Les étudiant-e-s au salon des ressources humaines…

Article partu dans Regard Critique n°35 – Mai 2003

Dans le cadre du salon du livre, Swiss-Up organise un salon de l’étudiant auquel la CUAE s’invite pour dénoncer cette mascarade.

Un salon des étudiants sans étudiant-e-s avec la présence d’universités qui n’en sont pas (du moins selon l’idée de « lieux d’études public dispensant des enseignements généralistes »), et qui organise des débats sans la présence d’un seul contradicteur ; tout ça parrainé par Charles Kleiber, plénipotentiaire du monde de l’enseignement supérieur, à la conception du débat démocratique très douteuse …

Mais alors, quels sont les vrais intérêts des organisateurs du salon ? Pour Swiss-up, obscure boîte à idée qui s’arroge le droit de classer les enseignements dispensés dans les hautes écoles sur des ranking arbitraires selon des critères farfelus, l’intérêt principal réside dans le contrôle des futurs agents du marché du travail. « La formation, garante de la qualité de nos ressources humaines », peut-on lire sur le site de Swiss-up ! Cette déclaration, qui résume bien l’intérêt que le monde de l’économie porte à l’éducation, appartient à M. De Luca, patron de Logitech, et l’un des principaux donateurs de Swiss-Up avec le Credit Suisse, le groupe Bobst, la fondation Sandoz, la Rentenanstalt (voilà où est passée votre retraite…) et les immanquables Novartis et Nestlé.

En effet, il semblerait que « l’école a pour mission de préparer à la vie et de transmettre des capacités professionnelles, mais elle ne peut et ne doit pas réaliser l’égalité sociale », comme l’a si bien dit le professeur Rolf Dubs, président de la Commission fédérale des Hautes Ecoles Spécialisées (CFHES), lors d’une journée sur la formation organisée par le PRD en 1995. Mais alors, s’agit-il toujours d’un système éducatif basé sur le partage des connaissances et visant le bien commun ? Car là réside à notre avis le véritable intérêt des étudiant-e-s.

« L’allocation des aides (de la part de la Confédération) se fera en fonction des caractéristiques de la qualité du travail (car) de la compétition résultent des chances de développement égales ». Beaucoup de choses peuvent être reprochées à M. Kleiber, secrétaire d’Etat à la Science et à la Recherche, directeur du Groupement de la science et de la Recherche et vice président de la Conférence Universitaire Suisse, mais certainement pas sa clarté et sa franchise. Dans son pamphlet « Inventer l’avenir grâce à la formation et à la recherche (août 2000) », M. le Secrétaire d’Etat défend comme les autres une perspective de compétitivité dans le monde de l’éducation, une compétitivité qui profite seulement au monde de l’économie et qui a des conséquences très lourdes pour les hautes écoles (coupes dans les budgets, réorganisation des plan d’études et baisse de l’offre de cours, diminution conséquente de la qualité de l’enseignement, entre autres).

Une logique transparaît donc des propos de tous ces personnages qui sont présents (certains à titre personnel, d’autres par le biais de leurs organisations ou hautes écoles respectives) au salon des ressources humaines. Il faut transformer le monde de l’éducation en une jungle dans laquelle seuls les meilleurs (donc les plus rentables) survivront et, comme dans la meilleure tradition sportive, avant même le début de cette compétition les arbitres ont déjà été choisi. La Confédération s’occupera du volet économique, car le financement à la carte qui se profile primera celles et ceux qui se soumettront au diktat des autorités (Secrétariat d’Etat, Organe d’Accréditation et d’Assurance de la Qualité, …). Le secteur privé définira quant à lui les meilleures branches et les enseignements les plus utiles (on avait dit rentables ?) et en cela Swiss-Up excelle déjà avec son jeux du ranking !

Nous retrouvons cette même logique dans le texte de référence de tous nos visionnaires locaux : la Déclaration de Bologne. Déclaration d’intention floue et imprécise, l’application de ses principes est désormais considérée la condition sine qua non pour la survie du système de formation suisse. L’idée centrale de la Déclaration résume la vision de M. Kleiber et de ses acolytes : pour n’en citer qu’un seul passage, Bologne veut « favoriser l’intégration des citoyens européens sur le marché du travail et améliorer la compétitivité du système d’enseignement » !

Quant aux arguments « académiques » avancés par les partisans du système Bologne (amélioration de la mobilité, reconnaissance mutuelle des diplômes, …) ils peuvent être facilement démontés ou remis à leur juste place, mais malheureusement cela ne sera pas possible au salon des ressources humaines car les organisateurs, malgré leur souci de toucher et d’intéresser les étudiant-e-s, n’ont pas pensé judicieux de les inviter à participer au débat prévu sur ce thème jeudi 1er mai.

Dans un tel cadre, nous nous étonnons du fait que la première apparition publique de Charles Beer, nouveau chef du Département de l’Instruction Publique, concernant les sujets universitaires, sera sa présence dans ce salon. Ce dernier veut-il ainsi, annoncer la couleur de ses projets quant à la formation supérieure ?

Dans la course aux réformes du système éducatif, les réflexions critiques des étudiant-e-s et des autres citoyen-ne-s concerné-e-s par ce sujet sont considérées comme de dangereux ralentisseurs d’un processus qui doit aboutir coûte que coûte. Car le marché de l’éducation, comme celui de la santé et tant d’autres actuellement visés par les accords supranationaux tels que l’AGCS, est un marché trop lucratif pour y renoncer sur l’autel de la démocratie et de la consultation.

Pour cette raison la CUAE, Conférence Universitaire des Associations d’Etudiant-e-s, a décidé de s’inviter au salon des ressources humaines. Par notre présence nous revendiquons :

  • Une justification des liens entre la Confédération, Swiss-Up et autres entreprises privées qui s’immiscent dans le domaine de l’éducation ;
  • L’abandon de la participation incompréhensible de Charles Beer à ce salon ;
  • Une réforme profonde des structures administratives et politiques qui régissent la formation supérieure en Suisse (notamment avec l’instauration d’un contrôle démocratique) ;
  • L’abandon des démarches visant à introduire la Déclaration de Bologne ;
  • La démission dans les plus brefs délais du secrétaire d’Etat autocrate Charles Kleiber