Depuis la rentrée, le comité de la CUAE s’est fortement engagé sur le front du logement des étudiants comme l’y avait engagé l’Assemblée générale d’automne 2001. Cet engagement a abouti à 2 occupations : l’une au 3 de la rue du Conseil-Général (près d’Uni Dufour), l’autre au Pâquis, à la rue Abraham-Gevray. Ce sont aujourd’hui environ 80 personnes en formation qui disposent d’un logement correct dans ces 2 immeubles pour lesquels un contrat de prêt à usage a été conclu entre les propriétaires et la CIGUE (Coopérative pour le logement des personnes en formation). Ces 2 occupations, spécialement la seconde, ont fait l’objet d’un écho médiatique et d’un soutien politique relativement important ; elles ont aussi suscité des débats et des questions. Il nous a semblé utile de faire le point et ce texte devrait servir de base au débat qui aura lieu durant l’AG du 21 novembre prochain.
La crise du logement est-elle un phénomène météorologique ?
A lire les journaux et à entendre les déclarations de certains responsables politiques, il semble bien que la crise du logement revienne périodiquement frapper Genève comme l’anticyclone des Açores amène le beau temps en été. Ce discours qui assimile un fait social à un phénomène naturel sert évidemment à dissimuler les responsabilités de ceux qui créent la crise pour assurer leur profit personnel. Les mécanismes de la spéculation immobilière ont été abondamment décrits dans les années 80, notamment dans le sillage du mouvement squat ; nous n’y reviendrons pas ici. La spéculation n’est en réalité que la partie la plus révoltante des pratiques qui structurent le marché immobilier.
La crise actuelle a une cause un peu différente sur laquelle il vaut la peine de s’étendre en introduction. La source de profits – semblait-il intarissable – constituée par les marchés financiers s’avère depuis au moins 5 ans être pleine de risques. Dans ce contexte, les investisseurs mettent à l’abri une partie de leurs capitaux et l’immobilier est le marché rêvé pour qui veut s’assurer une rente à vie : chacun a besoin d’un toit et la structure de la demande dépend très peu de celle de l’offre. En d’autre termes, pour peu qu’on lui fasse croire qu’il n’y a plus de logements libres, le locataire est prêt à accepter à peu près n’importe quelles conditions pour se loger. S’il en a les moyens, il acceptera des augmentations de loyer ; s’il n’en a pas les moyens, il vivra à 4 dans un 2 pièces ou acceptera de faire 2 heures de trajet pour se rendre à son travail.
Or, pour assurer aux investisseurs refroidis par les marchés financiers un repli convenable et pour absorber l’arrivée massive de ces déçus des nouvelles technologies, il faut que le marché immobilier augmente le taux des rentes payées aux propriétaires. Là où l’investissement était payé 10F pour 1F investi quand les investisseurs étaient peu nombreux, il faut payer 100F pour 1F lorsque le nombre des investisseurs augmente. Cela ne peut se réaliser que par une augmentation des loyers qui sont la source de la rente immobilière1. Les propriétaires créent donc la pénurie pour contraindre les locataires à accepter des hausses de loyer ou les obliger à péjorer leurs conditions d’habitation. On crée notamment la pénurie – la crise – en laissant des immeubles vides et en transformant des habitations en locaux commerciaux2.
1 Sur la pression exercée par les propriétaires sur les locataires, on peut lire l’interview du juge Mirimanoff, président de la commission de conciliation du Tribunal des baux et loyers, dans la tribune de Genève du 16 novembre 2002 2 Sur les structures du marché immobilier et notamment sur la puissance de l’intervention de l’Etat dans ce marché qu’on n’a pas évoqué ici, on peut lire BOURDIEU Pierre, Les structures sociales de l’économie, Seuil, Paris, 2000
En quoi cela concerne-t-il la CUAE ?
La pénurie de logement touche l’ensemble de la population qui paye la rente immobilière aux propriétaires. Elle ne frappe donc pas spécifiquement les personnes en formation. Pourtant, sans être parmi les plus touchées, ces personnes présentent des caractéristiques qui les défavorisent par rapport à d’autres couches de la population. Les étudiants sont le plus souvent de nouveaux arrivants sur le marché du logement: lorsqu’il s’agit de créer la pénurie, les propriétaires – en l’occurrence les régies qui les représentent – appliquent des critères de plus en plus stricts pour l’obtention d’un bien en location. Les réserves les plus farfelues apparaissent alors : les personnes en formation seraient moins soigneuses que les autres locataires à l’égard de la chose louée, les garanties financières à présenter s’élèvent jusqu’à des niveaux pharamineux. Les critères appliqués deviennent encore plus violents et arbitraires pour qui vient de l’étranger. Dès lors, la question du logement des personnes en formation se pose en tant que telle, tout en restant liée à la problématique générale, et il appartient notamment à la CUAE de s’y intéresser.
