Racisme structurel : l’Unige complice
De Minneapolis à la Suisse, nique
la police !
Le meurtre de George Floyd par la police de
Minneapolis a servi de déclic. Bien que les luttes antiracistes existent depuis
longtemps, il a fallu un meurtre de plus pour que la question du racisme soit
enfin imposée dans le débat public. Mais si on n’aime pas la police et ses
crimes, force est de constater que le racisme au sein du bras armé de l’Etat n’est
que la pointe visible de l’iceberg ; le racisme structurel, lui, est
partout. Selon la brochure Rupture,
« Le racisme structurel, aussi appelé racisme institutionnel, racisme systémique ou d’Etat, est une forme de racisme qui se retrouve dans la pratique des institutions sociales et politiques. Elle se reflète dans les inégalités en matière de richesse, de revenu, de justice pénale, d’accès à l’emploi et au logement, de soins de santé, de pouvoir politique et d’éducation »[1].
Racisme structurel : l’Unige
complice
A l’Université aussi le racisme sévit. Combien de personnes racisées[2] constituent le corps professoral, le corps intermédiaire, celui des chercheur.euse.x.s, des membres du PAT [personnel administratif et technique] ? Trop peu. En comparaison, un grand nombre de personnes travaillant dans la sécurité, le nettoyage ou la restauration sont des personnes racisées. En plus d’être des minorités sociales éprouvant au quotidien des dispositifs oppressifs, ces travailleur.euse.x.s sont invisibilisé.e.x.s ; combien d’entre nous ont déjà pu assister au nettoyage d’un amphithéâtre ? Trop peu ; car ces tâches sont réalisées en soirée, dans la nuit ou durant le week-end. Le racisme structurel à l’Université, c’est aussi ça. D’un côté, engager des blanc.he.x.s pour des postes socialement valorisés. De l’autre, sous-traiter les services considérés comme « ingrats » [nettoyage, sécurité, restauration] aux entreprises employant massivement des personnes racisées, leur permettant de baisser les salaires pour augmenter les profits. Il y a évidemment des personnes racisées travaillant pour l’Académie ; mais un.e.x prof’ noir.e.x n’est pas un contre-exemple au racisme structurel de l’Université, bien plutôt l’exception qui confirme la règle.
Les étudiant.e.x.s éprouvent aussi directement le
racisme structurel par le contenu même des cours universitaires, que ce soit
dans l’absence de savoir, sa restriction ou sa décrédibilisation. Absence de
savoir, car les auteur.trice.x.s, penseur.euse.x.s ou théoricien.enne.x.s
étudié.e.x.s sont presque toujours blanc.he.x.s. Restriction du savoir, lorsque
des cours d’histoire ou relations internationales « oublient »
d’étudier l’histoire des marges [comprenez : extra-européenne], ou
qu’aucun savoir critique n’est produit sur le passé colonial européen et
suisse. Décrédibilisation du savoir, quand, de Carl-Vogt à John Locke, les
personnes étudiées sont elleux-même racistes.
L’accès à l’Unige est empêché pour les personnes
racisées. Profilage racial devant les bâtiments, contrôles par la police et des
sécu’ dans les bâtiments, salles de cours et bibliothèques, interdiction de
périmètre délivrées par les flics aux personnes de passage, criminalisation des
personnes racisées dans les bibliothèques et cafétéria, autant de processus
tristement courant dans cette Unige raciste[3]. Le
racisme est tellement intégré dans l’institution qu’un doctorant de droite peut
tranquillement se permettre de mélanger racisme et classisme dans un article abject
de la presse bourgeoise sans que le rectorat ne prenne position[4].
Mais le racisme structurel
empêchant l’accès à l’université ne s’arrête pas là ; il trouve son
extension dans l’administration universitaire, où des politiques restrictives
d’équivalence de diplôme pour les étudiant.e.x.s extra-européen.ne.x.s sont
mises en place. Si le fond du problème réside bien dans les fameux accords de Lisbonne,
l’Unige, en les appliquant, se rend complice, donc coupable, de ces politiques
administratives ouvertement racistes.
Plus « anecdotique »
mais tout aussi révélateur, le racisme de l’institution universitaire s’expose également
ostensiblement dans l’espace public. Le dernier bâtiment universitaire,
inauguré en 2015, porte le nom de Carl-Vogt. Or, Carl-Vogt, scientifique de
renom au XIXème siècle, était aussi ouvertement raciste et
s’enrichissait par la traite négrière[5]. Voilà
l’image que se donne l’Unige aujourd’hui.
Racisme partout, justice nulle part
Ainsi, l’Université de Genève
produit et reproduit un racisme structurel. Elle le produit dans son
fonctionnement et dans ses politiques racistes [équivalence de diplôme,
administration, emploi, accès au bâtiment, cours, etc.]. Elle le reproduit, car
le racisme structurel est un mécanisme qui s’étend bien au-delà des murs de
l’Université. L’accès au logement, au travail, au droit à la ville ; les
obstacles administratifs, les difficultés d’accès à l’aide sociale, la piètre
prise en charge médicale ; la déconsidération des personnes, des corps et
de leur parole ; en un mot, la déshumanisation des corps racisés, sont
autant de processus produisant un racisme structurel qui frappe les personnes
racisées de la ville, du pays, du continent.
