« Non c’è più morale, Contessa … »

Après la déclaration de Bologne qui a pour but entre autres de rendre les porteurs de diplômes universitaires plus rapidement employables par l’économie, c’est au sujet du financement des études que les milieux économiques s’immiscent une nouvelle fois dans l’éducation. Récemment ils ont proposé par le biais d’économie suisse, d’Avenir suisse et du cercle d’étude capital et économie, d’augmenter les taxes universitaires à 5000 francs par année. Cette proposition émane d’un certain Xavier Comtesse directeur d’Avenir suisse, boîte à idées, qui regroupe les 14 multinationales les plus puissantes de Suisse.

Cette augmentation serait au bénéfice des étudiants puisqu’elle permettrait d’accroître le nombre de professeurs. L’argument avait déjà été utilisé en 1995 pour l’introduction des taxes universitaires, mais force est de constater avec huit ans de recul que bien au contraire le taux d’encadrement a diminué.

M. Comtesse pense aussi aux contribuables qui selon lui n’ont pas à supporter l’augmentation du nombre d’étudiants par leurs impôts, d’après lui la formation doit être envisagée comme un investissement, puisqu’elle permet de mieux gagner sa vie. Il omet de préciser qu’une large partie des étudiants paye des impôts, devant travailler pour prendre en charge les dépenses liées à leurs études et les taxes actuelles, qui ne sont d’ailleurs pas déductibles. M. Comtesse n’envisage pas non plus les conséquences sur ces mêmes contribuables. En effet, les porteurs de diplômes seront bien obligés de répercuter les coûts de leur formation sur leurs services par des tarifs plus importants, pénalisant ainsi la population, comme c’est déjà le cas dans les pays qui ont adopté ce modèle.

Malgré tout, Avenir suisse nous rassure, les bourses permettront aux étudiants de milieux défavorisés d’entreprendre quand même des études. Les étudiants issus de la classe moyenne ne peuvent pas bénéficier de ces bourses, puisque leurs parents gagneraient trop d’argent, mais comment ceux-ci pourront-ils financer les études de deux voir trois de leurs enfants ? Ce d’autant que la tendance actuelle vise à supprimer les bourses au profit de prêts remboursables au terme de la formation. Alors que cette proposition arrive au moment où les universités suisses se doivent d’introduire le modèle de Bologne (filière d’étude en 3 ans pour un bachelor, 2 ans supplémentaires pour un master), il semble évident, que les étudiants qui se sont déjà endettés pour obtenir leur bachelor seront réticents à poursuivre leurs études jusqu’à l’obtention du master. Il apparaît dès lors de façon évidente que ces deux réformes appliquées de manière quasiment simultanée auront pour effet d’introduire un système éducatif à deux vitesses : celle de ceux qui pourront se payer des études et obtenir un master et celle des autres qui n’auront pas les moyens d’aller au-delà du bachelor. Même si les universités romandes admettent que le master est le terme normal des études, la CUS (conférence universitaire suisse) précise que le bachelor est suffisant pour entrer dans le monde du travail. Tout en sachant que les exigences de l’économie fluctuent selon le marché du travail.

La vigilance s’impose face à cette proposition, puisqu’une fois le débat amorcé, la gratuité des études ne sera même plus discutée, la seule question sera à combien porter les taxes universitaires : M. Comtesse dit 5000.-, M. Kleiber propose 4000.-, M. Buschor parle dans un premier temps de doubler les taxes actuelles, qui dit mieux ?

L’éducation est un droit qui ne doit pas être soumis aux lois de l’économie. Ce n’est pas parce que la Confédération décide d’économiser 387 millions de francs sur l’éducation, que ce droit doit être balayé.

Texte paru dans la revue Arobase, mars 2004