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Participation et consultations au pays de Candy [Regard Critique n°37]

Participation et consultations au pays de Candy
ou pourquoi chat échaudé craint l’eau froide

La nouvelle loi sur l’université consacre un rectorat encore plus fort qu’il ne l’était déjà. Cette concentration des pouvoirs se fait également au profit des doyennes qui sont appelées à avoir un rôle clé dans les projets rectoraux.

Il existe un certain nombre d’arguments “pragmatiques” contre la concentration des pouvoirs dans les mains d’un seul homme, même en faisant abstraction de toute critique de la conception de la démocratie qu’un tel processus reproduit. Vous les connaissez certainement : de Saddam à Staline, les exemples ne manquent pas. Aussi, plutôt que de produire un long texte théorique chiant sur l’absurdité de la délégation politique et les avantages de l’autogestion, nous préférons vous donner quelques exemples d’abus qui se produisent ici et maintenant dans l’université de Genève du XXIème siècle1…

La possibilité de lutter…

Dans l’ancienne loi sur l’université, le pouvoir des doyennes et du rectorat était contrebalancé mollement par les conseils de faculté et le conseil de l’université qui, s’ils n’étaient pas représentatifs, avaient encore des prérogatives relativement importantes notamment en matière de filières, de règlements et de programmes d’études. Toutefois, la plupart du temps, la participation des étudiantes n’a pas suffit à contrer le pouvoir des doyennes. Cela a amené à certains faits d’armes. Ne pouvant pas les retranscrire tous ici, nous rappellerons en guise d’exemple l’épisode de la suppression de la session d’examen de septembre en Lettres2 puis l’épisode du plan d’étude du Bachelor en Relations Internationales (BARI).

Le doyen des lettres a décidé au cours du semestre de printemps 2008 de supprimer la session de septembre pour la transformer en session de rattrapage. Pour ce faire, il avait besoin de l’aval du conseil de faculté. Le conseil de faculté a refusé son projet. L’histoire se serait arrêtée là si le doyen avait été respectueux des procédures et de l’avis du conseil de faculté. Au lieu de cela, fort du soutien du corps professoral, il a maintenu son projet et promulgué la suppression de la session de septembre. Heureusement, une étudiante a osé contredire le doyen et saisir le tribunal administratif dans une procédure d’opposition. Se sachant en tort, le doyen a retiré son projet pour éviter un jugement embarrassant.

Même s’il est regrettable de passer par une procédure juridique pour faire entendre le bon droit des étudiantes, il a été possible d’annuler cette décision. En passant outre le vote du conseil de faculté et une pétition largement signée par les étudiantes, le doyen s’est mis dans une position intenable, mais qui indique bien quel poids les autorités universitaires souhaitent donner au organes participatifs. Si ce genre d’épisodes bénéficiait de plus de publicité dans l’université, on entendrait sans aucun doute moins souvent des étudiantes demander à la CUAE de renforcer sa collaboration avec le rectorat et les doyennes. Il y aurait probablement une défiance légitime face aux surpuissantes doyennes et rectorat.

Une autre fois, c’est la mobilisation des étudiantes qui a permis d’obtenir ce qu’il leur était dû. Au printemps 2006, la première volée du BARI ne connaissait pas le plan d’étude de la deuxième partie du BARI (soit les deuxième et troisième année) alors même que les examens de fin de première année approchaient ! En d’autres termes, cela revenait à se lancer dans des études sans en connaître le contenu… Les étudiantes, par le biais de leur association l’AESPRI, ont alors demandé gentiment aux responsables du BARI de présenter rapidement le plan d’études pour les années suivantes de leur parcours académique. Ni les responsables du BARI, ni le doyennes, ni les professeures qui avaient toutes en leur possession le projet du plan d’étude n’ont accepté de le transmettre aux étudiantes. Fort du constat qu’on se foutait de leur gueule, les étudiantes décidèrent en assemblée d’organiser un sit-in de protestation tôt le matin devant le bureau du doyen de SES afin d’obtenir leur dû. La mobilisation a payé puisque les étudiantes ont alors obtenu en moins d’une demi-heure ce que la voie “diplomatique” n’avait pas réussi à obtenir en plusieurs semaines. La veille encore le projet du plan d’étude du BARI était soi disant classé top secret…

…Et la nouvelle loi…

Dire que les doyennes ne font pas toujours preuve d’une connaissance poussée des règlements relève donc de l’euphémisme. Sans parler de leur “bonne volonté” ou de leur “clairvoyance”… Pourtant la nouvelle loi sur l’université renforce le pouvoir de celles qui seront amenées, parce qu’elles sont désignées par le rectorat, à devenir les chevilles ouvrières des changements à venir dans l’université. L’exemple de la session de septembre en Lettres illustre bien l’accroissement de leur pouvoir : si le statut de l’uni que  la première Assemblée de l’Université votera s’inspire des rapports de pouvoir au niveau de l’université pour les transposer aux facultés, le doyen de Lettres n’aura même plus besoin de l’aval du conseil de faculté pour supprimer la session de septembre!

Confiant en leur nouveau pouvoir, les doyennes n’ont pas attendu l’entrée en vigueur de la nouvelle loi pour faire des projets, dont la mise en oeuvre n’est rendue possible que par la suppression du pouvoir décisionnel du conseil de faculté. L’actuel projet de restructuration de la faculté SES est un exemple. Le doyen a déjà prévu sa toute-puissance et il ne s’est même pas embêté à prendre en considération l’avis des associations d’étudiantes sur ce projet. C’est un avant-goût de ce qui sera une pratique généralisée dans un futur proche.

