre revendications principales. On a obtenu des avancées et l’ouverture de chantiers. Mais toutes nos revendications n’ont pas été acceptées. Pour ce qui est du financement de La Farce, le rectorat nous a certifié qu’il aiderait l’épicerie mais qu’il voulait en parler directement avec leur comité. Des repas à 5 chf devaient être mis en place dès le 6 décembre, il ne restait plus que les modalités de financement qui restaient à définir. Le rectorat a également accepté de mettre en place deux groupes de travail : l’un sur l’accessibilité des espaces des cafétérias et l’usage que les étudiant.e.x.s pourraient en faire, l’autre sur la question de l’internalisation des services de restauration universitaire.

Toutes les bonnes choses ont une fin
On a donc passé un dernier week-end dans la caf. Celui-ci s’est conclu par une grande tablée fondue qui a réuni bon nombre de personnes qui avaient passé du temps dans la caf occupée. La soirée a ensuite virée sur une session jam.

Lundi était le dernier jour où on a servi de la nourriture à midi. Il nous tenait à coeur de marquer le coup. Ainsi, on a organisé une conférence de presse et on a prononcé un discours pour expliquer où les choses en étaient et pourquoi on quittait le lieu. On a également installé toutes les tables dans le hall d’uni mail. L’objectif était d’offrir un repas dans un cadre différent que les autres fois, plus convivial. Cela nous a égalemet permis de commencer à bien nettoyer l’intérieur de la cafétéria. En effet, on a encore récuré le lieu jusqu’au lendemain midi. Lundi soir était véritablement la dernière soirée qu’on a passée dans la caf et on l’a passée occupé.e.x.s par notre comité. Finalement, on est définitivement parti.e.x.s le mardi aux alentours de midi, après un état des lieux.

On n’était plus dans la cafétéria mais ce n’est pas pour autant que le travail s’arrêtait. Dès le soir-même, certaines associations remettaient en question notre mode d’action et notre représentativité de la population étudiante ; s’en suivit une remise en cause de notre position dans la vie associative universitaire. Les retours positifs restant toutefois majoritaires. Il y avait ce même jour, les premières réunions avec des associations qui étaient en faveur de notre occupation et qui envisageaient de s’en inspirer. Et puis, l’occupation avait permis l’ouverture de chantiers qu’il fallait à présent prendre en main, sans quoi tous les bienfaits de l’occupation du marx café pourraient retomber.

Depuis la sortie de la cafétéria, le travail qu’on fait est beaucoup moins glamour. C’est beaucoup de réunions, souvent longues et pénibles. C’est essayer de convaincre. C’est trouver des soutiens là où on peut. C’est être soumis.e.x.s à des temporalités qu’on ne maîtrise pas. C’est aussi du travail de parlementariste.

Par exemple, on a rédigé une motion soutenant l’internalisation avant de préparer le terrain et de la soumettre au vote à l’AU. Celle-ci a été largement approuvée avec 17 oui pour 8 non et 9 abstentions.

Et aujourd’hui, on en est où ?
Depuis le 6 décembre, les étudiant.e.x.s de l’uni, de l’IHEID et des HES-SO bénéficient de repas à 5 chf dans les cafs universitaires. Ces repas ont un grand succès auprès des étudiant.e.x.s. Les deux GT qui ont été créés pour parler de la gestion des cafs – l’un à court terme, l’autre pour réfléchir au modèle des cafétérias à moyen-long terme – sont actifs. C’est pas pour autant qu’ils sont efficaces. Ils se renvoient constamment la balle et s’attardent sur des points de moindre importance au détriment de points cruciaux. Ils remettent en cause des choix déjà actés, ce qui nous empêche de véritablement avancer de réunion en réunion. La CUAE est toujours bien active dans ces GT et met tout en œuvre pour qu’ils ne restent pas de simples commissions bureaucratiques.

Bien que la vice-rectrice se soit engagée à soutenir financièrement La Farce à la mi-novembre, le soutien se fait toujours douloureusement attendre. On se demande même si le rectorat n’est pas en train de changer de plan. C’est évidemment un dossier qu’on va suivre de très près au cours des prochaines semaines. Une chose est sûre : on va pas lâcher le rectorat là-dessus.

Bilan
Cette courte période de deux semaines a été très intense et a beaucoup enrichi la CUAE. De toute évidence, elle a nourri beaucoup de discussions et de réflexions au cours des deux semaines d’occupation. Il y avait énormément de choses auxquelles on n’avait pas pensé au moment d’entrer dans la cafétéria. En témoigne la façon avec laquelle nos revendications et notre discours ont évolué concernant les conditions de travail du personnel des cafétérias ou l’importance qu’a pris la thématique de l’internalisation au cours de l’action.

Cette action est indéniablement une étape marquante du passage à la CUAE pour chacun.e.x d’entre nous. Cependant, on en garde pas tou.te.x.s des souvenirs semblables et on y associe des significations différentes. Au sein du comité, quand on creuse un petit peu, on se rend compte qu’on n’est pas d’accord sur pas mal de point qui concernent cette occupation et sa portée.

Évidemment, il est difficile d’avoir un regard réellement objectif sur une lutte qui est aussi récente mais surtout sur une action dans laquelle on s’est très intensément impliqué.e.x. Ainsi, quand on pense à l’occup de la caf on doit forcément composer avec une forme d’idéalisation et une attache émotionnelle forte.

La question autour de laquelle se sont cristallisées beaucoup de discussions depuis le 16 novembre est celle de savoir si on considère l’occupation comme une victoire ou non. C’est une question toute bête en apparence mais dans laquelle s’entremêlent beaucoup de réflexions sur le sens de nos luttes et leur efficacité.

Par exemple, on parle souvent d’organisation collective. Pour certain.e.x.s d’entre nous, l’occupation de la caf était une occasion privilégiée pour expérimenter de nouvelles formes d’organisation collective. Laisser la possibilité à de nouvelles personnes d’intégrer pleinement l’occupation et sa gestion stratégique et politique devenait un des objectifs de cette mobilisation. Alors que d’autres considèrent que l’occupation était un moment de forte charge de travail (souvent fait dans l’urgence) et que l’environnement n’était pas propice pour fournir un effort supplémentaire (dont l’importance n’est en aucun cas relativisée) afin de rendre nos luttes accessibles.