En outre, personne ne comprendrait que la CUAE ne prenne pas position si les taxes semestrielles venaient à augmenter. En réalité, la création de la pénurie de logement entraîne une situation de numerus clausus social. Sauf à avoir des nerfs d’acier, quiconque doit faire 4 heures de train chaque jour pour suivre des cours faute de pouvoir se loger à Genève aura tôt fait de renoncer à ses études. La crise du logement, dont on a vu ce qu’elle avait de socialement construit, permet donc, comme par un effet secondaire, de diminuer le nombre des étudiants en décourageant ceux-ci d’entreprendre les études qu’ils souhaitent. Or, il se trouve que ce sont les mêmes milieux qui affirment depuis 15 ans que le nombre d’étudiants doit diminuer qui sont à l’origine de la pseudo-pénurie actuelle. La crise du logement est donc un enjeu de politique universitaire, plus largement de politique de la formation.
Enfin, comme le relevait le groupe Arrabiata dans un papier sur la Déclaration de Bologne, il est de notre responsabilité d’universitaires de s’attacher à décrire les faits sociaux et leurs causes sociales3.
Des suites juridiques et des suites politiques
La conclusion d’un contrat de prêt à usage (CPU) avec la CIGUE pour la dizaine de studios de la rue du Conseil-Général n’avait guère suscité de débats les choses s’étant déroulées très vite. Il n’en est pas allé ainsi aux Pâquis. C’est sans doute, entre autres, que l’enjeu (60 appartements au total) était plus important. C’est aussi que le propriétaire a fait preuve d’un acharnement hors du commun. Suite à l’offre de médiation du Procureur général, les représentants du propriétaire ont accepté de négocier avec la CIGUE. Après une semaine de tractations, un accord était trouvé laissant 4 des 6 étages de l’immeuble à la CIGUE et affectant les autres à la police privée GPA et à l’hôtel Richemond. Toutefois, le propriétaire n’entendait pas retirer la plainte qu’il avait déposée au Parquet pour violation de domicile. L’exigence était donc que la CUAE et les occupants de l’immeuble en sortent le lundi 11 novembre au matin afin que la CIGUE en prenne possession le même jour dans l’après-midi. Nous nous sommes pliés à cette exigence estimant que notre revendication initiale était remplie, à savoir l’obtention d’un CPU au bénéfice de la CIGUE.
3 Dans cet esprit, le professeur Hans-Ulrich Jost, avait consacré, l’an dernier à Lausanne, un séminaire à une histoire sociale du béton.
Pourquoi ne pas avoir choisi de durcir la position en refusant l’accord avec le propriétaire, accord qui affaiblissait notre position et celle de la CIGUE et qui délégitimait l’occupation de l’immeuble ? D’abord parce que notre objectif n’était pas seulement symbolique (dénoncer, désigner un immeuble vide), mais aussi concret : permettre aux étudiants en situation d’urgence qui s’étaient annoncés durant l’occupation de trouver un toit dans des conditions acceptables. Cet objectif a été atteint, même s’il aurait été souhaitable que l’ensemble du bâtiment soit accordé en prêt à la CIGUE. De plus, les habitants qui se trouvaient dans l’immeuble durant l’occupation se sont prononcé dans le sens d’accepter la proposition du propriétaire telle que transmise par les négociateurs de la CIGUE. Un des arguments qui a pesé dans cette décision était la situation précaire du point de vue du droit de résidence en Suisse (permis B étudiant) d’une large partie des habitants. On peut regretter que la décision – qui n’était pas unanime – n’ait pas été de poursuivre les négociations en vue d’obtenir les étages restants et l’impunité des premiers habitants, mais nous n’avons jamais proposé explicitement cette alternative aux habitants. Dans la mesure où c’est la CIGUE et elle seule qui négociait, dans la mesure aussi où les décisions devaient être prises rapidement, compte tenu enfin de notre relative inexpérience en matière d’occupation d’immeubles, nous avons peut-être évacué des options qui auraient pu se révéler meilleures que celles que nous avons prises.
La signature du contrat par la CIGUE nous fait-elle abandonner notre objectif politique et des revendications à plus long terme ? Il a toujours été clair que notre action ne s’inscrivait pas seulement dans le contexte de l’urgence, mais dans le cadre de la recherche d’une solution à long terme. En l’occurrence, plusieurs plaintes, au civil et au pénal, ont été déposées par le propriétaire contre une partie des occupants.
Paradoxalement, c’est donc le propriétaire qui nous permet de poursuivre notre action sur le plan politique. En effet, il croit sans doute avoir à faire à un groupe formé pour la circonstance et qui se dissoudra devant les juges. Nous avons d’ores et déjà annoncé qu’il n’en serait rien. La CUAE soutiendra toutes les personnes poursuivies dans le cadre de cette action – une partie d’entre elles est d’ailleurs constituée de membres du comité ; c’est notamment dans ce cadre que nous poursuivrons notre action politique. Il s’agira de dénoncer la criminalisation de ce qui doit être considéré comme une action syndicale. De dénoncer aussi les infractions commises en toute impunité par les propriétaires qui n’annoncent pas les logements vides qu’ils possèdent. De dénoncer enfin, plus largement, une situation illégitime du point de vue de la justice sociale. Nous appelons donc les associations membres de la CUAE à se mobiliser pour soutenir les étudiants.