Demain est un autre jour

On le voit, la situation est aujourd’hui différente. Les armes aussi. Il ne nous sera plus possible de lutter à l’aide des règlements qui nous assuraient une protection, même faible. Nos pouvoirs étant extrêmement limités dans l’enceinte des conseils, il nous faudra probablement en sortir pour faire valoir le poids du nombre. Nous, les étudiantes, sommes les plus nombreuses. Il faudra peut-être le rappeler et cela  peut passer par la confrontation et non uniquement, comme certaines aiment à l’affirmer, par une collaboration docile avec le rectorat au travers des procédures de «consultations». Rappelons au passage que la Datcha a été obtenu par l’occupation du local par des étudiantes en sciences…Qui a vu les pratiques de «consultations» du rectorat à l’oeuvre sait ce que ce terme recouvre. Dans la majorité des cas, le rectorat consulte largement pour profiter des avis divergents. Ainsi, face à la multitude de positions exprimées, le rectorat a tout loisir de choisir celle qui lui convient. Et s’il n’en existe pas… il invoquera l’impossibilité du consensus pour passer es projets en force. Mais le plus souvent il ne consulte tout simplement pas. A l’intérieur des conseils comme à l’extérieur, pour la session de septembre en lettres comme pour les plans d’études successifs, l’avis des étudiantes qui sont les premières concernées n’est jamais pris en compte.

La CUAE qui cherche a mener une politique cohérente et indépendante des pressions rectorales ne peut se satisfaire d’un rôle d’étudiante alibi dans des organes dépourvues de poids décisionnel. Notre participation aux élections de la première Assemblée de l’Université peut se comprendre comme la volonté de donner un poids décisionnel à ces organes. En effet, c’est le statut que cette assemblée devra entériner en moins de 20 mois qui définira le poids des organes participatifs au niveau des facultés [3]. Ce sont également des espaces propices à la propagande, à la révélation de scandales en tout genre et souvent des sources d’informations privilégiées. Mais même avec un poids décisionnel ces organes ne seront ni représentatifs ni démocratiques. Les professeures resteront surreprésentées et empêcheront toute initiative autre que les leurs. Aussi, nous restons déterminées à agir sur les terrains que nous jugerons adéquats. Si les conseils participatifs deviennent des coquilles vides, seul restera la mobilisation du nombre ou la détermination de certaines pour que des décisions illégitimes soient combattues. Nous restons déterminées à atteindre nos objectifs de démocratisation des instances internes de l’université. Nous continuerons à lutter pour que les personnes concernées par les choix soient également celles qui décident. Nous continuerons à nous opposer à ce que les professeures ordinaires constituées en une bande d’oligarques cessent d’avoir un poids prépondérant dans les décisions de l’université. Et finalement, nous continuerons à lutter pour tout cela quelle que soit la méthode qu’ils nous laisseront à disposition.

[1] Pour un texte court et pas chiant sur l’absurdité de la délégation en politique lire «Autogestion et hiérarchie» extrait de Le contenu du socialisme de Cornelius Castoriadis. La brochure Autogestion et hiérarchie est disponible à cette adresse :  http://infokiosques.net/spip.php?article247 ainsi qu’auprès de la CUAE.

[2] Contrairement à d’autres facultés la faculté de Lettres permet de choisir entre la session de juin et celle de septembre. Ainsi, celle de septembre n’est pas seulement réservée aux rattrapages et chaque étudiante peut choisir de passer son premier essai en septembre sous réserve du respect du délai d’étude.

[3] Cela constitue un des enjeux principal de l’Assemblée de l’Université qui aura un rôle consultatif contrairement au feu Conseil de l’Université.

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Bologne et la non-mobilité

Plusieurs années après que la CUAE l’ait déclaré haut et fort, d’autres organismes se rendent enfin comptent de l’inefficacité de la réforme dite “de Bologne” en ce qui concerne l’accroissement de la mobilité des étudiantes.

Rappelez-vous, favoriser la mobilité était le leitmotiv préféré de Charles Beer qui, malheureusement, sévissait déjà au Département de l’Instruction Publique. On constate donc que le seul argument “vendeur” auprès des étudiantes étaient faux.

Les autres arguments avancés alors sont d’avantage lié à la création d’un marché européen des universités et aux besoins d’une meilleure lisibilité des diplômes pour les entreprises. Ainsi, nous pouvons aujourd’hui le ré-affirmer, Bologne n’avait aucun intérêt pour les étudiantes et se résume à un cadeau fait aux milieux économiques. Après l’Union National des Étudiant-e-s Suisses et la Conférence des Recteurs des Universités Suisses en septembre dernier, c’est au tour des autorités françaises de reconnaître que Bologne n’a pas amélioré la mobilité. Mme Pécresse reconnaît même que la mobilité ne concerne qu’une minorité d’étudiantes “inité[e]s et aisé[e]s”.

Ce constat, largement répandu, est également à mettre en lien avec les recommandations émises par les autorités académiques – et autres indicateurs – qui visent à ce que seules les personnes inscrites dans un réseau européen de recherche ou ayant passé plusieurs semestres dans une université étrangère puissent faire une carrière académique.

En conclusion, la mobilité est un nouveau critère d’excellence qui ne fait que reproduire les différences socio-économiques des individus. En d’autres termes, il s’agit du nouvel outil permettant de fermer l’accès de la recherche et des professions académiques aux classes les plus défavorisés.

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Contexte politique tendu [Regard Critique n°36]

Contexte politique tendu : la gôche majoritaire au gouvernement et l’illusion d’unanimité ou comment le PS et les vertes vous font croire être les maîtres à bord pour le plus grand profit et la plus grande joie de leurs copines de droite qui ne passent même plus pour des méchantes destructrices de l’état aux yeux de l’électorat qui ne sait plus qui croire.

