LA LOI SUR LA LAÏCITÉ, OU COMMENT RENDRE L’ÉDUCATION PLUS INACCESSIBLE

 

La CUAE, syndicat estudiantin, prend position concernant le référendum sur la loi sur la laïcité de l’Etat (LLE), objet des votations du 10 février prochain. Considérant que l’éducation doit être accessible à tou.te.x.s, il nous apparaissait nécessaire d’exposer les conséquences néfastes qu’aurait cette loi, notamment dans le cadre des lieux de formation.

 

Tout commence pendant l’été 2013, où un projet de loi voit le jour à l’initiative de Pierre Maudet alors en poste au Département de la Sécurité et de l’Economie (DES). Ce projet vise à préciser la notion de laïcité, principe fondateur de l’Etat. Il s’agit de légiférer sur la place du religieux dans la société actuelle, de « donner les moyens nécessaires au maintien de la liberté et de la paix religieuses à Genève »[1]. Dès son adoption par le Grand Conseil genevois en avril 2018[2], quatre référendums voient le jour à l’initiative de la « Coordination référendaire contre une loi sur la laïcité contraire aux droits fondamentaux » et sont soumis à la votation ce 10 février.

 

Que prévoit la loi sur la laïcité de l’Etat ?

 

La LLE permet au Conseil d’Etat de « restreindre ou interdire, sur le domaine public, dans les bâtiments publics, y compris les bâtiments scolaires et universitaires, pour une période limitée, le port de signes religieux ostentatoires » et ce, « afin de prévenir des troubles graves à l’ordre public » (art. 7 al.1 LLE).

 

Cet article, amendé en dernière séance sous l’influence des élu.e.s PLR, est ajouté « à des fins préventives » ; les situations dans lesquelles il serait appliqué demeurent floues[3]. Une chose est sûre, le Conseil d’Etat se réserve désormais le droit d’interdire l’accès au domaine public au motif du port de signes religieux. Il y a de quoi s’alerter quand on connaît les tendances islamophobes de certain.e.x.s décideureuses politiques. Quoiqu’il en soit, avec cette loi, la pratique de stigmatisation est rendue légale.

 

Un faux débat qui vient de loin

 

Genève n’est pas la première ville à connaître des débats autour de la laïcité. En France, suite à « l’affaire du foulard », une loi sur la laïcité est adoptée en 2004[4]. Elle prévoit l’interdiction du port du voile islamique en particulier dans les bâtiments scolaires. Les arguments pro-loi portent plus sur un argumentaire égalitariste que sur des enjeux de paix religieuse et de bien vivre ensemble. Le foulard est considéré comme LE symbole de l’inégalité entre femmes et hommes et doit, à ce titre, être interdit[5]. Ce sont des préoccupations dites « en faveur de l’égalité entre hommes et femmes » qui vont justifier l’adoption d’une loi sur la laïcité, démontrant ainsi l’instrumentalisation d’enjeux féministes au service de l’islamophobie, le tout sous couvert de débat sur la laïcité.

 

Dans le cas genevois, ce ne sont pas des considérations pseudo-égalitaristes qui sont derrière cette loi, mais bien une tendance sécuritaire. On peut alors raisonnablement se demander si le vrai but de cette loi ne serait pas de restreindre sur le domaine public « les risques » qui seraient incarnés par des personnes arborant certains signes religieux. Faire l’association entre port de certains signes religieux et risque à l’ordre public c’est sans fondement. Et par ailleurs, même si le foulard islamique en tant que tel n’est cité qu’en exemple, il constitue bien la raison des articles en question de cette loi. En France comme en Suisse, des arguments paternalistes et pseudo-égalitaires ainsi que sécuritaires restreignent la liberté de choix de certaine.x.s[6].

 

Quelles conséquences dans les lieux de formation ?

 

Le coût des études, des loyers, de la nourriture, des assurances-maladies conditionne déjà l’accès à l’éducation et aux formations post-secondaires. On voit mal quel besoin y a-t-il à rajouter une barrière à l’éducation en interdisant l’accès à l’université aux personnes arborant des signes religieux. On serait loin d’une université qui se revendique comme un espace ouvert, de circulation, de partage et de transmissions des savoirs.

