L’apogée de la merde

La nouvelle est tombée il y a quelques jours : la rentrée universitaire sera accompagnée du pass sanitaire, qui devra être présenté pour aller en cours, à la bibliothèque, à la cafétéria et aux activités culturelles et sportives ainsi qu’à tout évènement rattaché à l’université. Si le COVID était déjà un gigantesque merdier, là, c’est l’apogée. En arriver à devoir sacrifier le libre accès à l’éducation et à l’information pour contenir la circulation du virus est choquant et révoltant.

Vous préférez la peste ou le choléra?

La polarisation du débat public entre “anti-pass” et “pro-pass” nous enferme dans une dichotomie stérile alors que la situation à laquelle nous devons faire face est très complexe. Ce climat destructeur rend impossible le développement d’une réflexion rationnelle qui permettrait de trouver une solution acceptable et collective.

Alors, anti-pass ou pro-pass? Dans quel camp se ranger lorsque les deux possibilités qu’on nous propose sont insatisfaisantes ? Accepter un contrôle continu discriminatoire afin de retrouver un rythme de vie “normal” ou préférer un taux d’occupation des salles à deux tiers synonyme de prolongation des problèmes liés à l’enseignement en ligne et de risques sanitaire plus élevés ? Comment choisir entre deux options entraînant la perte de toute une série de droits fondamentaux ?  

Si le passe sanitaire est à présent estimé nécessaire, c’est parce que la crise du COVID-19 a été gérée de manière néfaste depuis le début. N’est-il pas un peu facile pour les autorités de légitimer l’utilisation d’un outil aussi extrême pour nous sortir du pétrin dans lequel elles nous ont elles-mêmes fourré.e.x.s ? Nous refusons de nous laisser berner par l’argument qui présenterait le passe sanitaire comme l’unique solution, utilisée à présent à cause de “l’absence d’autres choix”. Les bons choix auraient dû être faits depuis le début de la pandémie, notamment en priorisant le social sur l’économique, et même avant, en prenant des mesures concrètes pour lutter contre le changement climatique, entre autres. 

La mise en place du pass sanitaire à l’université implique de graves problèmes. Le fait de subir des contrôles d’identité constants devient chaque jour plus proche de la réalité que de la dystopie. Rappelons également que pour de nombreuses personnes, telles que les personnes précaires, les personnes sans-papiers, les personnes racisées ou les personnes trans, la question du contrôle d’identité et du contact avec les agents de sécurité est un réel enjeu. Ce sont des situations dangereuses et humiliantes qui participent également à des dynamiques d’exclusion de l’espace public. En outre, prendre l’habitude d’être fliqué.e.x partout augmente notre tolérance vis-à-vis de la répression et de l’autoritarisme.

Le pass est clairement un outil nauséabond et son utilisation nous répugne.

Dans le cas de l’université, l’idée que l’éducation et l’espace public seront désormais soumis à un contrôle d’identité est terrifiante. Mais cette tendance n’est pas nouvelle et prolonge la dérive sécuritaire de notre société qui a lieu depuis le début de la crise. Au sein de l’université, elle s’est traduite par la surveillance sanitaire dans les bâtiments académiques effectuée par des agents de sécurité privés et par la surveillance numérique des examens en ligne. En dehors de ses murs, on a vu la “carte COVID” jouée plus d’une fois pour réprimer de manière accentuée les manifestations politiques.

Une situation sanitaire désastreuse

Nous refusons fondamentalement les limitations d’accès à l’éducation. Mais la réalité que nous subissons est autre que celle que nous souhaitons. Nous ne pouvons pas négliger et ignorer l’urgence de la situation sanitaire et la pertinence de l’application de mesures qui freinent l’avancée du virus.

La Suisse, et Genève en particulier, connaissent à l’heure où nous écrivons une augmentation drastique du nombre de personnes infectées et par conséquent du nombre de personnes décédées et se trouvent parmi les plus hauts en Europe. Face à ces chiffres épidémiologiques dramatiques, nous appelons à la solidarité et à la responsabilité collective pour arrêter l’évolution de la maladie. La vaccination contre le COVID, qui engendre tant de polémique, est néanmoins un outil pour combattre la pandémie. La nécessité d’atteindre l’immunité collective apparaît aujourd’hui plus importante que jamais. 

Alors certes, tout le complexe industrio-pharmaceutique qui est derrière la production des doses de vaccination bénéficie de la privatisation des modes de production. C’est intolérable. Nous aspirons à une société dans laquelle la santé publique sert tout le monde sans discriminations.

Mais l’enrichissement des grandes multinationales pharmaceutiques inhérent au système capitaliste, n’empêche pas la sûreté, l’efficacité, et l’importance de la vaccination.

Nous soutenons la vaccination car c’est un acte de solidarité avec les personnes à risque, les personnes vulnérables, les personnes précaires et les personnes avec peu de moyens – en d’autres termes, avec celleux qui souffrent le plus des conséquences de la pandémie.