Vous croyiez qu’à Genève on ne fait rien comme les autres et qu’on est incapable d’avoir des politiques de compromis(sion) ? Détrompez-vous ! Au moins depuis que l’on connaît la « cohabitation » [1] on en est capable. Du coup, beaucoup considèrent à tort que quand une loi est votée par tous les partis, il s’agit d’une loi « équilibrée » [2] Voici une petite réflexion sur le contexte politique genevois et le discours dominant habituel qui tend à tout rendre technique et apolitique.

Cohabitation et compromission : un jeu « win-win [3] »

Que la gôche se compromette pour accéder au gouvernement n’est pas nouveau [4]. La seule différence c’est que pour la première fois elle gouverne en se croyant majoritaire alors que tant que le Grand Conseil est tenu par la droite elle ne le sera pas. Du coup, et ce n’est pas un scoop, le pouvoir suprême n’est pas l’exécutif mais le législatif [5]. Le PS et les vertes le savent très bien, elles ont juste fait semblant de ne pas s’en rappeler et martèlent à qui veut l’entendre qu’elles sont aux affaires. Évidemment, il y a un vrai enjeu à rester au pouvoir : ça rapporte des postes et ça permet de faire une campagne permanente grâce à la « couverture » médiatique ! La droite se tait : sa politique est appliquée par d’autres sans qu’elle ait trop à se fatiguer. C’est ce qu’on appelle un jeu win-win, tout le monde est gagnant. C’est ainsi qu’il faut comprendre l’excellente « coopération » entre les partis de droite et de gôche [6].

Les conséquences d’une telle pratique des deux « grands » partis de gôche peuvent apparaître comme graves. Depuis la « cohabitation », la politique du gouvernement ne connaît pas d’opposition au parlement… si ce n’est celle de l’extrême droite démagogue et parfois des libéraux les poussant à aller « plus loin ». Bien plus grave encore, le PS et les vertes ne manifestent plus, ne récoltent plus de signatures, bref ne contestent plus [7]. Cela donne une impression d’unanimité. Cela donne l’impression que les lois sont « équilibrées » alors que la période n’est pas au répit [8]. En résumé, on constate que ces deux partis de gôche se profilent désormais exclusivement comme des partis « gouvernementaux » habitués au pouvoir et s’habituant à avoir comme but principal la conservation de parcelles de pouvoir (et non pas la conquête du pouvoir et encore moins un projet politique de transformation de la société comme ils le prétendent à longueur d’année). Faire le constat de l’abandon du terrain politique qu’est la rue [9] ne peut que confirmer l’impression d’acceptation de la politique actuelle : les « militantes » devaient être bien fatiguées d’être dans l’opposition et contentes de devenir « membre » d’un club qui a deux conseillères d’états, et donc deux départements avec tous les postes de fonctionnaires à distribuer. Le passage de la gôche de l’opposition au pouvoir, c’est aussi la professionnalisation des partis avec tous les intérêts économiques en jeu [10]. D’ailleurs, combien de « militantes » autrefois d’extrême gôche ont pris une carte au PS à l’annonce de la possibilité d’un poste ?

La fin de la politique ou pourquoi il ne sert à rien de débattre.

Mais ne vous inquiétez pas ! Selon eux-mêmes, le PS et les Vertes sont toujours de gôche. Ce n’est pas qu’elles ont viré à droite en même temps qu’elles accédaient au pouvoir, c’est simplement que maintenant c’en est fini des luttes idéologiques. En fait, dans leur discours « idéologie » est péjoratif puisqu’il se rapporte à une page sombre de leur histoire, où les gens luttaient encore pour essayer de changer l’organisation de notre société en un système plus juste. L’idéologie, c’est bon pour les marginaux [11] ! Place au gouvernement « responsable  [12]», celui qui ne fait pas de la politique mais qui gouverne à la manière d’une manager ou d’une cheffe d’entreprise. En cela, le discours du PS et des Vertes est en tout point semblable à celui d’une libérale [13]. En l’absence d’idéologie, ou autrement dit de conception différente d’une société, il ne sert à rien de débattre des lois ou de leur pertinence. On peut y voir la fin de l’histoire ou du moins de la politique. Étant tous d’accord sur la direction à prendre (le fameux « consensus » [14]) , il ne sert à rien d’allonger les débats. Le « consensus » c’est la fin de la contestation, le début de l’acceptation du pire, ou du moins, le début de l’acceptation de la politique de « l’autre », la droite, c’est-à-dire l’acceptation par la gôche gouvernementale d’une politique intrinsèquement anti-social(ist)e sous le couvert qu’il ne s’agit pas de politique (au sens idéologique) mais de « bonne gouvernance ».

Instrumentalisation accrue des lois ou pourquoi la presse n’a plus de journalistes mais que des laquais aux services des puissantes et qu’elles sont prêtes au pire pour s’y maintenir.

