Vers le dépassement du débat distanciel/présentiel

La situation liée à la crise sanitaire que nous traversons depuis maintenant plus d’un an ne cesse d’évoluer. Les dernières mesures sanitaires du Conseil Fédéral sont comme une bouffée d’oxygène qui vient soulager une partie de la population, bien que les données épidémiologiques ne soient pas au beau fixe. Ces derniers jours et semaines nous avons tout.e.x.s eu une lueur d’espoir, nous faisant rêver d’un possible retour aux amphis, dans les couloirs, sur les marches… bref, un retour aux cours en présentiel plus tôt que prévu.
La condition étudiante s’est vue fortement dégradée et précarisée durant la pandémie, et le déroulement des cours à distance n’a pas été d’une grande aide : manque d’espaces de travail adéquats, surcharge de travail, perte de motivation, manque de concentration, et bien d’autres problèmes, ne sont que la pointe de l’iceberg d’un problème majeur, qui existait déjà bien avant la pandémie. Le rectorat annonçait il y a un mois déjà (mail du 22 mars) que le distanciel était maintenu jusqu’à la fin du semestre, que ce soit pour les cours ou la session d’examens (avec quelques exceptions très spécifiques). La question de quand est-ce que nous pourrons envisager véritablement un retour au présentiel se pose à l’ensemble de la communauté universitaire, notamment au corps estudiantin, aujourd’hui plus que jamais.
On a l’impression qu’on devrait donc trancher un débat présence/distance dont l’issue est de toute manière impensable pour une partie significative des étudiant.e.x.s. Pour la CUAE, la question est mal posée et ne fait qu’alimenter un débat stérile et dénué de sens: faire preuve de solidarité avec les personnes à risque et sauver le plus de vies possible en continuant nos formations à distance ou prôner un retour au présentiel, coûte que coûte, pour préserver la santé mentale des étudiant.e.x.s ? Dilemme cornélien impossible à résoudre, n’est-ce pas?
La CUAE a toujours été partisane du présentiel, et s’oppose à une numérisation marchande et sans réflexion pour l’encadrer. Bien que le numérique puisse apporter certains outils pédagogiques pertinents à l’université, les dynamiques marchandes et néolibérales sont étroitement liées au processus de numérisation qui a lieu au sein de l’université. Depuis le début de la pandémie, nous n’avons pas eu le choix de suivre nos cours par Zoom, une multinationale proche de Facebook. Un an plus tard, nous nous retrouvons à devoir faire face à ce choix binaire du présentiel-distanciel. Nous, syndicat étudiant et faîtière universitaire, refusons de prendre part à ce dilemme fallacieux pour les raisons suivantes.

” Faire preuve de solidarité avec les personnes à risque et sauver le plus de vies possible en continuant nos formations à distance ou prôner un retour au présentiel, coûte que coûte, pour préserver la santé mentale des étudiant.e.x.s ? “

Que l’on soit pour ou contre le distanciel, la réalité est criante : l’université s’est montrée incapable de gérer cette crise correctement. Et les raisons principales sont à trouver dans des contraintes structurelles qui pèsent de tout leur poids en période de crise. La CUAE lutte depuis de longues années contre des conditions d’études qui se détériorent à vue d’œil, dont la crise du Covid-19 n’est que le paroxysme annoncé. Le processus de Bologne, la loi sur l’Université ou plus récemment les volontés d’augmenter les taxes d’inscriptions et les coupes dans les salaires des enseignant.e.x.s, façonnent de plus en plus nos universités à l’image du modèle d’université-entreprise, ce cheval de Troie du néo-libéralisme. Autocratie de la direction (1), ouverture au secteur privé, mise en concurrence des universités, sélection sociale… en période “normale”, l’autoritarisme et la loi du profit marchaient déjà main dans la main dans nos couloirs. Puis venaient s’ajouter la précarisation financière et psychologique, les diverses discriminations et une charge de travail souvent irréaliste, qui touchaient aussi bien les étudiant.e.x.s que le corps intermédiaire. Comment dès lors s’étonner que la crise soit si mal vécue par une majorité des étudiant.e.x.s ? Tout cela ne pouvait mener qu’à une gestion de crise catastrophique, guidée par le haut, pour des intérêts qui se trouvent autre part. 
Car l’université, et les jeune.x.s en général, ont été sacrifié.e.x.s sur l’autel du profit. Dans un monde capitaliste touché de plein fouet par une pandémie, confiner une université sauve avant tout des vies, mais l’objectif prioritaire n’est pas là. Sinon comment expliquer que les entreprises non-essentielles ont été autorisées à poursuivre leurs activités, parfois jusqu’à provoquer des clusters ? Celleux qui ont la chance de télétravailler ne se retrouvent pas si fortement exposé.e.x.s au virus, contrairement aux vendeur.euse.x.s, livreur.euse.x.s de colis, ouvrier.ère.x.s d’usine ou sur les chantier, ou personnel soignant. Comme d’habitude, ce sont les personnes les plus précarisées et déjà en difficulté bien avant la crise, qui ont payé le coût, économique et humain, de cette pandémie. Le profit économique est placé avant les vies humaines. Confiner une université sert surtout à se donner une légitimité sanitaire pour laisser le capitalisme continuer à massacrer le corps social et l’environnement. Voilà des années que nos gouvernements réduisent les lits dans les hôpitaux, sont incapables de former suffisamment de personnel soignant et délocalisent des chaînes d’approvisionnement vitales à l’autre bout du monde, sans même daigner nous demander notre avis. Mais heureusement que nous avions miraculeusement trouvé la panacée à tout cela : applaudir le personnel soignant chaque soir à 21h ! 