Ce n’est pas seulement l’accès aux salles de classes qui est restreint mais également celui à des formations en emploi et à des formations professionnalisantes prévoyant des stages obligatoires (par exemple dans des institutions publiques comme des hôpitaux). C’est donc l’ensemble de nos formations qui est ainsi touché.

 

En bref, cette loi restreint l’accès à des services publics à un certain groupe de personnes : c’est ce que l’on appelle de la discrimination.

 

La votation du 10 février rappelle la nécessité de s’informer sur ces sujets auprès des personnes concernées, de soutenir les initiatives et les moyens de luttes comme ce référendum afin de mieux combattre les projets discriminatoires à l’image de cette loi et de condamner les déclarations et attitudes « décomplexées » qui, au nom de la liberté d’expression, ne font que faire perdurer la société islamophobe.

 

Nous témoignons notre soutien à toutes les personnes et collectifs qui se mobilisent contre cette loi et contre les politiques islamophobes et discriminatoires et continuerons à revendiquer une éducation accessible à tou.te.x.s !

 

 

Pour aller plus loin 

 

Zahra Ali, Féminismes islamiques, La Fabrique, 2012.

Mon cher hijab, https://lmsi.net/Mon-cher-Hijab

Lalaab, http://www.lallab.org/

Faites des Vagues

Un racisme à peine voilé

et bien d’autres….

 

Glossaire

 

Le trouble à l’ordre public 

La notion de « troubles (graves) à l’ordre public » renvoie à une situation dans laquelle l’Etat considère que la sécurité intérieure est ou peut être menacée. C’est une notion floue et imprévisible pour les personnes ne connaissant pas en détails la pratique juridique en la matière. Dans le cadre de la loi sur la laïcité, on imagine qu’à l’annonce de rassemblements ou d’évènements politiques ou culturels sur le domaine public (la rue, l’université, etc.), liés à des questions religieuses, le Conseil d’Etat pourrait décider d’interdire le port de signes religieux.

 

Le principe de laïcité

Le principe de laïcité consacre la neutralité religieuse de l’Etat. Autrement dit, l’Etat doit être indépendant des communautés religieuses et ne pas en favoriser certaines par rapport à d’autre. Les autorités étatiques et religieuses doivent être séparées.

 

 

[1] https://www.ge.ch/document/grand-conseil-adopte-loi-laicite-etat

[2] https://www.ge.ch/legislation/modrec/f/11764.html

[3] La notion de « signes religieux ostentatoires » n’est par exemple pas définie. Dans la presse, certain.e.x.s député.e.x.s (source) expliquent qu’il s’agirait des signes extérieurs « les plus visibles ». L’exemple qui ressort le plus souvent c’est le foulard islamique. De plus, la notion de signe religieux peut s’entendre d’une manière objective (l’objet ou le vêtement en lui-même constitue un signe religieux) mais aussi d’une manière subjective (l’objet fait référence, fait penser à un signe religieux ou peut être assimilé à une communauté religieuse). Tout dépend donc de l’interprétation qu’en auront les décideureuses politiques.

[4] http://www.lallab.org/4-raisons-pour-lesquelles-la-loi-de-2004-est-antifeministe/

[5] Christine Delphy, « Antisexisme ou antiracisme ? Un faux dilemme », in « Sexisme et racisme : le cas français », Nouvelles Questions Féministes, vol 25, n°1, 2006, pp.59-83.

[6] http://www.lallab.org/4-raisons-pour-lesquelles-la-loi-de-2004-est-antifeministe/

Comme Kharach le dit: « […] chacune devrait pouvoir choisir la manière dont elle s’habille et dont elle souhaite se présenter à autrui. Que ce soit un pantalon, une jupe, des cheveux bleus, ou un foulard, porter les vêtements de nos choix, c’est exercer sa liberté, s’affirmer et mettre en avant sa personnalité ; ce qu’on est. Retirer ce droit aux individus, c’est nier leur identité profonde et aller à l’encontre d’un fondement du combat féministe.»