Le seul débat possible, mais souvent occulté puisque les partis gouvernementaux se partagent l’élaboration des lois, est celui portant sur les mesures d’applications et les indicateurs servant à l’évaluation d’une loi. Il s’agit de choisir les « bonnes » mesures, celles qui permettent d’accroître le contrôle social et la politique de désengagement de l’état, faussement appelée politique de « responsabilisation individuelle  [15]». Il s’agit de choisir les « bons » indicateurs, ceux qui mettront le plus en évidence la « qualité » du travail effectué par tel département ou tel parti politique. Ainsi, les lois ne sont plus la solution trouvée par notre classe politique pour répondre à un problème de société mais un outil de propagande partisan. A chaque projet de loi correspond sa conférence de presse qui mettra en avant tour à tour telle ou telle conseillère d’état. Dans une telle optique, leur évaluation sert avant tout à mettre en avant la réussite que constitue telle ou telle mesure [16]. Les conseillères d’états se profilent grâce à « leur » loi – puisqu’elles se les partagent – profitant de la paresse des médias et de leur allégeance pour répandre leur propagande. On le voit bien, la politique est d’avantage déterminée par des questions de marketing que par le contenu des projets. Le timing ou la mise à l’agenda est logiquement soumis à la même règle. Elles ne font plus une loi au « bon » moment pour répondre à un problème, elles font une loi au moment « opportun », au moment où les médias ont bien préparé le terrain [17], au moment où cela assoit leur base électorale. La politique n’est plus un enjeu noble de transformation de la société – si elle l’a été une fois – mais un enjeu de conservation du pouvoir. Autrement dit, on fait de la politique pour faire de la politique, on fait des lois pour continuer à en faire, pour se maintenir au pouvoir et distribuer des places à ses copines. Dans un tel contexte, celles qui faisaient confiance ou avaient des espérances dans le jeu politique peuvent déchanter. Les élues sont prêtes à tout, à retourner leur veste comme suivre le sens du vent. Et peu importe que le vent nous mène droit dans le précipice, il faut le suivre.

Face à ce constat, il nous faut résister avec tous les moyens à disposition : C’est pourquoi la CUAE vous appelle à voter NON à la loi sur l’université ! Le 30 novembre prochain.


1. Pour rappel : Conseil d’État majoritairement de gôche (2 « Verts » et 2 « Socialistes » sur 7) et Grand Conseil majoritairement à droite (avec une belle dose d’extrême droite).

2. La loi sur l’université est un exemple récent.

3. Le jeu win-win est un type de jeu dérivé du « choix rationnel ». Dans ce type de jeu, les deux « joueurs » sont gagnants (d’où son nom « win-win ») s’ils coopèrent. Une des questions qui restent en suspens est le partage des bénéfices. Nous le verrons dans cette étude du cas genevois, dans un jeu win-win on trouve toujours une solution acceptable pour les deux « joueurs ».

4. On ne va pas refaire un cours d’histoire politique suisse mais on a, en Suisse, ce qu’on appelle la « cooptation » : T’arrive pas à faire taire ton adversaire politique ? Intègre-le au gouvernement, il fermera sa gueule et tu pourras continuer ta politique. C’est ce qu’à fait le PRD en intégrant successivement le PDC puis l’UDC et enfin le PS au gouvernement fédéral. Avant cela le PS, s’était déjà compromis dans des gouvernements cantonaux.

5. Locke, en 1690 déjà, l’avait compris.

6. La loi sur l’université nous fournit exemple récent, Bertinat (UDC) allant même jusqu’à féliciter Beer (PS) et Dreifuss (PS).

7. Nous ne parlons même pas des autres formes de contestation politique totalement étrangères aux bobos qui forment l’essentiel des membres du PS et des vertes.

8. Les lois « sociales » sont un bon indicateur. Le durcissement de l’aide sociale, l’augmentation des critères de restriction, des changements fondamentaux dans l’utilisation que l’Hospice Général fait de son parc immobilier (la perspective de gain en période où les loyers prennent l’ascenseur éclipse les besoins d’habitats des plus pauvres), la criminalisation des contestations politiques, les restrictions du droit de manifester sont autant d’exemples de comment le contrôle social s’accroît dans différents domaines. Les conseillers aux états de gôche l’ont tous très bien compris et appliquent, chacun dans son domaine et département respectif, la consigne à la lettre.

9. Parce que c’est dans la rue qu’on manifeste et qu’on récolte des signatures, son abandon signe l’arrêt d’une politique d’opposition. Désormais, le PS est les vertes se contenteront du 1er mai et c’est déjà bien suffisant ! (Nous, nous préférerions qu’elles ne viennent plus puisque c’est sensé être la fête du travail et des travailleuses et non l’apologie de la compromission avec le patronat.)

10. Ueli Leuenberger, nouvellement élu président du parti national des vertes, a d’emblée annoncé la professionnalisation du parti comme un de ses objectifs.

11. Comprendre les communistes, l’extrême gôche et la CUAE.

12. Une fois de plus, l’utilisation d’un tel terme n’est pas anodin. Un peu à la manière de « l’autonomie » de l’université qui s’oppose à « dépendance » et « soumission », un gouvernement « responsable » s’oppose à un gouvernement… « irresponsable ». Traduction : ceux qui croyaient qu’une fois au pouvoir elles allaient l’utiliser pour faire passer un programme politique se trompent ! Une fois au pouvoir, la gôche se « responsabilise », elle fait passer le programme de la droite à sa place. C’est ça la « bonne gouvernance ».

13. Toutefois, ne vous méprenez pas ! Même si les libéraux vous semblent tenir des discours très idéologiques avec ses théories néo-libérales du désengagement de l’état et de marchandisation de l’ensemble de la société sans restriction (sauf peut-être la justice mais même ça ils n’en sont pas sûr); le néo libéralisme n’est plus une idéologie c’est « la réalité de notre temps ». Ainsi, personne n’oserait affirmer que les libéraux ont une posture idéologique. Non, lui, eux sont « bien ancrés dans notre époque » en nous proposant des mesures extrêmement conservatrices.