A Genève, le racisme structure des
modes de vie. Des partis politiques de droite et d’extrême-droite s’affichent éhontément
racistes [UDC, MCG]. La situation des R/MNA [Mineur.e.x.s Non-Accompagné.e.x.s,
requérant.e.x.s d’asile ou non] l’atteste : contrôles incessants et
arrestations abusives de la police, difficulté d’accès au logement et à la
nourriture, pas de scolarisation prévue. Lorsque le SPMi[6] refuse
de loger des jeunes à la rue, que l’Etat refuse leur scolarisation, que le DSES[7] viole
systématiquement la Constitution fédérale et la Convention relative aux droits
de l’enfant[8],
qu’est-ce que c’est, sinon des politiques migratoires racistes ?
L’incendie du foyer des Tattes de 2014 en est un douloureux exemple[9]. Et pendant
ce temps, la police cantonale continue de tuer des personnes racisées[10].
Soutien au mouvement et
manifestations Black Lives Matter
Pour toutes ces raisons et tant d’autres, la CUAE
appelle la communauté universitaire à venir manifester avec le mouvement Black Lives Matter le vendredi 3 juillet
2020, 18h30, quai Wilson.
Cependant, nous appelons à venir soutenir la manifestation,
marcher dans le cortège, et à laisser la totalité de l’espace visuel,
médiatique et physique aux personnes concernées. Nous invitons donc les
personnes blanches à ne pas se tenir en tête de cortège, ne pas tenir de
banderoles, ne pas accepter d’interview ou de photos de journalistes, ne pas
lancer de slogans ou prendre la parole pour des discours sauf si les collectifs
organisateurs en ont fait expressément la demande. Nous invitons enfin les personnes
blanches à participer aux actions sur place uniquement dans la mesure où elles
sont collectives et s’adressent à tout ou une partie de la manifestation [p.ex.
minute de silence, genoux à terre].
De Minneapolis à la Suisse, nique
le racisme !
Quelques ressources
Voir la bibliographique/médiathèque
de la brochure Rupture. Dissocier, transformer, (dé)construire les récits,
disponible à prix libre à la librairie indépendante La Dispersion
(Genève) ;
Ressources à destination des
personnes blanches : https://docs.google.com/document/d/1rZX6ovsbv90eId_EVUxynq-KDNqLE9iiZJuBKxCrsrQ/preview?fbclid=IwAR3ddipeAKWaH3qLTCLQS4Kr6zN7jMzJQN-GQ2mm9RqQHaSIWnr24tP4rlA&pru=AAABcpjyaIw*D7cQtC-p6Z91OqG8jiMKiw
Outrage Collectif : https://outragecollectif.noblogs.org/
[1] Brochure Rupture : dissocier, transformer,
(dé)construire les récits, corédigée par le TU et la Librairie la
Dispersion, octobre 2019.
[2] Définition tirée de Cukierman,
Leïla, Dambury, Getry, Vergès, Françoise (dir.), Décolonisons
les Arts !, Edition L’Arche, 2018, p. 7 : « la
“race” n’existe pas mais des groupes et individus font l’objet d’une
“racisation”, d’une construction sociale apparentée à une définition
historique et évolutive de la “race”. Les processus de racisation
sont les différents dispositifs – juridiques, culturels, sociaux, politiques –
par lesquels des personnes et des groupes acquièrent des qualités (les Blancs)
ou des stigmas (les “autres”) ».
[3] Voir notre article Ouverture de l’Université, de
la théorie à la pratique, 4 juin 2019 : https://cuae.ch/ouverture-de-luniversite-de-geneve-de-la-theorie-a-la-pratique/.
[4] NE PAS voir l’article de Gabriel Jaccard dans la
Tribune de Genève, 16.12.2019.
[5] Voir l’article de Juliet Fall, professeure à
l’Unige, dans Le Courrier, 17.06.2020.
[6] Service de Protection des Mineur[e.x.]s.
[7] Département de la Santé, de l’économie et de la Sécurité.
[8] Voir les articles du collectif Lutte des MNA sur
renversé.co : https://renverse.co/infos-locales/Lettre-ouverte-de-la-permanence-des-avocat-e-s-des-MNA-2568 et https://renverse.co/infos-locales/MNA-Lettre-ouverte-au-Conseil-d-Etat-2373.
[9] Voir la brochure Les Tattes. Incendie et autres
cauchemars, disponible à la librairie La Dispersion.
[10] Umüt Kiran, tué par des flics le 18 avril
2010 : https://renverse.co/infos-locales/Ils-ont-tue-Umut-Nous-n-oublierons-pas-2548 ; Wissam El-Yamni, tué par des flics le 1er
janvier 2012 : https://renverse.co/infos-d-ailleurs/Justice-et-solidarite-pour-Wissam-El-Yamni-1893 ; Hervé Mandundu, tué par des flics le 6
novembre 2016 : https://renverse.co/infos-locales/Bex-Vaud-Quand-la-Police-assassine-834 ; Lamin Fatty, tué par des flics le 24
octobre 2017 : https://renverse.co/infos-locales/Lamin-Fatty-Nous-nous-soulevons-pour-notre-frere-qui-est-decede-1271 ; Mike Ben Peters, tué par des flics le 28
février 2018 : https://renverse.co/infos-locales/Mercredi-a-Lausanne-la-police-a-tue-Mike-du-collectif-Jean-Dutoit-1409.