De manière plus abstraite, ces discussions nous poussent à réfléchir aux rapports entre les moyens et les buts de nos luttes. Les moyens et les buts sont-ils indissociables, se complètent-ils mutuellement ? Les moyens (par exemple l’organisation collective) sont-ils une fin en soi ? Ou alors sont-ils uniquement et simplement au service des fins ? Les moyens sont-ils compris dans les fins ? A la CUAE, le débat reste ouvert!
Si ces discussions sur la portée et le sens de l’occup sont très enrichissantes, elles sont également là pour nous rappeler que la CUAE n’est pas une organisation idéologiquement homogène. C’est sans doute une de ses faiblesses mais c’est également une de ses grandes forces.

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La mixité choisie comme outil de lutte

Au cours de plusieurs textes, le comité de la CUAE propose d’explorer des thématiques de lutte qui forment les bases théoriques de ses actions. Le premier de cette série est dédié à l’antisexisme.


La CUAE, en plus d’être un syndicat étudiant anticapitaliste, est un collectif antisexiste. Un outil parmi d’autres employé par le féminisme que nous défendons est celui de la mixité choisie sans mecs cis.
Mais en fait, c’est quoi la mixité choisie ?Nous vivons de facto dans un monde pourri par des rapports de dominations qui s’immiscent dans tous les recoins de nos vies jusqu’à devenir invisibles tant ils sont communs, ancrés en nous tou.te.x.s, qu’on soit dominé.e.x.s ou dominants. La mixité choisie est employée lors d’événements spécifiques, circonscrits dans le temps et l’espace (au contraire des dominations systémiques), pour permettre à des personnes appartenant à des groupes sociaux discriminés de se réunir entre elles. Cela leur offre un espace loin du regard, de la présence, du contrôle, du mansplain etc. du groupe social dominant. C’est un outil d’empouvoirement qui permet de se libérer ponctuellement des oppressions quotidiennes et de prendre de la force au sein d’un espace (plus) safe pour pouvoir mieux affronter le monde mixte.
On ne vous apprendra rien, les hommes cisgenre constituent un groupe social dominant. Toutes les personnes ayant une identité de genre différente subissent donc des oppressions quotidiennes. La mixité choisie sans mecs cis cherche à créer un espace où ces dernières peuvent se réunir entre elles. 
Cela ne créera-t-il pas de nouveaux rapports de dominations ? Bien sûr que non, puisque la domination est fondée sur l’exclusion des dominé.e.x.s. Or, c’est tout le contraire de la mixité choisie sans mecs cis qui est pensée pour inclure des personnes qui ne le sont pas habituellement, en créant un espace qui est pensé pour qu’iels s’y sentent à l’aise. Par exemple, des personnes qui ont subi des agressions peuvent y partager leurs expériences sans craindre les remises en question de ce qu’iels ont vécu.
La mixité choisie est un outil qui fait écho à une conception de l’émancipation par le bas, qui est nécessaire à toutes les luttes et mouvements sociaux. Selon cette vision, la lutte contre les dominations doit pouvoir se faire prioritairement par les dominé.e.x.s elleux-mêmes, car ce sont elleux qui connaissent le mieux les violences qu’iels subissent au quotidien. C’est par leur propre lutte que l’émancipation pourra s’inscrire dans le temps long, car ancrée dans leurs savoirs et leurs volontés.
Cependant, tous les rapports de domination ne s’évanouissent pas subitement lorsque des personnes se réunissent et s’organisent en mixité choisie. Dans le cas de la mixité choisie sans mecs cis, le racisme, le validisme, la transphobie et même le sexisme peuvent influencer les comportements et les rapports de pouvoir entre les personnes réunies. La mixité choisie n’est donc pas un outil parfait, mais reste un outil efficace pour tenter de se détacher au mieux d’un ou plusieurs rapports de domination.

Les syndiqué.e.x.s se sont de tout temps réuni.e.x.s sans leur patron et sa clique. En fait, les mouvements politiques, qu’ils soient de gauche, réactionnaires ou fascistes, se sont toujours organisés en mixité choisie, au moins dans un premier temps.  Les bourgeois sont aussi en mixité choisie sans personnes pauvres lorsqu’ils organisent des diners caritatifs dont les billets d’entrée coûtent des milliers de francs ou dans les conseils d’administration des grandes entreprises. Et les mecs cis se retrouvent et s’organisent souvent strictement entre eux dans des organes de décision importants ou dans les gouvernements. A l’université de Genève aussi la mixité choisie est fréquente, il y a par exemple la société ultra-conservatrice zofingue (réservée aux mecs cis) qui ne semble déranger quasiment personne. Alors pourquoi est-ce que la forme spécifique de mixité choisie sans mecs cis déchaine tant de passions là où une multitude de mixités choisies se développent dans une parfaite indifférence ?
Si la mixité choisie sans mecs cis fait aussi peur (c’est aussi le cas de la mixité choisie sans personnes blanches), c’est parce qu’elle est un véritable danger pour la position de domination de certaines personnes. Un féminisme radical, qui remet profondément en question les violences exercées par les hommes cis, utilise constamment la mixité choisie pour s’organiser. Sans cet outil, le combat serait beaucoup plus difficile à mener. En outre, les personnes qui craignent le plus la fin des dominations qu’elles exercent sont également celles qu’on entend le plus. En effet, ce sont ces personnes que le système (médiatique par exemple) met en avant et dont les idées, à force d’être constamment exposées, finissent par infuser dans la société entière. Penser un espace sans elles, c’est remettre en question directement et concrètement leur domination.
Mais si l’on se penche un petit peu sur ces idées anti-féministes, on se rend compte qu’elle ne sont que le socle d’une idéologie fasciste. Elles sont mêlées à des expression comme “la crise de la masculinité” : mythe fantasmé par l’extrême droite selon lequel les hommes (comprendre hommes cisgenre) seraient les marionnettes des femmes, ce qui les arracherait à leur nature (virile, puissante, violente, tournée vers le monde extérieur, supérieure, etc.). Cette rhétorique cherche à nous faire croire qu’il n’existe qu’une seule masculinité et une nature masculine, figée et immuable. Dès lors, tout ce qui y dérogerait serait contre-nature ou inférieur. Fonder la politique sur des conceptions naturalisantes et biologiques des êtres humains, voilà le trait commun qui réunit tous les fascismes et plus généralement toutes les pensées de droite. 
Contre des idées fascistes de la sorte, il n’y a pas de meilleure réponse qu’un féminisme révolutionnaire !!!

