Position de la CUAE concernant les directives de la CRUS sur la mise en œuvre de la Déclaration de Bologne

De manière générale, nous avons trouvé la qualité du document assez mauvaise. Nous ne savons pas si cela est dû à la traduction, mais il nous a été difficile de comprendre certaines formulations, même si les phrases étaient grammaticalement justes.

Pour en venir au document même, nous sommes étonnés de lire que le document a été rédigé « en accord étroit avec les universités concernées, les étudiants (…) ». N’ayant pas eu vent de pareil accord, nous serions intéressés de savoir quels ont été les étudiants impliqués dans la rédaction de ce document. Il en est de même pour « les Journées-Bologne » : peut-être suivies par « un important public », mais si celui-ci était composé des habituels académiciens nous doutons de l’impact que ces réunions auront eu sur les étudiants et le personnel de l’université. Nous avons aussi semble-t-il une notion différente du terme « public », nous exigeons que les débats soient véritablement publics et non réservés au mandarinat universitaire.

Nous tenons à réaffirmer notre opposition à l’application de la déclaration de Bologne telle qu’elle a été discutée préalablement à la Sorbonne, à Bologne, Lisbonne et Prague. Nous pensons toujours que des réformes imposées par le haut, sans consultation des étudiants et du personnel des hautes écoles ne peuvent qu’avoir des effets négatifs sur le long terme.

Concernant les points sur lesquels la CRUS attire notre attention dès la deuxième page, nous tenons à signaler la chose suivante : lorsque vous insistez sur le fait que l’introduction de la déclaration de Bologne entraînera des coûts supplémentaires, nous pensons qu’il s’agit certainement de coûts d’ordre administratif. Nous pensons qu’il ne faut en aucun cas lier l’augmentation des conditions d’encadrement à la déclaration de Bologne. Il s’agit là de deux domaines différents : une augmentation du taux d’encadrement n’est en aucun cas dépendante de l’application de la déclaration de Bologne. Il s’agit là de mesures budgétaires relevant des autorités universitaires en lien avec leur Canton respectif et la Confédération. Si nos autorités universitaires n’ont pas pu obtenir de fonds supplémentaires pour pallier au problème réel de l’insuffisance de l’encadrement, ne tentons pas de faire passer la pilule sous couvert d’une déclaration vague qui n’explique en aucun cas les raisons de l’insuffisance du taux d’encadrement. Nous serions par ailleurs intéressés de savoir ce que vous entendez par « standards minimaux » dans le domaine, nous n’en connaissons malheureusement pas jusqu’aujourd’hui (nous parlons ici de standards unifiés bien sûr).

Lorsque vous parlez de la nécessité de maintenir les bourses pour les deux niveaux (Ba/Ma), nous tenons à vous exprimer notre inquiétude quant à la séparation de niveaux dans le cadre d’octroi de bourses. Dans tous les cas, il est nécessaire que, les conditions d’octroi de bourse et d’allocations d’études s’appliquent jusqu’au Master.

Nous nous réjouissons de savoir que les discussions portant sur les passerelles entre les deux types de hautes écoles sont en cours et se passent bien. Pourrions-nous en connaître le contenu et les acteurs ? Nous tenons à rappeler qu’il est selon nous essentiel de maintenir le système de formation dual en Suisse. La formation proposée dans les HES concerne pour la plus grande part, des domaines considérés comme prioritaires par l’économie. Il n’en va pas de même pour les universités. Mettre en place un système d’équivalence des titres reviendrait à offrir sur un plateau une position hégémonique de l’économie sur la formation supérieure. Il est par contre nécessaire de valoriser la formation en HES non pas seulement en termes de nécessité imposée par le marché, mais aussi en terme de formation individuelle. : l’uniformité des titres renforce la position des employeurs sur le marché de l’emploi. A l’inverse, le maintien d’une diversité des formations et de leur reconnaissance par l’Etat donne à celui-ci la possibilité d’imposer les structures de l’offre en jouant notamment sur les conditions d’accès aux titres.

Nous sommes finalement heureux de constater que vous considérez que les réformes qu’implique l’application de la Déclaration de Bologne ne sont pas uniquement d’ordre structurel : cela fait deux ans au moins que nous tenons cette position. Nous sommes d’accord avec vous lorsque vous parlez en termes de réforme substantielle. Pourriez-vous cependant nous indiquer quelle serait, selon vous, la direction que prendrait cette réforme ? Il apparaît comme évident que l’application de la DB est le prétexte à des réformes substantielles, notamment en matière de contenu et de diversité des enseignements. C’est la première raison qui rend cette application contestable.

