Contexte politique tendu [Regard Critique n°36]

Contexte politique tendu : la gôche majoritaire au gouvernement et l’illusion d’unanimité ou comment le PS et les vertes vous font croire être les maîtres à bord pour le plus grand profit et la plus grande joie de leurs copines de droite qui ne passent même plus pour des méchantes destructrices de l’état aux yeux de l’électorat qui ne sait plus qui croire.

Vous croyiez qu’à Genève on ne fait rien comme les autres et qu’on est incapable d’avoir des politiques de compromis(sion) ? Détrompez-vous ! Au moins depuis que l’on connaît la « cohabitation » [1] on en est capable. Du coup, beaucoup considèrent à tort que quand une loi est votée par tous les partis, il s’agit d’une loi « équilibrée » [2] Voici une petite réflexion sur le contexte politique genevois et le discours dominant habituel qui tend à tout rendre technique et apolitique.

Cohabitation et compromission : un jeu « win-win [3] »

Que la gôche se compromette pour accéder au gouvernement n’est pas nouveau [4]. La seule différence c’est que pour la première fois elle gouverne en se croyant majoritaire alors que tant que le Grand Conseil est tenu par la droite elle ne le sera pas. Du coup, et ce n’est pas un scoop, le pouvoir suprême n’est pas l’exécutif mais le législatif [5]. Le PS et les vertes le savent très bien, elles ont juste fait semblant de ne pas s’en rappeler et martèlent à qui veut l’entendre qu’elles sont aux affaires. Évidemment, il y a un vrai enjeu à rester au pouvoir : ça rapporte des postes et ça permet de faire une campagne permanente grâce à la « couverture » médiatique ! La droite se tait : sa politique est appliquée par d’autres sans qu’elle ait trop à se fatiguer. C’est ce qu’on appelle un jeu win-win, tout le monde est gagnant. C’est ainsi qu’il faut comprendre l’excellente « coopération » entre les partis de droite et de gôche [6].

Les conséquences d’une telle pratique des deux « grands » partis de gôche peuvent apparaître comme graves. Depuis la « cohabitation », la politique du gouvernement ne connaît pas d’opposition au parlement… si ce n’est celle de l’extrême droite démagogue et parfois des libéraux les poussant à aller « plus loin ». Bien plus grave encore, le PS et les vertes ne manifestent plus, ne récoltent plus de signatures, bref ne contestent plus [7]. Cela donne une impression d’unanimité. Cela donne l’impression que les lois sont « équilibrées » alors que la période n’est pas au répit [8]. En résumé, on constate que ces deux partis de gôche se profilent désormais exclusivement comme des partis « gouvernementaux » habitués au pouvoir et s’habituant à avoir comme but principal la conservation de parcelles de pouvoir (et non pas la conquête du pouvoir et encore moins un projet politique de transformation de la société comme ils le prétendent à longueur d’année). Faire le constat de l’abandon du terrain politique qu’est la rue [9] ne peut que confirmer l’impression d’acceptation de la politique actuelle : les « militantes » devaient être bien fatiguées d’être dans l’opposition et contentes de devenir « membre » d’un club qui a deux conseillères d’états, et donc deux départements avec tous les postes de fonctionnaires à distribuer. Le passage de la gôche de l’opposition au pouvoir, c’est aussi la professionnalisation des partis avec tous les intérêts économiques en jeu [10]. D’ailleurs, combien de « militantes » autrefois d’extrême gôche ont pris une carte au PS à l’annonce de la possibilité d’un poste ?

La fin de la politique ou pourquoi il ne sert à rien de débattre.

