Retour sur EINFS [Regard Critique n°38]

Pourquoi maintenant ?
L’automne a été chaud à l’université de Genève. Il a vu la naissance du mouvement «Education is NOT for Sale» et l’auditoire MR080 a été occupé plusieurs jours, avant d’être évacué par la force par les services du rectorat. Personne ne pouvait prévoir l’émergence d’un tel mouvement en dehors de toute actualité. Ça ne veut pas dire pour autant que le mouvement vienne de nulle part.

Quand survient l’imprévisible
Dire que le mouvement EINFS est survenu de nulle part ou qu’il a été importé est faux. L’émergence du mouvement est directement liée à l’expérience quotidienne de ces membres, de leurs frustrations, de leurs envies de changement et de leur volonté de s’impliquer dans la vie universitaire. À Genève comme ailleurs en Suisse.

Un mouvement qui émerge en dehors de toute actualité
A Genève, comme dans les autres universités suisses, cela fait plusieurs années que les bachelors et les masters ont été introduits, que les cours ont été semestrialisés, que la course au crédit a été instaurée, que le mot concurrence a remplacé le mot coopération, etc. La cerise sur le gâteau étant bien évidemment la promulgation de la nouvelle loi sur l’université.
Et là, que s’est-il passé ? L’émergence d’un mouvement de contestation ? Une large mobilisation de la communauté universitaire ? Nada… À l’intérieur de l’université, mise à part la CUAE, seul l’éphémère collectif pour la démocratisation des études (CDE) a fait acte de résistance notamment en récoltant des signatures pour le référendum contre la loi sur l’université.

Dès lors se pose la question de la solidarité internationale : la solidarité avec les étudiantes autrichiennes et allemandes expliquerait-elle la mobilisation en Suisse ? Sans préjuger de l’efficacité d’une mobilisation pour des réformes entreprises à l’étranger, on peut considérer que l’hypothèse de la solidarité internationale ne suffit pas à expliquer le cas suisse. En effet, il y a régulièrement des appels à mobilisation et des universités sont occupées chaque année dans différents pays. En 2009, une mobilisation forte et déterminée (occupation, manifestation de taille importante, confrontation avec les services d’ordre) avait réveillé l’Italie. En France, c’est à un rythme quasi annuel que les universités sont occupées, Les dernières grosses mobilisations étaient liées au CPE et à la réforme des universités. A chaque fois, des appels à une solidarité internationale dans la lutte ont été lancé. Ces appels n’ont pas débouché sur des manifestations de solidarité internationale ni à Genève ni ailleurs en Suisse.

Parce que la mobilisation ne s’est pas produite lorsque l’actualité politique l’y invitait mais spontanément, à un moment où il n’y avait aucune actualité universitaire, on peut affirmer sans trop risquer de se tromper qu’elle n’était ni guidée par des considérations politiciennes ni orientée contre tel ou tel projet. C’est l’université telle qu’on la connaît qui est remise en cause. Pas la loi sur l’université. Ainsi, alors qu’en Autriche et en Allemagne les revendications des étudiantes sont directement liées aux réformes à venir ou en cours et même si les étudiantes suisses n’ont pas digéré la sauce à laquelle elles ont été mangées, dans notre pays les revendications sont davantage liées à la situation propre à chaque université et globalement aux conditions d’études et de vie. Il ne s’agit pas de refuser Bologne, une réforme ou une loi. Il s’agit d’exprimer un mécontentement, de formuler des revendications mais surtout de se réapproprier un espace.

Des expériences qui resteront en mémoire
Le résultat le plus important d’EINFS ne sera jamais une quelconque concession de la part du recteur. La réussite la plus importante d’EINFS est d’avoir créé un espace et d’avoir montré que l’acceptation de nos conditions d’études et d’existence n’est pas une fatalité, qu’il est possible et nécessaire de continuer à se battre pour ce que nous voulons. Peut-être que dans un, deux, cinq, ou dix ans un mouvement renaîtra à l’université Genève. L’élargissement de l’horizon du possible lié à l’existence et aux actions d’EINFS y aura contribué de manière certaine.