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3 CHF CRITIQUES

Les 3CHF critiques continuent !

Retrouvez en ligne le journal éphémère des étudiant.e.x.s précaires !

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Vers le dépassement du débat distanciel/présentiel

La situation liée à la crise sanitaire que nous traversons depuis maintenant plus d’un an ne cesse d’évoluer. Les dernières mesures sanitaires du Conseil Fédéral sont comme une bouffée d’oxygène qui vient soulager une partie de la population, bien que les données épidémiologiques ne soient pas au beau fixe. Ces derniers jours et semaines nous avons tout.e.x.s eu une lueur d’espoir, nous faisant rêver d’un possible retour aux amphis, dans les couloirs, sur les marches… bref, un retour aux cours en présentiel plus tôt que prévu.
La condition étudiante s’est vue fortement dégradée et précarisée durant la pandémie, et le déroulement des cours à distance n’a pas été d’une grande aide : manque d’espaces de travail adéquats, surcharge de travail, perte de motivation, manque de concentration, et bien d’autres problèmes, ne sont que la pointe de l’iceberg d’un problème majeur, qui existait déjà bien avant la pandémie. Le rectorat annonçait il y a un mois déjà (mail du 22 mars) que le distanciel était maintenu jusqu’à la fin du semestre, que ce soit pour les cours ou la session d’examens (avec quelques exceptions très spécifiques). La question de quand est-ce que nous pourrons envisager véritablement un retour au présentiel se pose à l’ensemble de la communauté universitaire, notamment au corps estudiantin, aujourd’hui plus que jamais.
On a l’impression qu’on devrait donc trancher un débat présence/distance dont l’issue est de toute manière impensable pour une partie significative des étudiant.e.x.s. Pour la CUAE, la question est mal posée et ne fait qu’alimenter un débat stérile et dénué de sens: faire preuve de solidarité avec les personnes à risque et sauver le plus de vies possible en continuant nos formations à distance ou prôner un retour au présentiel, coûte que coûte, pour préserver la santé mentale des étudiant.e.x.s ? Dilemme cornélien impossible à résoudre, n’est-ce pas?
La CUAE a toujours été partisane du présentiel, et s’oppose à une numérisation marchande et sans réflexion pour l’encadrer. Bien que le numérique puisse apporter certains outils pédagogiques pertinents à l’université, les dynamiques marchandes et néolibérales sont étroitement liées au processus de numérisation qui a lieu au sein de l’université. Depuis le début de la pandémie, nous n’avons pas eu le choix de suivre nos cours par Zoom, une multinationale proche de Facebook. Un an plus tard, nous nous retrouvons à devoir faire face à ce choix binaire du présentiel-distanciel. Nous, syndicat étudiant et faîtière universitaire, refusons de prendre part à ce dilemme fallacieux pour les raisons suivantes.

” Faire preuve de solidarité avec les personnes à risque et sauver le plus de vies possible en continuant nos formations à distance ou prôner un retour au présentiel, coûte que coûte, pour préserver la santé mentale des étudiant.e.x.s ? “

Que l’on soit pour ou contre le distanciel, la réalité est criante : l’université s’est montrée incapable de gérer cette crise correctement. Et les raisons principales sont à trouver dans des contraintes structurelles qui pèsent de tout leur poids en période de crise. La CUAE lutte depuis de longues années contre des conditions d’études qui se détériorent à vue d’œil, dont la crise du Covid-19 n’est que le paroxysme annoncé. Le processus de Bologne, la loi sur l’Université ou plus récemment les volontés d’augmenter les taxes d’inscriptions et les coupes dans les salaires des enseignant.e.x.s, façonnent de plus en plus nos universités à l’image du modèle d’université-entreprise, ce cheval de Troie du néo-libéralisme. Autocratie de la direction (1), ouverture au secteur privé, mise en concurrence des universités, sélection sociale… en période “normale”, l’autoritarisme et la loi du profit marchaient déjà main dans la main dans nos couloirs. Puis venaient s’ajouter la précarisation financière et psychologique, les diverses discriminations et une charge de travail souvent irréaliste, qui touchaient aussi bien les étudiant.e.x.s que le corps intermédiaire. Comment dès lors s’étonner que la crise soit si mal vécue par une majorité des étudiant.e.x.s ? Tout cela ne pouvait mener qu’à une gestion de crise catastrophique, guidée par le haut, pour des intérêts qui se trouvent autre part. 
Car l’université, et les jeune.x.s en général, ont été sacrifié.e.x.s sur l’autel du profit. Dans un monde capitaliste touché de plein fouet par une pandémie, confiner une université sauve avant tout des vies, mais l’objectif prioritaire n’est pas là. Sinon comment expliquer que les entreprises non-essentielles ont été autorisées à poursuivre leurs activités, parfois jusqu’à provoquer des clusters ? Celleux qui ont la chance de télétravailler ne se retrouvent pas si fortement exposé.e.x.s au virus, contrairement aux vendeur.euse.x.s, livreur.euse.x.s de colis, ouvrier.ère.x.s d’usine ou sur les chantier, ou personnel soignant. Comme d’habitude, ce sont les personnes les plus précarisées et déjà en difficulté bien avant la crise, qui ont payé le coût, économique et humain, de cette pandémie. Le profit économique est placé avant les vies humaines. Confiner une université sert surtout à se donner une légitimité sanitaire pour laisser le capitalisme continuer à massacrer le corps social et l’environnement. Voilà des années que nos gouvernements réduisent les lits dans les hôpitaux, sont incapables de former suffisamment de personnel soignant et délocalisent des chaînes d’approvisionnement vitales à l’autre bout du monde, sans même daigner nous demander notre avis. Mais heureusement que nous avions miraculeusement trouvé la panacée à tout cela : applaudir le personnel soignant chaque soir à 21h ! 