Mais ne vous inquiétez pas ! Selon eux-mêmes, le PS et les Vertes sont toujours de gôche. Ce n’est pas qu’elles ont viré à droite en même temps qu’elles accédaient au pouvoir, c’est simplement que maintenant c’en est fini des luttes idéologiques. En fait, dans leur discours « idéologie » est péjoratif puisqu’il se rapporte à une page sombre de leur histoire, où les gens luttaient encore pour essayer de changer l’organisation de notre société en un système plus juste. L’idéologie, c’est bon pour les marginaux [11] ! Place au gouvernement « responsable  [12]», celui qui ne fait pas de la politique mais qui gouverne à la manière d’une manager ou d’une cheffe d’entreprise. En cela, le discours du PS et des Vertes est en tout point semblable à celui d’une libérale [13]. En l’absence d’idéologie, ou autrement dit de conception différente d’une société, il ne sert à rien de débattre des lois ou de leur pertinence. On peut y voir la fin de l’histoire ou du moins de la politique. Étant tous d’accord sur la direction à prendre (le fameux « consensus » [14]) , il ne sert à rien d’allonger les débats. Le « consensus » c’est la fin de la contestation, le début de l’acceptation du pire, ou du moins, le début de l’acceptation de la politique de « l’autre », la droite, c’est-à-dire l’acceptation par la gôche gouvernementale d’une politique intrinsèquement anti-social(ist)e sous le couvert qu’il ne s’agit pas de politique (au sens idéologique) mais de « bonne gouvernance ».

Instrumentalisation accrue des lois ou pourquoi la presse n’a plus de journalistes mais que des laquais aux services des puissantes et qu’elles sont prêtes au pire pour s’y maintenir.

Le seul débat possible, mais souvent occulté puisque les partis gouvernementaux se partagent l’élaboration des lois, est celui portant sur les mesures d’applications et les indicateurs servant à l’évaluation d’une loi. Il s’agit de choisir les « bonnes » mesures, celles qui permettent d’accroître le contrôle social et la politique de désengagement de l’état, faussement appelée politique de « responsabilisation individuelle  [15]». Il s’agit de choisir les « bons » indicateurs, ceux qui mettront le plus en évidence la « qualité » du travail effectué par tel département ou tel parti politique. Ainsi, les lois ne sont plus la solution trouvée par notre classe politique pour répondre à un problème de société mais un outil de propagande partisan. A chaque projet de loi correspond sa conférence de presse qui mettra en avant tour à tour telle ou telle conseillère d’état. Dans une telle optique, leur évaluation sert avant tout à mettre en avant la réussite que constitue telle ou telle mesure [16]. Les conseillères d’états se profilent grâce à « leur » loi – puisqu’elles se les partagent – profitant de la paresse des médias et de leur allégeance pour répandre leur propagande. On le voit bien, la politique est d’avantage déterminée par des questions de marketing que par le contenu des projets. Le timing ou la mise à l’agenda est logiquement soumis à la même règle. Elles ne font plus une loi au « bon » moment pour répondre à un problème, elles font une loi au moment « opportun », au moment où les médias ont bien préparé le terrain [17], au moment où cela assoit leur base électorale. La politique n’est plus un enjeu noble de transformation de la société – si elle l’a été une fois – mais un enjeu de conservation du pouvoir. Autrement dit, on fait de la politique pour faire de la politique, on fait des lois pour continuer à en faire, pour se maintenir au pouvoir et distribuer des places à ses copines. Dans un tel contexte, celles qui faisaient confiance ou avaient des espérances dans le jeu politique peuvent déchanter. Les élues sont prêtes à tout, à retourner leur veste comme suivre le sens du vent. Et peu importe que le vent nous mène droit dans le précipice, il faut le suivre.

Face à ce constat, il nous faut résister avec tous les moyens à disposition : C’est pourquoi la CUAE vous appelle à voter NON à la loi sur l’université ! Le 30 novembre prochain.


1. Pour rappel : Conseil d’État majoritairement de gôche (2 « Verts » et 2 « Socialistes » sur 7) et Grand Conseil majoritairement à droite (avec une belle dose d’extrême droite).

2. La loi sur l’université est un exemple récent.

3. Le jeu win-win est un type de jeu dérivé du « choix rationnel ». Dans ce type de jeu, les deux « joueurs » sont gagnants (d’où son nom « win-win ») s’ils coopèrent. Une des questions qui restent en suspens est le partage des bénéfices. Nous le verrons dans cette étude du cas genevois, dans un jeu win-win on trouve toujours une solution acceptable pour les deux « joueurs ».

4. On ne va pas refaire un cours d’histoire politique suisse mais on a, en Suisse, ce qu’on appelle la « cooptation » : T’arrive pas à faire taire ton adversaire politique ? Intègre-le au gouvernement, il fermera sa gueule et tu pourras continuer ta politique. C’est ce qu’à fait le PRD en intégrant successivement le PDC puis l’UDC et enfin le PS au gouvernement fédéral. Avant cela le PS, s’était déjà compromis dans des gouvernements cantonaux.

