La participation utilisée contre la démocratie

Quiconque a fréquenté une séance de l’un des conseils participatifs de l’université est conscient des limites de l’exercice. Les questions véritablement intéressantes pour l’avenir de l’université ou de la faculté concernée sont en général passées sous silence, les professeurEs n’entendant pas que des étudiantEs [1] se mêlent de questions telles que les budgets ou les nominations du corps enseignant, questions qui – c’est tellement évident que personne ne songe même à y réfléchir sérieusement – sont au-dessus de leur compétence. Par conséquent, ces différents conseils sont en général repourvus tacitement, et les quelques élections ouvertes ne connaissent qu’une participation minimale. Les étudiantEs ne montrent qu’un intérêt très faible pour ce processus participatif, et ils ont bien raison. Bien loin d’un véritable idéal démocratique qui verrait la communauté universitaire prendre en main à la fois la stratégie globale de l’université et ses propres conditions de travail ou d’études, la vision que les dominants (autorités universitaires, professeurEs en général, mais aussi le champ politique qui définit la structure de l’université) ont de la participation est celle d’une procédure uniquement consultative visant à légitimer leurs propres décisions, et à en obtenir une application efficace à moindres frais.

Le récent exemple de l’organisation du forum uni-emploi [2], organisé « en collaboration » avec quelques associations d’étudiantEs, a vu celles-ci systématiquement écartées des choix stratégiques sur le fond (en particulier dans les priorités données aux entreprises privées par rapport aux organisations à but non lucratif). En revanche, la participation de leur membres étudiantEs est bienvenue lorsqu’il s’agit de fournir pratiquement gratuitement le travail d’encadrement du forum [3].

Un autre danger de la participation est la légitimité qu’acquièrent par ce biais les institutions au service des dominants. La présence d’unE étudiantE dans une structure décisionnelle collective peut donner l’impression que les décisions qui en émanent sont le fruit d’un consensus obtenu pour le bien de toute la communauté universitaire, alors que la pratique montre que les étudiantEs sont en général systématiquement minoriséEs. Qui plus est, la hiérarchie de l’université n’hésite pas à contourner les décisions de ces organes participatifs lorsqu’elles sont contraires à ses visées.

Le récent exemple de la transformation de la session d’examens de septembre en un simple rattrapage par le décanat de la faculté des lettres donne un excellent exemple du mépris des dominants pour les institutions qu’ils ne peuvent entièrement contrôler [4]. Face à ce danger d’une récupération de la participation par les structures dominantes de l’université pour renforcer et légitimer leur pouvoir, nous devons réaffirmer nos revendications pour l’instauration d’une véritable démocratie interne.

La création d’une assemblée de l’université représentant les quatre corps de façon paritaire et constituant l’organe suprême de l’université est le premier pas vers ce but, et c’est ce que se propose d’atteindre l’initiative « pour la démocratisation de l’université » déposée par la CUAE. Enfin, il importe de tenir compte que la voie institutionnelle, que ce soit via les assemblées ou l’utilisation de la démocratie directe, n’est pas l’unique possibilité pour améliorer les conditions de travail, d’études et de vie de la communauté universitaire, et que différents moyens (action directe, mobilisation associative, manifestation, grève, etc.) doivent être envisagés en parallèle.

[1] Ces considérations sur la participation des étudiantEs sont également valables pour les autres corps dominés de l’université : corps intermédiaire et personnel administratif et technique.

[2] Manifestation organisée par le centre uni-emploi et visant à faciliter aux entreprises privées l’accès au « capital humain » form(at)é par l’Université de Genève. Conformément à ses statuts prônant « une vision anticapitaliste de l’éducation », la CUAE est fermement opposée à la tenue de cette manifestation dans le cadre de l’université.

[3] La majorité des prestations demandées aux associations l’a été de manière bénévole, pour le plus grand bénéfice de l’organisation du forum et des multinationales qui y participent.

[4] Notons toutefois que le doyen affirmera dans la lettre expliquant sa décision aux étudiants « prendre en compte quelques-unes des remarques de membres du Conseil de Faculté », afin de renforcer sa légitimité. Pour notre part, nous eussions préféré qu’il accepte simplement la décision du dit conseil, compétent pour les modifications du règlement d’études.