Passons maintenant aux directives elles-mêmes :

Puisque de nombreux articles ne peuvent être interprétés sans les commentaires qui y sont ajoutés, nous traiterons des deux à la fois.

Les normes proposées pour l’application du système Ba/Ma, notamment la distinction introduite entre degré et diplôme, constituent une véritable fiction juridique : d’un côté on prétend garantir une autonomie aux universités dans le choix de la division des filières (possibilité de faire une filière menant uniquement au Master) ; de l’autre l’obligation pour les étudiant-e-s de posséder un diplôme intermédiaire pour pouvoir accéder au Master dans d’autres universités. Un langage précieux ne masque pas pour nous l’obligation in fine pour toutes les universités de se plier au modèle Ba/Ma (ou modèle 3-5). Nous sommes par ailleurs étonnés de voir l’insistance avec laquelle on répète la possibilité offerte aux universités de déterminer elles-mêmes les conditions d’accès au Master alors que le texte stipule que le premier degré représente 180 crédits dans toutes les universités européennes. À quoi servirait-il d’unifier un système de valeurs s’il ne peut-être normatif ? Nous avons là un exemple flagrant du fait que l’exaltation de la mobilité à travers l’unification de structures n’est que le cheval de Troie pour accentuer la sélection au deuxième cycle. Il nous semble donc que les articles 1 et 4 des directives sont ou en contradiction, ou l’article premier est le gant de velours et le quatrième la main de fer. Nous reviendrons plus tard sur les différentes variantes proposées dans l’article quatre.

L’article 2 et son explicatif déterminent l’attribution des crédits. Nous poserons peut-être d’abord une question sémantique : qu’entendez-vous véritablement par « prestations d’études » s’agit-il d’un contrat de prestation individuel entre l’étudiant-e et son unité ? Nous comprenons la nécessité de normaliser les systèmes de crédits, mais il nous semble qu’un peu plus de précisions seraient nécessaires.

Nous ne pouvons que nous insurger contre l’article trois qui postule que la durée des études est déterminante quant à l’obtention d’un diplôme. L’annulation des crédits obtenus en cas de dépassement des délais est totalement arbitraire : l’acquis de crédits est un travail accompli qui doit être reconnu de manière définitive et non pouvoir être remis en question en fonction de l’humeur des autorités universitaires. De même pour les exceptions faites à la règle : qui décide si la raison de prolongation de délai est valide ? Qu’entend-on par délai adéquat ?

Venons en finalement au dernier article, le premier alinéa stipule qu’il n’y aura pas de normes concernant les conditions d’accès au deuxième diplôme. Quelle utilité y aurait-il à appliquer une déclaration promouvant la mobilité tout en accentuant la sélection ? Les deux variantes autorisent les établissements à fixer des pré-requis spécifiques pour tout changement de discipline ou d’établissement dans le cadre de l’obtention d’un diplôme… bel encouragement au développement intellectuel ! L’alinéa 3 pose le problème de l’équivalence des diplômes de premier degré (non obligatoire pour toutes les universités semble-t-il) alors que l’article 1 stipule que les diplômes de premier cycle correspondent à 180 crédits. Ainsi, l’alinéa 3 reconnaît implicitement que les correspondances entre diplômes ne s’établissent pas que sur la base des crédits y relatifs, mais aussi sur des appréciations de qualité distinguant les établissements. Les crédits se voient donc attribuer une valeur implicite dépendante de la position de tel établissement par rapport aux autres établissements dispensant la même formation. C’est ce qu’exprime avec une étonnante brutalité le commentaire de l’article 4 alinéa 2. Mais il est vrai que l’égalité des chances quant à l’accès à un diplôme supérieur n’est pas compatible avec le principe de concurrence et de compétitivité tel qu’énoncé dans le texte de la déclaration de Bologne.

Nous estimons que l’application de la déclaration de Bologne est la plus grande réforme de l’enseignement supérieur depuis mai 68. Or il nous apparaît que les réformes introduites depuis, telles que l’introduction embryonnaire d’une forme de démocratie ainsi que de l’égalité d’accès, sont remises en question par la déclaration de Bologne. Nous ne pouvons dès lors plus parler en termes de réforme mais de contre-réforme imposée autoritairement par le haut. Nous remarquons par ailleurs que le document que vous nous proposez ne tient en aucun cas compte des points évoqués dans le document signé en janvier 2002 par les Rectorats de Genève, Lausanne et Neuchâtel. Acte manqué ?

Il est évident que nous ne pouvons en aucun cas souscrire aux propositions émises dans le document de la CRUS qui, sous couvert de mobilité et d’ouverture, sacrifie les étudiant-e-s sur l’autel de la sélection, concurrence et compétitivité.