Hausses des taxes et marchandisation de l’éducation : quels discours pour faire accepter l’inacceptable ?

Suite à l’instauration de frais d’inscription à l’Unige, l’automne 2016 avait été agité en terme de contestation étudiante à Genève. En automne 2017, l’agitation s’est emparée d’autres universités de Suisse où les étudiantes* se mobilisent contre l’augmentation des taxes universitaires. Tour à tour, les étudiantes de Bâle, Zürich, Lausanne et Fribourg sont montées au créneau afin de défendre une éducation publique et accessible à toutes. Si à Bâle, une hausse des taxes d’études est en phase de consultation, des hausses allant jusqu’à 500 francs par an ont été décidées et rentreront prochainement en application dans d’autres universités suisses. La mobilisation a probablement été la plus intense à Fribourg où les étudiantes ont très vite compris que cette hausse revêtait des objectifs idéologiques clairs de privatisation de l’Université et de désengagement de l’État du domaine de la formation. La conception de l’éducation sous-jacente à la rhétorique accompagnant ces récentes augmentation des taxes est pour plusieurs raisons inquiétante et mérite que l’on s’y intéresse.

Comment ne pas voir un lien entre la teneur de ces discours et le paradigme de l’université-entreprise, modèle théorique développé à la fin des années 90 et postulant dans le cadre de l’université, une gestion similaire à la gestion entrepreneuriale. Cette « nouvelle » gestion vise, notamment, l’abaissement des coûts de l’éducation et le désengagement progressif de l’État de sa responsabilité en matière de formation.

À Fribourg, des éléments se rattachant à ce paradigme de l’université-entreprise ont pu transparaitre dans les discours du rectorat afin de faire accepter cette hausse. Pour le rectorat, il est normal que les étudiantes participent au financement de leur université car la croissance de celle-ci, notamment le développement de ses infrastructures, leur profitera également (RTS, 18.10.17). Les défenseurs de l’université-entreprise et de la privatisation en découlant assument pleinement que l’augmentation des taxes universitaires est une source de financement alternative au désengagement de l’État. De plus, la décision de faire porter la responsabilité du financement de l’université de Fribourg à ses étudiantes ne rentre pas dans le cadre d’une cure d’austérité puisque en 2016, le canton réalisait un bénéfice de 100 millions. Dans le discours du rectorat fribourgeois, le caractère essentiel de l’éducation comme vecteur d’émancipation sociale est nié, de même que le report du financement de l’éducation sur les épaules étudiantes est assumé.

En outre, affirmer que les étudiantes doivent financer elles-mêmes leur université revient aussi à assumer le caractère marchand du savoir qui y est enseigné. L’éducation n’est pas un bien à caractère public mais il convient de la marchandiser d’avantage. Cette conception du savoir rappelle celle du professeur de l’Unige Denis Duboule, qui affirmait au micro de l’émission Forum en janvier 2016 à propos des coûts de l’enseignement supérieur : « Ils ne sont pas suffisamment élevés pour que les étudiantes se rendent compte de la qualité des enseignements et à quel point l’acquisition de connaissances est quelque chose de précieux ».

Alors que le coût réel des études (taxes d’études, logement, nourriture, assurances, etc.) en Suisse (près de 30’000 CHF par an et par étudiante) est déjà parmi les plus élevés au monde (RTS, 21.01.16), que la reproduction sociale n’est nulle part aussi forte qu’à l’Université (60% des étudiantes des universités suisses ont aussi un parent universitaire (OFS, 2013)), que 75% des étudiantes travaillent déjà en marge de leurs études (OFS, 2013), augmenter les taxes d’études semble être une priorité à l’agenda des tenants de l’université-entreprise. En effet, le caractère simultané de ces hausses des taxes (4 universités ou hautes écoles ont annoncé vouloir augmenter leurs taxes d’études à l’automne 2016) est révélateur de cette volonté d’évoluer toujours plus vers le paradigme de l’université-entreprise, et avec pour conséquence d’évoluer toujours moins vers une université accessible au plus grand nombre.

Dans cette perspective la tentative, à l’automne 2016, du rectorat de l’Unige d’instaurer une taxe d’inscription aux nouvelles étudiantes peut être considérée comme une conséquence de la mise en application du paradigme de l’université-entreprise. En effet, un service garanti par l’Unige jusqu’alors (l’inscription à l’Université) devenait payant et c’était aux étudiantes d’en assumer les frais.

Si la dernière hausse des taxes d’études universitaires date de 1994 à Genève, une tentative de faire porter la responsabilité du financement de leur université à ses étudiantes et d’augmenter indirectement le coût des études a essuyé un échec en 2016 suite à une forte mobilisation étudiante coordonnée par la CUAE. Au regard du caractère simultané de ces hausses et de la vision de l’éducation sous-jacente à celles-ci, il semble plus important que jamais de se solidariser des étudiantEs actuellement en lutte contre des hausses des taxes d’études. Personne ne défendra les conditions d’études des étudiantes, si ce n’est elles-mêmes. Pour une éducation de qualité, accessible à toutes & à l’abri des logiques marchandes, rendons-nous à Berne le 24 mars**.

* Les termes au féminin s’entendent au masculin et incluent toutes les identités de genre

** La CUAE organise un déplacement collectif en car à petit prix & ouvert à toutes le 24 mars (départ 10h de Genève, retour prévu aux alentours de 19). Il suffit d’envoyer un e-mail à cuae@unige.ch d’ici au 21 mars à minuit avec nom(s) & prénom(s). Des informations pratiques (heures précises, lieu de rendez-vous, etc.) vous seront communiquées.