” Confiner une université sert surtout à se donner une légitimité sanitaire pour laisser le capitalisme continuer à massacrer le corps social et l’environnement. “

Le contrôle d’une pandémie est toujours question d’intérêt politique. Nous avons vu comme le conflit sur les responsabilités fédérales portait finalement sur une seule chose : qui est-ce qui payerait la facture des entreprises fermées ? Et on aimerait nous faire croire que défendre les intérêts de nos pharmas et un nationalisme vaccinal aberrant est dans notre intérêt commun. Faire semblant de gérer la crise permet de faire oublier que l’impératif du profit dicte tout. Dans cette hypocrisie généralisée, le confinement de l’Université ne joue que le rôle de trompe-l’œil. Et ce sont toutes ces raisons qui font qu’aujourd’hui la CUAE ne peut pas revendiquer ouvertement un retour au présentiel dans un cadre sécurisé.

L’Université elle-même, dans son champ d’action, ne fait pas exception à la règle du profit. En ouvrant grand, entre autres, ses programmes de cours aux plus grosses banques de la planète, elle produit depuis de nombreuses années les petits soldats du capitalisme anthropophage de demain. Et ce sont ces mêmes banques qui investissent des milliards dans les énergies fossiles et la déforestation, dont les conséquences sur l’environnement sont à l’origine de la multiplication des pandémies. La période de crise que nous vivons n’aura au final rien remis en question, ou si peu. Elle aura surtout accentué un rôle parfois néfaste que notre institution joue dans la société. L’obstination du rectorat à vouloir donner une valeur marchande aux diplômes qu’il délivre, en autorisant des logiciels espions comme TestWe, au détriment de la santé mentale des étudiant.e.x.s, n’est qu’un aperçu des logiques capitalistes universitaires. Et l’accumulation ne doit jamais ralentir. Le gouvernement et l’Université ne l’ont que trop bien compris et continuent, chacun de leur côté, à aggraver la situation, persuadés que suivre encore et toujours les règles de leur système gangrené est la seule voie possible. 

Aujourd’hui, ce sont tous les systèmes de domination qui doivent être questionnés, combattus, renversés, car ce sont eux qui rendent le distanciel ou le présentiel invivables. 
Pour que l’on ne se retrouve plus à devoir trancher entre les impacts désastreux du présentiel et les impacts désastreux du distanciel. 
Pour faire face aux problèmes urgents et préparer l’avenir. 
Pour que l’on puisse enfin gérer cette crise collectivement, démocratiquement. 
Car la conclusion est sans appel : si l’université ne change rien, elle ne sera pas plus capable de gérer les futures crises que notre époque porte en son sein. Sans parler des éventuelles énièmes vagues de Covid-19. Ce changement met en jeu sa légitimité, mais aussi et surtout sa survie. 

” Aujourd’hui, ce sont tous les systèmes de domination qui doivent être questionnés, combattus, renversés, car ce sont eux qui rendent le distanciel ou le présentiel invivables. “

En parallèle d’une lutte pour des changements structurels, la CUAE exige que le rectorat fasse tout ce qui est en son pouvoir pour rendre cette période la plus supportable possible pour les étudiant.e.x.s. 
Nous avons ainsi formé un groupe de travail ouvert qui a obtenu des repas complets à 3CHF dans les cafétérias à partir du 1er mai. Cette mesure vise à redonner un aspect plus social aux repas, en y retirant une partie de l’échange purement marchand. Mais cela peut également retirer un poids des épaules des étudiant.e.x.s précaires pour qui se payer à manger est de plus en plus difficile, en témoigne le succès de l’épicerie La Farce
Outre les revendications que nous portons, depuis plus d’un an pour certaines (2), nous demandons qu’une semaine de révision soit mise en place dans toutes les facultés où ce n’est pas encore le cas.
Et, plus généralement, nous demandons que la démocratie à l’université ne soit plus une simple mascarade. 
Nous demandons également une réduction généralisée de la charge de travail dans tous les cursus universitaires et, pour alléger la charge du corps enseignant, nous demandons plus de postes stables d’enseignement (chargé.e.x.s de cours, chargé.e.x.s d’enseignement, etc). 
Améliorons immédiatement nos conditions d’études mais n’oublions pas vers où nous voulons nous diriger.
Vers une université auto-gérée par les étudiant.e.x.s et les enseignant.e.x.s.
Vers une université critique et détachée des logiques marchandes.
Vers une université qui nous ressemble. 

Notes
(1) Pour une réflexion sur la gestion de la crise : Article Jusqu'à quand de la CUAE.
(2) Pour un aperçu de nos revendications : ici ou ici

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Grève de la fonction publique le 18 novembre !

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Pourquoi faire grève le 29 octobre 2020 ?

Les prévisions budgétaires de l’État de Genève prévoient un déficit de 501 millions. C’est pourquoi le nouveau plan financier de l’État entend économiser entre 800 millions et 1 milliard de francs. Comment ? En réduisant drastiquement les salaires de la fonction publique par une baisse linéaire des salaires de 1% sur 4 ans. Mais – parce qu’il y a toujours un « mais » – la baisse réelle des revenus sera de 6 à 9%, notamment à cause de :

  • La non-indexation des salaires sur le coût de la vie ; 
  • Le blocage des annuités ;
  • L’augmentation des cotisations aux caisses de retraites publiques. 

Mais d’où vient ce trou budgétaire de 501 millions ? C’est une conséquence directe de la RFFA, cette réforme qui prévoyait moins d’impôts pour les entreprises. Cette réforme néo-libérale qui est passée en force il y a à peine deux ans rabote petit à petit le secteur public pour engraisser le secteur privé. Pourquoi cette réforme est-elle néolibérale ? Parce qu’elle avantage drastiquement les entreprises dans leurs impositions fiscales au détriment de l’Etat (et donc de la fonction publique, dont l’éducation publique). Concrètement, les entreprises, surtout les grosses, paient moins d’impôts. Il y a donc moins d’argent pour les services et la fonction publics. Qui dit moins d’argent, dit budget réduit ; et qui dit budget réduit, dit coupes budgétaires. On commence à voir où ça nous mène. Et pourquoi cette réforme est-elle passée en force ? Parce que la première réforme, la RIE 1, a été refusée par le peuple. La 2ème réforme, la RIE 2, a été refusée par le peuple. La 3ème réforme, la RIE 3, a été refusée par le peuple. Ce n’est qu’à la 4ème votation que la réforme est passée. Comment appelle-t-on ça ? Du forcing. Et le forcing, c’est pas beau, surtout quand ça vient des néo-libéraux.

