Les bibliothèques et le rectorat, une histoire d'égo [Regard Critique N°40]

La réforme des bibliothèques est significative de la tendance dans laquelle s’inscrit le rectorat pour administrer l’université et des méthodes qu’il emploie. Pour cette réforme, il n’a pas discuté avec les personnes concernées, s’est comporté comme le pire des employeurs, a fait appel à un consultant externe plutôt que d’utiliser les compétences présentes dans l’institution qu’il dirige. Il ne s’agit pas ici à proprement parler d’une nouveauté. De mémoire d’étudiante le rectorat a toujours eu horreur de la concertation et s’est toujours comporté comme un organe au dessus de tout contrôle, ne devant rendre de comptes à personne surtout pas aux membres de l’université. On avait déjà écrit dans un Regard Critique qu’il était le « patron de l’université » et qu’il se comportait bien comme un patron. Nous ne pouvons certainement pas juger de l’ensemble de l’activité du rectorat mais gardons en mémoire l’ensemble des échanges, consultations et autres manière de prendre le pouls auxquels la CUAE a participé. Et le bilan est triste.

Consultation et communication par Raboud [ref]Chef du service de propagande de l’université de Genève. Voir l’article du bulletin Unige-info n° 19 : « Contre Didier Raboud, propagandiste et mouchard »[/ref] & co.

Un constat s’impose d’emblée. Le rectorat vit dans une réalité parallèle se mure dans son autisme. Il a volontairement négligé la communication avec l’ensemble de la soi-disante communauté universitaire sur le projet de réorganisation des bibliothèques. Comment cela s’explique-t-il alors que le secteur de la communication ressemble de plus en plus à une structure mammouth au sein de l’université ? Comment le rectorat peut-il négliger un tel aspect à l’heure où l’on demande aux chercheuses[ref]Les termes au féminin s’entendent bien sûr aussi au masculin.[/ref] de valoriser les résultats de leur recherche non plus uniquement dans des revues scientifiques mais également dans des journaux de boulevard ?[ref]Le comportement des chercheuses de SES est à cet égard significatif. Le premier prix revient sans conteste à Eric Widmer pour sa présence dans les excellents journaux Le Matin et 20 Minutes grâce à des recherches pertinentes et utiles sur l’espérance de vie d’un couple.[/ref] Il ne faut pas se leurrer. Communication il y a eu. Seulement, plutôt que de discuter et de présenter le projet en amont aux principales concernées, c’est-à-dire les bibliothécaires, le rectorat a préféré le présenter à la cité, c’est-à-dire à la Tribune de Genève. C’est pour ça qu’on a retrouvé plusieurs articles sur les bibliothèques dans cette feuille de chou, au cours de l’année 2010. Une fois encore, Chloé Dethurens a été chargé de rédiger le faire part. Nous avions déjà eu la joie de faire la connaissance de son incompétence en ce qui concerne les affaires universitaires mais aussi de son manque d’esprit critique et de l’absence de toute curiosité intellectuelle de sa part lors du référendum sur la loi sur l’université.

Dont acte. Maintenant, pour connaître les projets à venir, on lira quotidiennement la Tribune de Genève plutôt que de se référer aux séances d’informations qui devraient être tenues mais qui ne le sont pas. Le fait que l’université soit un gros annonceur dans ce torchon n’a évidemment aucune influence sur la partialité des journalistes qui y travaillent. Seuls des esprits torturés – ce que nous ne sommes pas – pourraient penser de telles sottises.

Projet ?

Le rectorat a également tenu un discours ambivalent sur le statut de la réforme. Parfois il s’agissait d’un projet de réforme, parfois la réforme était déjà trop avancée pour qu’on puisse y modifier quoi que ce soit. La palme revient à la vice-rectrice De Ribaupierre. Lors d’une fameuse intervention à l’assemblée de l’université du 15 décembre 2010, elle a expliqué que l’allongement de l’horaire d’ouverture dans certaines bibliothèques à la fin de l’année 2010 était rendu possible par la restructuration, alors que dans la même phrase elle nous expliquait que la réforme n’était pas entrée en vigueur. Quelle femme ! Elle rend possible la distorsion du temps et les voyages spatio-temporels.