14. Désengagement de l’état, mise en concurrence des services publiques sur la base de ce qui se pratique dans le secteur privé et accroissement du contrôle social.

15. Et d’ailleurs on voyait fleurir en période électorale sur les espaces d’affichage publique le slogan « libre donc responsable » qui était alors l’apanage d’un parti de droite. Ce slogan, qui ne nécessite aucune explication et ne souffre d’aucune critique possible, est aujourd’hui repris par la gôche gouvernemental. Qui oserait être contre la liberté et la responsabilité individuelle ?

16. L’évaluation de la « performance » des offices privés de placements de chômeurs est un bon exemple. On occulte plusieurs indicateurs importants pour permettre aux expertes de conclure que « toute chose étant égale par ailleurs » – ce qui en l’occurrence ne l’était pas – les offices privés trouvent plus rapidement du travail aux chômeuses. Sans non plus se soucier du « bien-être en emploi » (quel oxymore !) ou de l’adéquation entre les aspirations des chômeuses et la place trouvée. D’une manière générale, les milieux académiques sont complices puisqu’on retrouve de nombreuses professeures parmi les expertes.

17. Comme pour les chiens dangereux, un problème devenu urgent et important au fur et à mesure que sa « couverture » médiatique occupait les laquais de la Tribune de Genève.

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Autonomie mon cul! [Regard Critique n°36]

Autonomie mon cul !

Ou comment l’indépendance académique est sacrifiée par la classe dirigeante pour mettre l’université au service des intérêts du capitalisme.

Pour les signataires de la déclaration de Bologne, les objectifs de celle-ci devaient être réalisés « en respectant pleinement […] l’autonomie des universités. » Par un curieux retournement de sens dont sont coutumiers les fossoyeurs-réformateurs de l’université [1], l’autonomie n’est plus aujourd’hui une caractéristique déjà acquise et qu’il convient de protéger, mais au contraire un but que chacune devrait viser, et que la nouvelle loi nous promet d’atteindre, le rapport des expertes autoproclamées Dreifuss et consorts se sous-titrant sans rire Une Université autonome et responsable.

Cette nouvelle autonomie qui resterait à acquérir ne peut donc correspondre à la liberté académique, qui visait à préserver autant que possible la recherche académique des interférences d’autres champs, notamment économique et politique [2]. Ceci ne fut bien entendu jamais une réalité absolue, mais restait néanmoins proclamé par les universités et les scientifiques comme un bien non négociable. Aujourd’hui, la lecture de la presse de l’ennemi de classe à l’occasion de la nomination d’une professeure de HEC conduit à un tout autre constat. Sous le titre « Crédibilité renforcée », on se félicite en effet que « le rectorat de 1’Université de Genève [veuille] renforcer son image auprès des professionnels de la finance. »[3] Évidemment, aucune allusion à la recherche ou à un quelconque progrès scientifique possible. Il s’agit ici de rassurer les investisseurs, au moment ou l’université s’apprête à recourir de plus en plus largement aux fonds privés.

La nouvelle loi sur l’université prévoit que « L’Université recherche activement des sources de financements complémentaires, publics, institutionnels et privés. »[4] La logique qui prévaut à l’attribution des fonds privés est ici celle des profits envisagés par les entreprises pourvoyeuses des fonds. Elle est à peine différente du côté des fonds institutionnels, vu le noyautage du fonds national pour la recherche scientifique par le lobby de l’économie et les résultats visibles sur l’attribution des pôles nationaux. Quant aux financements complémentaires publics, on attend impatiemment que les auteurs de cette phrase daignent nous expliquer ce qu’ils entendaient par là… Cette manière de faire dépendre le financement d’un projet, en tout ou en partie, d’acteurs situés hors du champs de la recherche académique, permet d’imposer de l’extérieur à la fois les questionnement des scientifiques et, en règle générale, les réponses que ceux-ci vont y apporter.

La fin de toute prétention à une organisation démocratique de l’université est également consacrée par la nouvelle loi. Une assemblée de l’université aura l’immense privilège de pouvoir donner des préavis ou des recommandations à la rectrice souveraine qu’elle se sera donnée. On imagine sans peine que les débats devraient s’élever au niveau de la discussion de bistrot, avec les mêmes conséquences pour l’avenir de l’institution, vu l’attention que le rectorat actuel accorde habituellement aux procédures de consultation quand celles-ci ne se contentent pas de légitimer sagement sa politique [5]. On préférera naturellement se référer au comité d’orientation stratégique, sorte de proto-conseil d’administration prête à servir les ambitions de développement du rectorat, ou aux recommandations de l’assurance-qualité [6], experte à imposer comme norme indiscutable les revendications du champ économique.

L’université doit donc se mettre « au service de la cité ». Inutile de préciser que ni la mission d’enseignement ni la recherche fondamentale ne sont considérées par les décideurs économiques comme un service rendu à la société. Cette position est également suivie par leurs laquais, politiciennes ou cadres de l’université. En revanche, on insiste sur le rôle d’expertise que doit jouer l’institution et sur l’importance de « [la réactivité] dans un environnement soumis aux défis de la mondialisation » pour pouvoir toujours suivre le vent dominant du moment et attirer un potentiel « Rolex Learning Center. » [7]. Cette stratégie nécessite naturellement un effort de communication. On continuera donc à former les étudiantes dans des conditions d’encadrement indignes, tout en développant le service de presse du rectorat pour assurer une propagande efficace et se complaire dans l’autosatisfaction.