Mais en tant qu’étudiant.e.x.s, pourquoi se mobiliser contre ce projet de budget ? Premièrement parce qu’attaquer les salaires, c’est attaquer nos conditions d’études. Les membres du Corps Intermédiaire, dont les assistant.e.x.s, la majorité du Personnel administratif et technique, les biliothécaires, les secrétariats et les conseillèr.e.x.s sont tout.e.x.s surchargé.e.x.s, et ce alors que leurs salaires sont déjà trop bas. Une coupe dans leurs salaires ne peut que dégrader encore la qualité des enseignements et des structures de soutien. Déjà actuellement, à cause de cette surcharge, personne n’a jamais assez de temps à nous accorder. Avec un salaire encore plus précaire, accepteront-ielles encore toutes ces heures supplémentaires pour un suivi et un soutien de qualité ? Face à ces coupes inacceptables, nous devons être solidaires avec nos enseignant.e.x.s et avec tout le personnel de l’Université. Nous devons lutter avec elleux pour de meilleures conditions de travail !

Mais ce n’est pas tout. Attaquer les salaires, c’est aussi attaquer nos futurs emplois potentiels. Les plus impacté.e.x.s par ces coupes budgétaires seront les personnes qui sortiront de formation et qui commenceront leur parcours dans le monde du travail. Autrement dit, c’est nous, les personnes qui sont actuellement en formation, qui vont être les plus touchées. Universitaires, mais aussi étudiant.e.x.s des HES et principalement celleux des Hautes écoles de santé et de travail social. Entrer sur le marché de l’emploi n’est déjà pas très agréable en soi. C’est un saut brutal dans un environnement où la concurrence est violente, de par les logiques néolibérales qui soutiennent le capitalisme sauvage actuel. La force de travail future, donc nous, est de plus en plus pressée comme des citrons. On justifie ça en disant qu’il faut être solidaire. Mais solidaire avec qui ? Avec les entreprises privées qui ont pour seul horizon le profit ? Avec les entreprises transnationales qui ont de moins en moins d’impôts et de plus en plus d’argent ? Non, nous ne serons pas solidaires sous couvert de profit ! Alors qu’on n’a même pas encore commencé à travailler, on nous réduit déjà notre salaire de 6 à 9%. Donc c’est nous, les étudiant.e.x.s, qui allons subir frontalement ces coupes salariales.

Dans ce contexte inquiétant, des cas particuliers se trouvent écartelés entre des conditions d’études toujours plus déplorables et une situation toujours plus précaire. On pense notamment aux étudiant.e.x.s de l’Institut Universitaire de formation des enseignantes (IUFE) qui sont touché.e.x.s par leur statut d’étudiant.e.x mais aussi via leurs stages et leurs futurs emplois. Les coupes ont déjà écrasé l’IUFE par la quasi-suppression des stages en responsabilité (c’est-à-dire rémunérés). Les étudiant.e.x.s se retrouvent alors sans possibilité de bourse, sans rémunération et avec une perspective de salaire plus bas. Comment encore avoir une formation de qualité ? Et comment, suite à cette formation, penser entrer dans le monde du travail brutal que nous venons de décrire ?

Pour couronner le tout, c’est la fonction publique qui est en première ligne durant l’actuelle crise sanitaire. Applaudir le personnel hospitalier depuis nos balcons pour maintenant réduire leur salaire, c’est une aberration ! 

Par ces coupes, c’est aussi la formation dans son ensemble qui est directement attaquée : étudiant.e.x.s, stagiaires, corps intermédiaire, corps professoral, corps administratif et technique, tout le monde y passe. Mais ces coupes ne sont que la pointe de l’iceberg d’un système de plus en plus néolibéral qui s’immisce petit à petit dans nos formations. L’université se perçoit comme une entreprise, les étudiant.e.x.s deviennent des client.e.x.s, les enseignant.e.x.s des machines et nos diplômes ne visent plus qu’à augmenter notre capital personnel. Pendant que l’Etat fait des cadeaux aux entreprises privées, on nous sort un discours de “responsabilité envers la société”, où la formation doit se serrer la ceinture. Alors ça y est, l’Etat ne doit plus financer l’éducation mais plutôt secourir les grandes entreprises dont le seul but est le profit ?

Au-delà de ces coupes intolérables dans les salaires, c’est un système entier à démanteler. Parce que l’argent de l’Etat doit aller en priorité dans la santé, l’éducation et les aides sociales, parce qu’on ne veut plus que nos formations passent après le profit des entreprises privées, parce que nous voulons une éducation accessible à tout le monde et des enseignant.e.x.s avec des conditions de vie dignes, et parce que cela passe par une augmentation des salaires plutôt que par des coupes, nous disons non à ce projet de budget et à tout compromis mou que l’Etat pourrait nous proposer !

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Prise de position concernant les nouvelles mesures sanitaires de l’Université

Face à la 2ème vague de COVID-19 en Suisse et à Genève, des mesures restrictives limitant les interactions sociales et les rassemblements sont à nouveau d’actualité. Vendredi dernier, l’Université a décidé de faire passer la quasi-totalité de ses enseignements en ligne dès le 2 novembre. C’est la deuxième fois qu’une telle mesure est prise cette année et aujourd’hui encore, elle entraîne de nombreuses conséquences. Afin d’éviter que celles-ci ne retombent sur les personnes les plus précaires et vulnérables, nous avons établi une série de priorités. 

Nous demandons que les décisions concernant les plans d’études et les examens soient prises de manière démocratique. Il faut que les étudiant.e.x.s soient consulté.e.x.s, et surtout qu’iels participent concrètement aux prises de décisions. Les structures déjà en place telles que l’Assemblée de l’Université et les Conseils participatifs doivent être mobilisées. Nous appelons aussi tous les niveaux de l’institution universitaire à inclure les associations étudiantes dans les décisions. Concrètement, nous réclamons que les professeur.e.x.s consultent les étudiant.e.x.s participant à leurs cours pour l’établissement des modalités d’évaluation de ce semestre ; que les décanats décident des mesures facultaires avec les associations d’étudiant.e.x.s facultaires ; que le rectorat dialogue avec la CUAE pour les décisions universitaires. 