Non à une solidarité hypocrite

La solidarité est donc indispensable. Nous déplorons pourtant qu’elle soit uniquement envisagée au travers d’un prisme individualiste dans lequel la responsabilité de la pandémie repose sur des gestes et attitudes individuelles. Pour qu’elle mérite son nom, la solidarité doit être collective et bâtie sur des liens sociaux égalitaires.

Entendre les puissants invoquer la solidarité pour promouvoir le vaccin fait saigner nos oreilles et nous révolte.

Où est leur solidarité quand les vaccins n’appartiennent pas au domaine public, quand les doses ne sont pas partagées à l’international et quand les actionnaires s’enrichissent avec les aides étatiques? 

Feu au capitalisme

A lui tout seul, le vaccin n’est pas suffisant. Il est aujourd’hui urgent de remettre en question les rapports sociaux et écologiques qui nous ont mené.e.x.s à une situation pareille. Il faut en finir avec le système capitaliste et toutes les dominations qui traversent notre société. Il est aberrant de continuer à vivre dans un système qui donne continuellement naissance à des crises de toute nature. Et l’université a assurément un rôle à jouer dans ce processus.

En effet, jusqu’ici, elle n’a pas assez mis son pouvoir politique et sa capacité à produire des savoirs critiques pour lutter contre la pandémie en questionnant le système qui l’a engendrée. Pour que l’université réponde à son devoir d’ouverture sur la cité, c’est surtout en temps de crise qu’elle doit agir pour le prouver. Elle doit, par sa production de savoir, contribuer à résoudre les problématiques majeures qui traversent la société, et œuvrer pour la justice sociale et un monde meilleur. Un des rôles de l’université doit être de penser le vaccin comme un outil parmi d’autres à disposition de la société, l’appréhender rationnellement pour dépasser les débats polarisés mentionnés plus haut. Elle a aussi un autre rôle important dans l’information et la sensibilisation de l’entièreté de la population.

La santé est une question politique ! Il faut donc remettre en question le système politique dans lequel elle s’inscrit.

Il est nécessaire d’avoir un système de santé publique, de qualité, 100% gratuit, et accessible à tout le monde.

Les gouvernements doivent mettre fin au droit de propriété intellectuelle sur les brevets des vaccins, afin que les pays qui le peuvent en produisent pour celleux qui en ont besoin. L’Occident doit cesser son monopole sur les doses de vaccination, et rendre accessible le vaccin au reste de la population mondiale qui souffre toujours de plein fouet la pandémie.

Notre position et nos revendications

Nous détestons voir le pass dans les murs de l’université. Toutefois, le refuser purement et simplement nous semble presque délétère à l’heure actuelle. Nous optons donc pour une approche plus pragmatique à cette question épineuse. Nous dressons ici une série de revendications qui sont les conditions indispensables pour rendre l’utilisation du pass sanitaire tolérable. Si la volonté de l’État et de l’université est véritablement d’endiguer la pandémie, il est temps qu’iels allongent la monnaie. 

Gratuité des tests et du matériel sanitaire

  • Des tests rapides doivent être accessibles et gratuits pour l’ensemble des étudiant.e.x.s, pendant tout le temps que le certificat COVID sera mis en place à l’université.
  • Du matériel sanitaire (masques et solution hydroalcoolique) doit être fourni gratuitement et en masse aux étudiant.e.x.s au moins pendant l’ensemble du semestre.

Accès serein aux vaccins

  • La campagne de vaccination prévue pour la semaine de la rentrée doit être renforcée et rallongée, afin de permettre au plus grand nombre possible d’étudiant.e.x.s de recevoir le vaccin. Cette campagne de vaccination doit être accompagnée d’une campagne de sensibilisation et de communication autour de l’importance de la vaccination pour la santé collective.

Accès à la formation

  • Aucune conséquence académique ou administrative ne doit avoir lieu en cas d’absence aux enseignements
  • L’intégralité des cours doit être enregistrée, afin que tout.e.x étudiant.e.x puisse suivre les cours à distance.

Protection des personnes et de l’identité

  • La vérification des certificats COVID ne doit pas être faite par des agents de sécurité, mais par des travailleur.euse.x.s sociales.aux. De plus, aucun contrôle en dehors des activités rattachés à l’université ne doit être effectué au sein des bâtiments universitaires.
  • Des garanties et une politique transparente doivent être mises en place vis-à-vis de l’utilisation des données récoltées lors des vérifications du certificat COVID.

Accès aux espaces publics

  • Les bâtiments universitaires doivent demeurer accessibles sans pass sanitaire.

Durée limitée

  • Des garanties doivent être données quant à la fin du certificat COVID le plus vite possible, dès que la pandémie le permettra. Cette situation exceptionnelle ne doit aucunement être prolongée.

Engagement politique de l’université

  • Le rectorat doit publiquement prendre position et défendre la suppression des brevets de vaccination et prôner une distribution des vaccins plus juste à l’échelle mondiale.
  • Les décisions qui sont prises et qui impactent l’ensemble du corps étudiant doivent passer par les organes démocratiques et représentatifs de l’université, en intégrant l’avis des étudiant.e.x.s et au nom de leurs intérêts.