L’autonomie proclamée par les partisans de la nouvelle loi sur l’université n’est donc en définitive qu’un trompe-l’œil destiné à camoufler les véritables intentions des classes dominantes : mettre fin à tout effort en faveur de la démocratisation du savoir, pour remettre l’université à la place que lui assigne le nouvel ordre économique : formation d’une main d’œuvre à bon marché et sous-traitance des besoins de l’économie ou de ce qui reste de l’État. Pour la défense de l’indépendance académique, d’une véritable démarche scientifique et de la liberté de se poser des questions hors de la pensée préformatée, il est indispensable de refuser la loi sur l’université.

1. Il suffit de penser à ce que peuvent signifier la qualité, la coopération et la concurrence, ou encore la gouvernance dans le langage de l’idéologie néolibérale dominante. Voir à ce sujet Christian de Montlibert, « La réforme universitaire : une affaire de mots », in Le cauchemar de Humboldt, Paris, 2008.

2. Historiquement, la liberté académique devait préserver l’université de l’influence de la sphère religieuse.

3. « Crédibilité renforcée », in Private Banking, 1er septembre 2008.

4. Art. 20, al. 2.

5. Voir l’article à ce sujet dans le n° de Courants « Spécial CDE » ou sur le site de la CUAE.

6. Au sujet de de l’organe d’accréditation et d’assurance qualité (OAQ), on peut se référer au Regard critique n°30, « Spécial 21 mai », disponible sur le site www.cuae.ch.

7. Courrier des lecteurs du député Patrick Saudan, Le Temps, 26 août 2008.

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Les taxes à l'IHEID: Un avant-goût de l'autonomie dans la gestion? [Regard Critique n°36]

L’Insitut des Hautes Études Internationales est bien connu dans notre canton et voudrait l’être dans le monde. Il se glose, surtout en la personne de son directeur M. Philippe Burrin, d’être de « niveau international » et de prôner « l’excellence ». A ce titre, il pratique en toute illégalité des taxes de 3’000.- par an pour les étudiantes de Masters – 5’000.- pour les étudiantes étrangères, ce qui pourrait être interprété comme un manquement aux accords bilatéraux. Heureusement, une courageuse étudiante soutenue par la CUAE a fait recours.

Philippe Burrin suggère que les étudiantes ne peuvent pas comparer la qualité des enseignements entre les universités (« l’offre » dans le langage de M. Philippe Burrin) sans qu’une hausse massive (x 3 à x 5) soit instaurée.1 Au delà des inepties proférées par Philippe Burrin, aujourd’hui, plus de 3 mois après le dépôt du recours, force est de constater que la «Commission des oppositions » ainsi que le « Collège des professeur[e]s», à qui Philippe Burrin a transmis la lettre d’opposition, n’ont pas pris la peine d’étudier le cas ou, plus grave encore, n’ont pas pris la peine de communiquer une réponse à la recourante. Cette attitude est particulièrement significative du comportement que Phillipe Burrin a décidé d’adopter sur cette affaire, d’autant plus que l’IHEID a probablement les ressources nécessaires afin d’étudier la question puisque de nombreuses professeures y prodiguent des cours de droit. N’y a-t-il donc pas une juriste compétente à l’IHEID ?

Constatant un manquement à la loi (art. 63 al. 1), nous demandons au Conseil d’Etat (responsable de la surveillance suivant l’art 9 al. 1 et al. 3 de la loi sur l’université) de prendre ses responsabilités et que M. Charles Beer en tant responsable du Département de l’Instruction Publique veille à la bonne application de la loi. Dans l’attente de changements rapides dans la gestion de l’IHEID et de la réparation pécuniaire des personnes lésées, nous resterons vigilant à ce que M. Charles Beer prenne enfin la peine de s’occuper des affaires qui le concernent et nous espérons qu’il ne s’agisse pas là d’un avant goût de la nouvelle loi sur l’université tant au sujet des taxes que de la démission des responsables politiques.

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RENTRÉE 2008 : l’université flique les sans-papiers

Du fait de la présence de l’Office Cantonal de la Population (police des habitantes) lors des séances d’immatriculation, des étudiantes ont été empêchées de s’inscrire à l’université et n’ont par conséquent pas pu commencer leurs études à la rentrée.

L’université, en poussant des étudiantes dans ce traquenard, fait étalage de son zèle et de sa soumission à la politique d’expulsion de l’état policier. Depuis longtemps, la division administrative et “sociale” des étudiantes entretient des liens douteux avec l’office cantonal de la population. A l’occasion de cette rentrée, le rectorat a décidé de ne plus cacher sa collaboration avec la police des habitantes.

En assumant activement son rôle dans la politique de discrimination d’état, le rectorat met à jour sa duplicité et son hypocrisie, lui qui se flatte sans vergogne de sa politique d’égalité des chances et de démocratisation des études.

En faisant en son sein une place d’honneur à la police des habitantes, l’université a dépassé la limite du tolérable. Un palier a été franchi et chacune est concernée. Cette attaque ne passera pas.

L’université doit cesser immédiatement toute collaboration avec l’état policier et garantir l’accès à la formation pour toutes.

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Loi sur l’université: Le vendredi 13 ne porte pas chance ou comment le PS et les Vertes servent de vaseline à un projet néo libéral

Vendredi dernier était votée la future nouvelle loi sur l’université de Genève. C’était un vendredi 13. Un de ceux qui confirment les superstitions sur cette date maudite et nous font languir du retour des zombies.