Quant aux examens, ils doivent être, au minimum, adaptés pour tenir compte des nombreuses difficultés liées aux enseignements en ligne et au stress accru que la situation fait peser sur chacun.e.x d’entre nous. Nous n’accepterons ni l’utilisation de logiciels de surveillance comme TestWe, ni tout autre durcissement du format des examens ayant compliqué la session de juin 2020 (réduction drastique du temps à disposition, questions séquentielles, points négatifs à outrance, photographie des étudiant.e.x.s). L’année passée, les justifications invoquées étaient le manque de temps et l’inconnu de la situation ; cette année, ces excuses sont obsolètes.
De plus, les étudiant.e.x.s de première année n’ont eu que quelques semaines en présence pour se familiariser avec le fonctionnement de l’Université.

Nous appelons à la création en urgence de postes pour encadrer et conseiller ces étudiant.e.x.s dans le parcours souvent déstabilisant que représente le suivi des enseignements à distance. Pour cela, nous préconisons un renforcement des équipes des conseillèr.e.x.s aux études et des moniteurices. Toutefois, ce renforcement ne doit pas s’inscrire dans une politique de précarisation ; les postes ne doivent pas être surchargés, mais doivent au contraire être accompagnés de renforcement des structures existantes par de nouvelles embauches.

Enfin, nous proposons que l’Université mette à disposition des salles vacantes, dans le respect des mesures sanitaires. Ceci permettrait de pouvoir suivre les cours en ligne (car la bibliothèque se doit d’être silencieuse) mais également de désengorger les flux de personnes se rendant dans les espaces de travail sans effectuer de tri social au détriment des personnes non-universitaires.

Pour nous tou.te.x.s, l’air de déjà vu est désagréablement troublant. Tandis que tout est fait pour limiter l’impact du virus sur les activités économiques, la majorité de ce qui constitue réellement nos quotidiens est frappé de plein fouet. Les mesures sanitaires causées par la pandémie affectent nos vies sociales, nos activités, nos centres d’intérêts et nos passions. De même, nos formations ne sont pas épargnées et il est une nouvelle fois primordial de les défendre collectivement et de façon solidaire pour que la crise ne débouche pas sur la négligence et le délaissement des plus précaires et vulnérables d’entre nous.

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Le rectorat a répondu à nos questions et on en est pas plus avancé.e.x.s…

Nous avons enfin reçu la réponse du rectorat aux multiples questions que nous lui avions posées lors de l’Assemblée Universitaire. Nous vous invitons à la lire, mais ne vous attendez pas à y trouver du réconfort ou plus de clarté sur les questions toujours en suspens, toutes les réponses sont similaires et elles sont de trois types. 

Premièrement, beaucoup des questions que nous avions étaient évidemment rhétoriques. Lorsque nous demandions si les personnes prenant congé pourraient faire leurs rattrapages de la session de janvier en août, nous souhaitions surtout leur faire comprendre qu’ils devraient mettre cela en œuvre au minimum au vu de leur mesurette. Mais leur réponse est simplement négative. 

Deuxièmement, le rectorat renvoit la balle aux facultés. Chacune de leurs réponses revient à dire: on ne peut pas, ce sont les facultés qui décident. Et lorsque l’on questionne les facultés, de nombreuses nous répondent : on ne peut pas, c’est le rectorat qui décide. Les instances de l’université se rendent à l’évidence : leur décision est profondément inégalitaire et laisse des centaines d’étudiant.e.x.s de côté. Évidemment, personne ne souhaite assumer cette inégalité de traitement.

Enfin, leur dernier type de réponse est de nous rabâcher la possibilité de prendre congé ou que les tentatives ne seront pas comptées. Ce type de réponse n’est pas pertinent car la plupart des questions concernaient justement la nécessité des précisions concernant cette décision. Nous avons bien compris que nous pouvions prendre congé et qu’une tentative supplémentaire sera accordée en cas d’absence ou d’échec, mais nos questions étaient justement là pour montrer que cette décision n’est ni bienveillante, ni solidaire pour les étudiant.e.x.s. En laissant nos questions sans réponses, le rectorat nous montre à quel point leur position n’est pas à la hauteur de la situation. Le rectorat s’évertue à redorer son blason nous rappelant qu’il met tout en œuvre pour l’égalité de traitement. Mais si l’égalité de traitement est vraiment votre objectif, notre proposition apparaît chaque jour plus pertinente : valider en bloc tous les enseignements suivis ce semestre et proposer des examens blancs pour que les étudiant.e.x.s sachent où ielxs en sont dans l’acquisition des connaissances. 

Pour le moment, seule la faculté de médecine a pris de réelles mesures. En effet, tou.te.x.s les étudiant.e.x.s, exceptées les premières, verront leur semestre et leur année validés avec des “évaluations formatives” qui leur permettront d’obtenir une aide individuelle s’ielxs estiment avoir des lacunes. Et ceci alors que cette même faculté dispose d’un diplôme reconnu comme difficile à obtenir et d’enseignements réputés très compétitifs. Le fait que cette décision, équivalente à la position de la CUAE, ait été prise par la faculté de médecine montre que le discours du rectorat sur la “valeur des diplômes” n’a aucun sens. De plus, l’obstination du rectorat à tenir sa position crée des situations tout à fait cocasses. 
Ainsi, un enseignement de criminologie suivi par des étudiant.e.x.s de médecine et de psychologie se verra validé en bloc pour les un.e.x.s alors que les autres devront fournir un travail sanctionné. Est-ce donc cela la fameuse égalité de traitement et la bienveillance que le rectorat prétend appliquer ?

Notons encore peut-être que l’enseignement primaire et secondaire, les apprentissages, les collèges, les ECG, enfin pour dire court, le DIP, font valider les années de tou.te.x.s les élèves. Tout le monde semble commencer à comprendre qu’il faut des mesures fortes pour gérer une telle crise mais les Universités suisses s’obstinent dans leurs maigres mesures ne tenant pas compte des réels besoins de leurs étudiant.e.x.s. Peut-être le rectorat s’est-il rué trop vite vers sa solution et n’oserait plus, pour ne pas perdre la face, revenir dessus. Mais à quel prix ? Peut-être s’humiliera-t-il tout autant en s’obstinant à “oublier” des centaines de laissé.e.x.s pour compte et avant tout les plus précaires et les personnes solidaires (par choix ou par nécessité) ? Dans un moment de crise comme celui-ci, nous devons tout.e.x.s faire un choix : voulons-nous d’une université qui, au nom  l’élitisme et, prétendument, du prestige, sacrifie le bien-être de ses étudiant.e.x.s et collaborateur.ices en les laissant sur le bas-côté ? Face à cette conception erronée de la transmission du savoir nous affirmons vouloir une université où le bon fonctionnement de l’apprentissage et l’égalité face à ce dernier sont garantis.