Plus sérieusement, cela mérite également une explication. Le rectorat a peur. Il a tellement peur pour son image que son discours change selon ses interlocuteurs. Le rectorat a peur parce que, pour une fois, la réforme est contestée par tous, y compris les professeures, et pas uniquement par les gueux, c’est-à-dire les étudiantes, les assistantes et le personnel administratif et technique. L’opposition réunit également presque toutes les facultés. Par exemple, l’une des premières interventions sur cette question au sein de l’assemblée de l’université a été l’œuvre de Luc Thévenoz, professeur plutôt conservateur de la faculté de Droit qui s’est notamment illustré comme grand défenseur du collège des professeurs.

Quand rectorat rime avec patronat [ref]Ce titre a été modifié suite à des pressions. Rectorat rime avec patronat mais aussi avec… (non, ce n’est pas indélicat, syndicat ou nougat)[/ref]

Un autre aspect frappant dans cette restructuration est le manque d’égard dont a fait preuve le patron de l’université. Les employées de l’université sont censées être traitées comme des employées de l’État. C’était l’une des promesses de Beer et de Vassali lors du référendum contre la nouvelle loi sur l’université. Les syndicats ne les ont pas crus. Et ils ont eu raison ! Il n’a pas fallu longtemps avant que des problèmes apparaissent dans les rapports qu’il entretient avec « son » personnel. Il y avait eu l’épisode des différences dans le traitement des assistantes. Il y aura désormais l’affaire des bibliothécaires. Ces dernières ont été invitées à postuler au poste qu’elles occupent ou à un autre. Dans le même temps on leur promettait qu’aucune ne perdrait son poste. Comment peut-on garantir son poste à quelqu’un et le mettre au concours en même temps ? Une fois de plus, vous n’imaginez pas tout ce que peut faire le rectorat pour vous.

Les bibliothèques à l’ère des indicateurs et du new public management

Un autre aspect marquant est l’utilisation d’outils du new public management, c’est-à-dire l’importation des méthodes de gestions entrepreneuriales et l’utilisation intensive d’indicateurs de performances. Le rectorat a mandaté un expert externe pour faire un audit. Il s’agit donc d’un audit externe. Mais comme on ne sait pas très bien ce que cela signifie au rectorat, on a quand même appelé le rapport « audit interne ». On aurait pu croire qu’un expert en bibliothèque serait mandaté mais ça serait mal connaître le rectorat. Il a préféré un expert en électricité sorti d’EDF. Après tout, un audit reste un audit, non ? Non ! Le rapport est d’une très mauvais qualité et démontre la méconnaissance du monde universitaire et des bibliothèques de « l’expert » mandaté. La mauvaise qualité du rapport est la seule raison qui explique le secret qui l’entourait au début. Aujourd’hui, après pression de la part des membres de l’assemblée de l’université, le rapport est disponible mais il est interdit de prendre de notes. Il ne faudrait quand même pas que ce document soit commenté par des personnes intéressées au fonctionnement des bibliothèques ! Plutôt que de mener un vrai audit interne et de s’appuyer sur l’expertise des gens qui travaillent tous les jours dans les bibliothèques et qui mieux que quiconque connaissent leur travail et leurs outils de travail, le rectorat a engagé un « expert » externe. Plutôt que de prendre le temps d’écouter les principales concernées et d’élaborer un projet qui améliore le fonctionnement des bibliothèques, il a décidé de centraliser par la force.

Ce qu’il faut retenir

On ne sait pas très bien quelle leçon tirer de cette histoire. Y en a-t-il vraiment une à tirer ? On savait déjà que le rectorat se comportait ainsi. On savait déjà que le service de communication ne sert qu’à faire accepter par la cité ce qui ne l’est pas à l’intérieur de l’institution. Non, s’il y a quelque chose à retenir, c’est la furie centralisatrice du rectorat dont les bibliothèques ne sont qu’un exemple symptomatique et que le seul comportement à adopter face à ces « gens respectables » est de garder en tout temps une attitude suspicieuse comme celle qu’a le rectorat face à une bonne suggestion.