Si le parlement ne s’est malheureusement pas transformé en Ghostshouse mais presque (72 votants sur 100 avec une voix contre, mais pas celle de Jean Rossiaud [1] qui n’a toujours pas réussi à prendre part au vote). Nous avons eu droit à un véritable massacre à la tronçonneuse. Avec Pierre Weiss dans le rôle de Jason, et Charles Beer comme réalisateur converti à la théologie d’un rectorat fort. Un scénario probablement co-écrit par la grande main invisible, si on se fie à son odeur néo- libérale : En vrac, désengagement de la classe politique, hiérarchisation accrue sans contrôle démocratique, ouverture au secteur privé au détriment de l’indépendance de la recherche et statut du personnel calqué sur le modèle du privé. Sans oublier la fin d’un plafond pour les taxes universitaires – mais où sont passés les engagements socialistes ? [2]

Si l’on regrettera au passage la docilité des parlementaires de gauche au sujet des taxes universitaires, que dire de leur franc soutien au reste de la loi ? Ni les vertes ni les socialistes n’ont proposé d’amendements sur un texte qui en nécessitait tant [3]

En d’autres termes, le scénario était parfaitement lubrifié, pas la moindre grain de sable sous le capot, pas la moindre trace d’opposition inscrite au PV (même pas un rapport de minorité de la commission, même pas un amendement refusé). La nouvelle loi est le fruit d’un consensus politicard et permet une nouvelle gouvernance concrétisant la cosmogonie du rectorat fort. En somme, il s’agit d’une conversion de la classe politique à une religion qui semble faire des émules au-delà des rangs de la droite classique (c’est-à-dire sans le PS et les Verts). Cela arrange tout le monde. Les députées n’ont plus de compte à rendre sur leur désintérêt quant au fonctionnement de l’institution et le rectorat, en plus d’être libéré des contingences de la démocratie interne, a les mains totalement libres pour mener la barque à sa guise. L’érection en dogme d’un rectorat surpuissant ne souffre d’aucune résistance. Puisqu’il est accepté de toutes, seules des folles peuvent nier sa supériorité. Et puisque ce sont des folles, il n’est pas nécessaire de répondre à leurs critiques, contrer leurs arguments ou prendre en compte leurs remarques. Il n’est plus nécessaire au rectorat de justifier ses propres actes ou même de les discuter. Et cela, ni devant les pouvoirs politiques ni devant des organes de démocratie interne. Seule une Assemblée, dénuée de tout pouvoir, servira de moyen de légitimation à la politique rectorale et de pseudo-organe consultatif.

Nous regretterons également l’indépendance de la recherche et ne croyons pas une demi-seconde que le conseil d’éthique et de déontologie [4] n’aura d’autres utilité que d’étouffer les futures affaires Rylander [5] Fini le temps où l’on investissait dans la recherche fondamentale et où l’on publiait ses découvertes consciente du caractère public du savoir et des débouchés futurs de cette même recherche fondamentale. Niant le caractère aléatoire ou hasardeux de la recherche scientifique dont on ne peut par définition savoir à l’avance les découvertes, on veut désormais des recherches orientées, permettant des débouchés rapides pour le secteur privé (un euphémisme bien laid pour dire les entreprises, et pas n’importe lesquelles, les plus grosses, celles qui rétribuent le mieux les actionnaires, c’est-à-dire le capital). Il en est donc fini du temps de la liberté académique et des recherches en sciences humaines pointant là où ça ne va pas ! Qui financera des recherches sur des questions comme le rôle des banques suisses dans la Deuxième Guerre mondiale, la quantification de l’écart des salaires entre les femmes et les hommes ou sur les violences policières et étatiques ? Les chercheuses deviendront des laquais au service du capital. Pour les entreprises, et donc les actionnaires, c’est « tout bénéf » : comment profiter du savoir faire et des infrastructures de l’université à moindres frais pour produire une quantité de savoir directement utilisable. Le contribuable ne pourra plus se plaindre de financer des « branleuses en étude » ou « des chercheuses trop bien payées », il financera directement les recherches des grandes firmes suisses (merci Serono pour cette chair en endocrinologie !) et la formation des futures servantes du capital (il ne faut pas chercher plus loin la demande d’inscription dans la convention d’objectifs (euphémisme pour contrat de prestations) de la création d’un pôle d’excellence en finance). Avec le recours accru au financement privé, c’est la fin de la mise à mort des dernières zombies comme la pensée critique à l’université mais aussi l’entrée dans un nouvelle ère : celle de la créativité productrice de richesse. Traduction : c’est le moment d’apprendre à faire toujours plus avec toujours moins (c’est ça être créatif) et c’est fini l’époque où l’on avait le temps de se poser des questions sur le pourquoi de faire toujours plus ? le pourquoi de devoir faire avec toujours moins ?

En bonnes jésuites, les parlementaires imposent une réforme qui n’est qu’un retour en arrière. Après avoir fabriqué une « crise de l’université » montée de toutes pièces, elles prétendent résoudre les problèmes actuels avec les recettes d’hier : fin de l’indépendance académique pour se conformer au diktat de l’économie, autorité du recteur sur une université hiérarchisée à outrance, et réaffirmation de son rôle essentiel de reproduction sociale des élites bourgeoises. La gauche parlementaire ne s’y est pas trompée et a su lire le jeu de la droite comme la direction du vent dominant. En sachant taire ses divisions pour accepter prudemment ce compromis qui vaut à ses autrices de jouir des félicitations de l’extrême-droite [6], ils ont su oublier leurs programmes nationaux concernant la gratuité des études supérieures ou l’université démocratique. Nul doute que ce pragmatisme leur vaudra la reconnaissance fugace de leurs partenaires de droite. Et le mépris des zombies et des autres.

[1] Jean Rossiaud était absent lors du vote final de la commission de l’enseignement supérieur et n’a donc pas pu jouir du droit à rédiger un rapport de minorité.