La réponse du rectorat insiste sur la coordination et l’inclusion des associations étudiantes dans les décisions au sein des facultés. Pourtant, malgré la grande implication des associations, les décisions prises indiquent clairement qu’iels ne considèrent guère le travail de réflexion fourni pour trouver des solutions égalitaire. Encore un fois, suite à sa directive, le rectorat refuse également d’ouvrir le dialogue sur les problématiques engendrées par celle-ci. La CUAE appelle donc, avec plus de trois mille signataires à l’appui, à la validation en bloc de tous les enseignements suivis ce semestre pour tout le monde. Malgré la situation qui nous prive des moyens de lutte habituels, les étudiant.e.x.s ne sont pas impuissant.e.x.s. Si le rectorat s’obstine donc à maintenir sa position intenable et sans ouverture de dialogue pour trouver des solutions aux problèmes que ses décisions engendrent, les étudiant.e.x.s trouveront d’autres manières de lui faire prendre conscience de la nécessité de revoir cette position. Nous ne permettrons pas que la situation liée au Covid-19 approfondisse les inégalités du système universitaire.

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Coup de gueule à propos des examens

Hier, mercredi 25 mars 2020, nous avons appris les décisions du rectorat concernant les examens. Le même jour, le recteur a publié une vidéo de lui qui salue le « tour de force » réussi par l’Université de Genève en maintenant les enseignements en ligne dès le lundi 16 mars et donc sans aucune interruption. 

Les intentions sont louables : maintien de la valeur des diplômes décernés et interdiction de l’arbitraire et de l’inégalité de traitement. 

La méthode, elle, questionne. Et plus, elle déçoit. Car cette crise oblige en effet chaque institution à repenser sa manière de fonctionner. Elle voit naître partout des solidarités fondées sur l’écoute et l’implication inclusive. Là où la période actuelle aurait pu être un renouveau démocratique amenant plus d’horizontalité et de participation étudiante, elle a au contraire fait ressortir la verticalité abrupte de notre Université. Le canal de la décision ? Une directive du Rectorat. La consultation étudiante ? Inexistante. Pas une seule personne membre du corps étudiant n’a participé, de près ou de loin, aux réunions décisionnelles. Nous appelons à l’inverse à un fonctionnement plus participatif, plus inclusif et plus démocratique. Des solutions qui nous apparaissent bien plus progressistes, solidaires et innovantes que le « top-down » vu et revu. Nous savons qu’écouter la voix des étudiant.e.x.s, c’est riche, mais c’est surtout essentiel.

Il y avait un tournant à prendre, une occasion à saisir. Une manière de faire mentir un rapport de gérance peu reluisant sorti récemment. La réponse apportée a plus été celle d’un chef d’entreprise que celle d’une institution soucieuse d’augmenter la consultation de la voix des étudiant.e.x.s. Car l’Université sert en effet à « s’engager activement dans la recherche de pointe »[1]. Mais cet engagement académique n’a de sens que s’il se prolonge dans la vie civile. L’Université sert aussi à proposer de nouveaux modes de fonctionnements sociétaux et à repenser notre système démocratique. Elle doit être le lieu où l’on apprend non pas à courir toujours après la performance et le profit, mais à prendre le temps de se pencher à tête reposée sur des problèmes complexes. C’est pourquoi la solution qui nous a été proposée nous apparaît infantilisante et digne d’un autre temps. Nous pensons vraiment que le rectorat avait une opportunité de faire rayonner notre Université en faisant participer tous les corps à sa décision. Il ne l’a pas fait.

Nous appelons aujourd’hui à l’inclusion immédiate des associations d’étudiant.e.x.s facultaires et du syndicat étudiant dans les cellules de décisions des décanats facultaires qui se pencheront sur les modalités d’examens. Nous invitons les associations facultaires à adresser cette demande à leur décanat. Une pétition allant dans ce sens sera bienôt lancée.

La voix des étudiant.e.x.s ne doit plus être écartée !

La vitesse avec laquelle la transition vers le télétravail a été opérée soulève aussi des questions. Plutôt que de suivre l’appel appréciable de l’ACIL à la « sortie d’un discours donnant la priorité absolue au maintien de la performance dans une période d’extrême difficulté mondiale qui doit être l’occasion de penser à ralentir. »[2] et de donner le temps à tou.te.x.s de s’organiser, de peser ses priorités, de se préparer aux mois de confinement à venir et de se procurer éventuellement du matériel informatique, il a fallu remettre sans attendre l’ouvrage sur le métier. Nous savons aujourd’hui le Pôle Santé Social engorgé de demandes d’étudiant.e.x.s en situation de précarité, peut-être eut-il été judicieux de lui accorder des forces supplémentaires pour gérer cette crise. Peut-être eut-il été judicieux d’accorder à tout le monde une période de congé successive à la fermeture de l’Université pour donner le temps de commencer ces démarches financières, pesantes et chronophages. Peut-être eut-il été judicieux de ne pas contraindre la machine à continuer sur son rythme (en s’en félicitant après coup) mais de plutôt tenir pleinement compte d’un mal-être du corps étudiant et du corps intermédiaire déjà dénoncé en temps de non-crise (comme en témoignent un rapport à paraître sur la santé étudiante effectué par l’Observatoire de la vie étudiante ainsi que cet article de la Tribune de Genève)[3].

Il s’agit justement maintenant de penser aux personnes les plus précaires parmi nous. Comme le rappelait à juste titre Alain Berset : « la force d’une société se mesure à l’attention qui est portée aux plus faibles de ses membres ».

La solution du rectorat oblige un grand nombre de personnes à effectuer une année universitaire de plus. Que peuvent faire les personnes bénéficiant de bourses censées s’arrêter à une période précise ? Que peuvent faire les personnes dont le permis de séjour se termine ? Vers qui peuvent se tourner les personnes dans l’incapacité de se payer une année académique de plus ? Que peuvent faire les personnes qui ont des enfants à charge et ne peuvent pas suivre les cours ? Comment cela se passe-t-il pour les personnes admises à titre conditionnel ? Que faire si l’un.e.x de nos proches, nous-mêmes ou nos enseignant.e.x.s tombons malades ? 

