Ouverture de l’Université de Genève : de la théorie à la pratique

L’Université comme la plupart des lieux de formation prône une ouverture sur le monde et le partage des connaissances. Elle se veut le pôle de convergence de personnes diverses, contribuant chacune à leur manière à l’amélioration de la société. En pratique, les espaces à disposition sont des espaces de travail et de consommation. Il n’y a que peu d’espace de détente et de rencontre non marchands accessibles à tout.e.x.s.

En effet, malgré les discours d’ouverture et de tolérance qu’arbore l’université, ce n’est pas un lieu où tout le monde est bienvenu. Des personnes qui viendraient se réchauffer, se restaurer, déambuler, lire le journal dans la bibliothèque, dormir sur une chaise se voient souvent priées de sortir. L’université c’est pour les étudiant.e.x.s un point c’est tout. Mais alors, est-ce qu’on a notre mot à dire dans tout ça ?

Si l’université est pour nous, on la veut vraiment ouverte, on veut réfléchir ensemble à l’accessibilité véritable des lieux de connaissance, on veut remettre en cause la hiérarchie par le savoir. On souhaite interpeller sur les pratiques discriminatoires des employé.e.x.s chargé.e.x.s de la sécurité et des agent.e.x.s de police qui interdisent l’accès à l’université à des personnes, car elles sont précaires et qu’elles donnent une « mauvaise image » de ce lieu qui prône l’excellence académique et un marché du travail méritocratique.

Nous présentons ci-dessous trois scènes qui ont été rapportées au comité de la CUAE durant les deux dernières années, toutes se sont produites à UniMail.

Un mardi de l’automne 2018

Mardi après-midi devant Unimail deux policiers patrouillent. Ils se dirigent vers le seul homme racisé présent sur le parvis et procèdent immédiatement à un contrôle d’identité. Très vite, un attroupement se forme : il y a une vingtaine d’étudiant.e.xs. Les renforts policiers ne se font pas attendre et ils sont bientôt douze pour procéder à un contrôle d’identité motivé par le seul fait qu’une personne noire est assise devant le bâtiment universitaire.

Alors qu’un maître assistant, lui aussi racisé, intervient en solidarité avec la personne contrôlée, un policier lui répond « Toi, tu parles pas, t’es pas suisse. ». S’en suivent des invectives à l’encontre des étudiant.x.e.s présentes pour affirmer leur soutien à la personne contrôlée.

Les pratiques discriminatoires de la part du corps policier sont connues de toutes. Les délits de faciès et le manque de professionnalisme sont monnaie courante. Et l’Université tolère cette présence policière même jusque devant ses portes.

Un mercredi de l’hiver 2019

Deux policiers traversent l’Université et se rendent à l’entrée d’Unimail côté Baud-Bovy.

Un agent de sécurité de l’Université les a appelés pour éloigner une personne de l’Université sans raison apparente.

Les policiers contrôlent son identité, il est en règle. Comme l’homme a froid, l’un des policiers en profite pour faire un commentaire mal venu : “Pourquoi tu danses?” lui lance-t-il d’un ton méprisant.

L’agent de sécurité (accompagné de deux hommes en civil, type baqueux) remplit un formulaire d’interdiction de périmètre à l’encontre de l’homme: à partir de maintenant il ne pourra plus entrer dans le bâtiment de l’Université alors qu’il leur disait être venu pour se payer un café et fumer une cigarette. Le policier lui répond qu’il n’a rien à faire à l’Université et qu’il doit partir. Les policiers l’emmènent ensuite.

Un mercredi du printemps 2019

Ce mercredi-là, 14h15, tout le monde prend place dans une salle d’uni-mail, un nouveau venu (déjà présent la semaine précédente) manifestement plus âgé que la moyenne des étudiant.e.x.s, s’installe. Il vient manifestement suivre le cours en auditeur libre. Le cours débute tranquillement comme d’habitude, la personne en question ne pose aucun problème, elle suit le cours, pose une question, comme nous tout.e.x.s.

Trente minutes après le début du cours, la porte s’ouvre brusquement une première fois puis se referme, un élève assis au fond de la salle reconnait les uniformes des agents protectas. Environ 5 minutes plus tard, on entend frapper violemment contre la porte, elle s’ouvre, plus brusquement encore que la première fois. Deux agents protectas entrent en trombe dans la salle, interrompant le cours. D’une voix forte et autoritaire, ils clament qu’une personne « indésirable » se trouve dans la salle et qu’il leur faut l’évacuer immédiatement. Ils se dirigent immédiatement vers cette personne et lui ordonnent de ranger ses affaires et quitter les lieux. Le professeur intervient, dit que la personne ne pose aucun problème et qu’elle ne dérange personne, les deux agents n’écoutent rien.

On est alors à moins de 10 minutes de la pause de 15h. Une intervention de cette envergure à ce moment-là était-elle vraiment nécessaire ? Qu’est ce que cela aurait coûté aux deux agents d’attendre 5 minutes, de venir à la pause et de demander calmement à la personne de quitter la salle?

Quelle image nous renvoie-t-elle d’un espace qui se veut ouvert sur le monde, critique, accessible à toutes ? Y aurait-il des personnes bienvenues et d’autres dont la présence dérange du seul fait de leur aspect physique ? S’agirait-il de faire de l’Université un lieu fermé, uniformisé et réservé à une élite blanche?

Parce que le savoir est la chose de toutes, parce que les lieux de formation doivent être inclusifs, parce que tout le monde devrait pouvoir avoir le droit de s’asseoir devant les bâtiments universitaires, nous nous dénonçons les pratiques discriminatoires à l’Université et partout ailleurs.