” Confiner une université sert surtout à se donner une légitimité sanitaire pour laisser le capitalisme continuer à massacrer le corps social et l’environnement. “

Le contrôle d’une pandémie est toujours question d’intérêt politique. Nous avons vu comme le conflit sur les responsabilités fédérales portait finalement sur une seule chose : qui est-ce qui payerait la facture des entreprises fermées ? Et on aimerait nous faire croire que défendre les intérêts de nos pharmas et un nationalisme vaccinal aberrant est dans notre intérêt commun. Faire semblant de gérer la crise permet de faire oublier que l’impératif du profit dicte tout. Dans cette hypocrisie généralisée, le confinement de l’Université ne joue que le rôle de trompe-l’œil. Et ce sont toutes ces raisons qui font qu’aujourd’hui la CUAE ne peut pas revendiquer ouvertement un retour au présentiel dans un cadre sécurisé.

L’Université elle-même, dans son champ d’action, ne fait pas exception à la règle du profit. En ouvrant grand, entre autres, ses programmes de cours aux plus grosses banques de la planète, elle produit depuis de nombreuses années les petits soldats du capitalisme anthropophage de demain. Et ce sont ces mêmes banques qui investissent des milliards dans les énergies fossiles et la déforestation, dont les conséquences sur l’environnement sont à l’origine de la multiplication des pandémies. La période de crise que nous vivons n’aura au final rien remis en question, ou si peu. Elle aura surtout accentué un rôle parfois néfaste que notre institution joue dans la société. L’obstination du rectorat à vouloir donner une valeur marchande aux diplômes qu’il délivre, en autorisant des logiciels espions comme TestWe, au détriment de la santé mentale des étudiant.e.x.s, n’est qu’un aperçu des logiques capitalistes universitaires. Et l’accumulation ne doit jamais ralentir. Le gouvernement et l’Université ne l’ont que trop bien compris et continuent, chacun de leur côté, à aggraver la situation, persuadés que suivre encore et toujours les règles de leur système gangrené est la seule voie possible. 

Aujourd’hui, ce sont tous les systèmes de domination qui doivent être questionnés, combattus, renversés, car ce sont eux qui rendent le distanciel ou le présentiel invivables. 
Pour que l’on ne se retrouve plus à devoir trancher entre les impacts désastreux du présentiel et les impacts désastreux du distanciel. 
Pour faire face aux problèmes urgents et préparer l’avenir. 
Pour que l’on puisse enfin gérer cette crise collectivement, démocratiquement. 
Car la conclusion est sans appel : si l’université ne change rien, elle ne sera pas plus capable de gérer les futures crises que notre époque porte en son sein. Sans parler des éventuelles énièmes vagues de Covid-19. Ce changement met en jeu sa légitimité, mais aussi et surtout sa survie. 

” Aujourd’hui, ce sont tous les systèmes de domination qui doivent être questionnés, combattus, renversés, car ce sont eux qui rendent le distanciel ou le présentiel invivables. “

En parallèle d’une lutte pour des changements structurels, la CUAE exige que le rectorat fasse tout ce qui est en son pouvoir pour rendre cette période la plus supportable possible pour les étudiant.e.x.s. 
Nous avons ainsi formé un groupe de travail ouvert qui a obtenu des repas complets à 3CHF dans les cafétérias à partir du 1er mai. Cette mesure vise à redonner un aspect plus social aux repas, en y retirant une partie de l’échange purement marchand. Mais cela peut également retirer un poids des épaules des étudiant.e.x.s précaires pour qui se payer à manger est de plus en plus difficile, en témoigne le succès de l’épicerie La Farce
Outre les revendications que nous portons, depuis plus d’un an pour certaines (2), nous demandons qu’une semaine de révision soit mise en place dans toutes les facultés où ce n’est pas encore le cas.
Et, plus généralement, nous demandons que la démocratie à l’université ne soit plus une simple mascarade. 
Nous demandons également une réduction généralisée de la charge de travail dans tous les cursus universitaires et, pour alléger la charge du corps enseignant, nous demandons plus de postes stables d’enseignement (chargé.e.x.s de cours, chargé.e.x.s d’enseignement, etc). 
Améliorons immédiatement nos conditions d’études mais n’oublions pas vers où nous voulons nous diriger.
Vers une université auto-gérée par les étudiant.e.x.s et les enseignant.e.x.s.
Vers une université critique et détachée des logiques marchandes.
Vers une université qui nous ressemble. 

Notes
(1) Pour une réflexion sur la gestion de la crise : Article Jusqu'à quand de la CUAE.
(2) Pour un aperçu de nos revendications : ici ou ici