5. Locke, en 1690 déjà, l’avait compris.

6. La loi sur l’université nous fournit exemple récent, Bertinat (UDC) allant même jusqu’à féliciter Beer (PS) et Dreifuss (PS).

7. Nous ne parlons même pas des autres formes de contestation politique totalement étrangères aux bobos qui forment l’essentiel des membres du PS et des vertes.

8. Les lois « sociales » sont un bon indicateur. Le durcissement de l’aide sociale, l’augmentation des critères de restriction, des changements fondamentaux dans l’utilisation que l’Hospice Général fait de son parc immobilier (la perspective de gain en période où les loyers prennent l’ascenseur éclipse les besoins d’habitats des plus pauvres), la criminalisation des contestations politiques, les restrictions du droit de manifester sont autant d’exemples de comment le contrôle social s’accroît dans différents domaines. Les conseillers aux états de gôche l’ont tous très bien compris et appliquent, chacun dans son domaine et département respectif, la consigne à la lettre.

9. Parce que c’est dans la rue qu’on manifeste et qu’on récolte des signatures, son abandon signe l’arrêt d’une politique d’opposition. Désormais, le PS est les vertes se contenteront du 1er mai et c’est déjà bien suffisant ! (Nous, nous préférerions qu’elles ne viennent plus puisque c’est sensé être la fête du travail et des travailleuses et non l’apologie de la compromission avec le patronat.)

10. Ueli Leuenberger, nouvellement élu président du parti national des vertes, a d’emblée annoncé la professionnalisation du parti comme un de ses objectifs.

11. Comprendre les communistes, l’extrême gôche et la CUAE.

12. Une fois de plus, l’utilisation d’un tel terme n’est pas anodin. Un peu à la manière de « l’autonomie » de l’université qui s’oppose à « dépendance » et « soumission », un gouvernement « responsable » s’oppose à un gouvernement… « irresponsable ». Traduction : ceux qui croyaient qu’une fois au pouvoir elles allaient l’utiliser pour faire passer un programme politique se trompent ! Une fois au pouvoir, la gôche se « responsabilise », elle fait passer le programme de la droite à sa place. C’est ça la « bonne gouvernance ».

13. Toutefois, ne vous méprenez pas ! Même si les libéraux vous semblent tenir des discours très idéologiques avec ses théories néo-libérales du désengagement de l’état et de marchandisation de l’ensemble de la société sans restriction (sauf peut-être la justice mais même ça ils n’en sont pas sûr); le néo libéralisme n’est plus une idéologie c’est « la réalité de notre temps ». Ainsi, personne n’oserait affirmer que les libéraux ont une posture idéologique. Non, lui, eux sont « bien ancrés dans notre époque » en nous proposant des mesures extrêmement conservatrices.

14. Désengagement de l’état, mise en concurrence des services publiques sur la base de ce qui se pratique dans le secteur privé et accroissement du contrôle social.

15. Et d’ailleurs on voyait fleurir en période électorale sur les espaces d’affichage publique le slogan « libre donc responsable » qui était alors l’apanage d’un parti de droite. Ce slogan, qui ne nécessite aucune explication et ne souffre d’aucune critique possible, est aujourd’hui repris par la gôche gouvernemental. Qui oserait être contre la liberté et la responsabilité individuelle ?

16. L’évaluation de la « performance » des offices privés de placements de chômeurs est un bon exemple. On occulte plusieurs indicateurs importants pour permettre aux expertes de conclure que « toute chose étant égale par ailleurs » – ce qui en l’occurrence ne l’était pas – les offices privés trouvent plus rapidement du travail aux chômeuses. Sans non plus se soucier du « bien-être en emploi » (quel oxymore !) ou de l’adéquation entre les aspirations des chômeuses et la place trouvée. D’une manière générale, les milieux académiques sont complices puisqu’on retrouve de nombreuses professeures parmi les expertes.

17. Comme pour les chiens dangereux, un problème devenu urgent et important au fur et à mesure que sa « couverture » médiatique occupait les laquais de la Tribune de Genève.