De notre côté, nous allons continuer à jouer notre rôle de syndicat dans cette crise. Nous allons continuer à organiser et à défendre les intérêts collectifs de la communauté étudiante. Nous ne laisserons personne de côté.

[1]Rapport de gestion de 2018 de l’université : https://www.unige.ch/universite/rapport-de-gestion/, consulté le 26 mars 2020.

[2]Communiqué de l’Association du Corps Intermédiaire des Lettres, 17 mars 2020

[3]La Tribune de Genève, 7 janvier 2020. https://www.tdg.ch/geneve/actu-genevoise/burnout-serie-chercheurs-genevois/story/10365762, consulté le 26 mars 2020.

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Ouverture de l’Université de Genève : de la théorie à la pratique

L’Université comme la plupart des lieux de formation prône une ouverture sur le monde et le partage des connaissances. Elle se veut le pôle de convergence de personnes diverses, contribuant chacune à leur manière à l’amélioration de la société. En pratique, les espaces à disposition sont des espaces de travail et de consommation. Il n’y a que peu d’espace de détente et de rencontre non marchands accessibles à tout.e.x.s.

En effet, malgré les discours d’ouverture et de tolérance qu’arbore l’université, ce n’est pas un lieu où tout le monde est bienvenu. Des personnes qui viendraient se réchauffer, se restaurer, déambuler, lire le journal dans la bibliothèque, dormir sur une chaise se voient souvent priées de sortir. L’université c’est pour les étudiant.e.x.s un point c’est tout. Mais alors, est-ce qu’on a notre mot à dire dans tout ça ?

Si l’université est pour nous, on la veut vraiment ouverte, on veut réfléchir ensemble à l’accessibilité véritable des lieux de connaissance, on veut remettre en cause la hiérarchie par le savoir. On souhaite interpeller sur les pratiques discriminatoires des employé.e.x.s chargé.e.x.s de la sécurité et des agent.e.x.s de police qui interdisent l’accès à l’université à des personnes, car elles sont précaires et qu’elles donnent une « mauvaise image » de ce lieu qui prône l’excellence académique et un marché du travail méritocratique.

Nous présentons ci-dessous trois scènes qui ont été rapportées au comité de la CUAE durant les deux dernières années, toutes se sont produites à UniMail.

Un mardi de l’automne 2018

Mardi après-midi devant Unimail deux policiers patrouillent. Ils se dirigent vers le seul homme racisé présent sur le parvis et procèdent immédiatement à un contrôle d’identité. Très vite, un attroupement se forme : il y a une vingtaine d’étudiant.e.xs. Les renforts policiers ne se font pas attendre et ils sont bientôt douze pour procéder à un contrôle d’identité motivé par le seul fait qu’une personne noire est assise devant le bâtiment universitaire.

Alors qu’un maître assistant, lui aussi racisé, intervient en solidarité avec la personne contrôlée, un policier lui répond « Toi, tu parles pas, t’es pas suisse. ». S’en suivent des invectives à l’encontre des étudiant.x.e.s présentes pour affirmer leur soutien à la personne contrôlée.

Les pratiques discriminatoires de la part du corps policier sont connues de toutes. Les délits de faciès et le manque de professionnalisme sont monnaie courante. Et l’Université tolère cette présence policière même jusque devant ses portes.

Un mercredi de l’hiver 2019

Deux policiers traversent l’Université et se rendent à l’entrée d’Unimail côté Baud-Bovy.

Un agent de sécurité de l’Université les a appelés pour éloigner une personne de l’Université sans raison apparente.

Les policiers contrôlent son identité, il est en règle. Comme l’homme a froid, l’un des policiers en profite pour faire un commentaire mal venu : “Pourquoi tu danses?” lui lance-t-il d’un ton méprisant.

L’agent de sécurité (accompagné de deux hommes en civil, type baqueux) remplit un formulaire d’interdiction de périmètre à l’encontre de l’homme: à partir de maintenant il ne pourra plus entrer dans le bâtiment de l’Université alors qu’il leur disait être venu pour se payer un café et fumer une cigarette. Le policier lui répond qu’il n’a rien à faire à l’Université et qu’il doit partir. Les policiers l’emmènent ensuite.

Un mercredi du printemps 2019

Ce mercredi-là, 14h15, tout le monde prend place dans une salle d’uni-mail, un nouveau venu (déjà présent la semaine précédente) manifestement plus âgé que la moyenne des étudiant.e.x.s, s’installe. Il vient manifestement suivre le cours en auditeur libre. Le cours débute tranquillement comme d’habitude, la personne en question ne pose aucun problème, elle suit le cours, pose une question, comme nous tout.e.x.s.

Trente minutes après le début du cours, la porte s’ouvre brusquement une première fois puis se referme, un élève assis au fond de la salle reconnait les uniformes des agents protectas. Environ 5 minutes plus tard, on entend frapper violemment contre la porte, elle s’ouvre, plus brusquement encore que la première fois. Deux agents protectas entrent en trombe dans la salle, interrompant le cours. D’une voix forte et autoritaire, ils clament qu’une personne « indésirable » se trouve dans la salle et qu’il leur faut l’évacuer immédiatement. Ils se dirigent immédiatement vers cette personne et lui ordonnent de ranger ses affaires et quitter les lieux. Le professeur intervient, dit que la personne ne pose aucun problème et qu’elle ne dérange personne, les deux agents n’écoutent rien.

On est alors à moins de 10 minutes de la pause de 15h. Une intervention de cette envergure à ce moment-là était-elle vraiment nécessaire ? Qu’est ce que cela aurait coûté aux deux agents d’attendre 5 minutes, de venir à la pause et de demander calmement à la personne de quitter la salle?

Quelle image nous renvoie-t-elle d’un espace qui se veut ouvert sur le monde, critique, accessible à toutes ? Y aurait-il des personnes bienvenues et d’autres dont la présence dérange du seul fait de leur aspect physique ? S’agirait-il de faire de l’Université un lieu fermé, uniformisé et réservé à une élite blanche?

Parce que le savoir est la chose de toutes, parce que les lieux de formation doivent être inclusifs, parce que tout le monde devrait pouvoir avoir le droit de s’asseoir devant les bâtiments universitaires, nous nous dénonçons les pratiques discriminatoires à l’Université et partout ailleurs.