[2] Nous vous renvoyons à l’interview de Beer dans Le Courrier du 19 avril 2008 ainsi qu’au programme politique du Parti Socialiste Suisse.

[3] Bien que nous ne les regrettions pas, nous nous étions habitués à ce que l’on propose des amendements cosmétiques. Cette fois-ci, mêmes ces amendements de façade n’ont pas été proposés. Pour celles qui désirent plus d’information sur le sujet, nous les renvoyons à la proposition d’amendements du Groupe de Travail sur la Loi sur l’Université (qui a été réactualisée après les modifications apportées par la commission sur l’enseignement supérieur, c’est-à-dire quasiment rien malgré plus d’un semestre de tergiversation. A ce sujet, nous en concluons que les travaux et auditions de la commission n’ont servi qu’à augmenter la légitimation du texte de loi qui avait jusqu’à lors été rédigé que part des expertes auto-proclamées).

[4] Suite à l’affirmation de son innocence quant aux accusations de plagiat qui planait sur son travail, nous ne pouvons que suggérer la candidature du Professeur ordinaire d’éthique Monsieur François Dermange.

[5] Ragnar Rylander, un prof de la fac de médecine a été pris la main dans le sac : il collaborait depuis 30 ans avec Philip Morris et publiait des études conformes aux intérêts de l’industrie du tabac à savoir de faire croire que le tabac ne cause aucun dommage ! Voir notamment S. MALKA et M. GREGORI, Infiltration, une taupe à la solde de Philip. Morris, Genève, Editions Georg, 2005.

[6] Ainsi Eric Bertinat, membre UDC de la commission, a félicité Ruth Dreifuss et Charles Beer pour le travail accompli autour de cette loi.

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L’incurie au pouvoir : les députéEs flinguent l’université

Communiqué de presse de la CUAE du 10 juin 2008

Dans une atmosphère qui tient à la fois du départ en vacances et des jeux du cirque footballistique, le Grand Conseil genevois s’apprête à voter la nouvelle loi sur l’Université. Le projet, accepté à l’unanimité en commission de l’enseignement supérieur, fait la part belle aux thèses néolibérales et constitue un pas supplémentaire dans la direction d’une marchandisation de l’enseignement et de la recherche. À l’occasion de ce vote, la CUAE souhaite rappeler les principaux enjeux du processus d’autonomisation en cours.

La pseudo-crise de l’université du printemps 2006, montée en épingle à dessein par une classe politique déterminée à solder ce qui pourrait rester de l’indépendance académique, sert de prétexte à une réforme des structures. Le modèle appliqué n’est qu’une énième variante de la théologie du « rectorat fort » en vigueur depuis les années 90, et responsable des dérives constatées. Pour nos tribuns, de gauche comme de droite, toute l’institution doit être sous la coupe d’un recteur tout puissant coopté par le corps professoral, et à qui il revient d’être le « sauveur suprême » de l’université. En guise de contrôle, la novlangue néolibérale marque une évolution supplémentaire et tient compte des réticences formelles d’un monde académique qui a encore besoin de croire à son indépendance : pas de contrat de prestation mais une convention d’objectif, et un conseil d’orientation stratégique plutôt qu’un bête conseil d’administration. Visiblement, les méthodes mises en œuvre aux TPG, SIG et HUG et responsables des multiples dérives dans ces organismes ont toujours de nombreux émules, et le refus lors des dernières votations cantonales du désengagement politique de la gestion de ces institutions ne semble pas avoir bouleversé des député·e·s plus soucieux d’imposer leur modèle de gouvernance que du respect de la volonté populaire. On sait également les conséquences que ces réformes structurelles ont sur le statut du personnel, et une généralisation des contrats de droit privé est à attendre, à la fois pour exploiter le petit personnel à titre temporaire et pour verser des salaires indécents à de prétendues sommités.

Autre face de ce désengagement des représentant·e·s politiques : l’absence dans le projet de loi de la question des taxes universitaires, reléguée à une « loi spéciale ». La pratique actuelle (et illégale !) de l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID) laisse augurer de ce qui attend les étudiant·e·s, c’est-à-dire un montant qui passe brusquement de 1000 à 5000 francs par année. Quant aux améliorations du système de bourses promises à chaque réforme, tout indique qu’il faudra les attendre encore longtemps, le sujet n’ayant tout simplement pas été abordé, quand il n’est pas renvoyé à une hypothétique harmonisation fédérale en la matière, remède qui sera à coup sûr pire que le mal. Tout est donc fait pour que l’université retrouve son rôle d’instrument de sélection sociale en en écartant ceux et celles qui ne pourront subvenir à ses exigences financières. Dans ce contexte, et sans renoncer à notre exigence de gratuité des études supérieures, la loi actuelle qui impose le plafond des taxes à 500 francs par semestre apparaît comme un acquis minimal (bien que très insuffisant) en faveur d’un accès à l’université sans distinction de classe sociale.

Pour ces raisons, la CUAE exige des député·e·s qu’ils refusent ou amendent en profondeur le projet de loi actuel, inepte, inefficace et antisocial. Elle lance également un appel à toutes les forces prêtes à combattre par tous les moyens cette vision d’une université soumise aux intérêts de l’économie et aux fantaisies d’expert·e·s autoproclamé·e·s, en rejoignant le comité référendaire en cours de constitution, en suivant l’appel à manifester du Collectif pour la démocratisation des études (16h00 aux Bastions, puis devant le Grand Conseil), ou par toute autre méthode.

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Des taxes à 46’000 francs, ça vous tente ? Ou pourquoi ne pas prendre les députéEs au sérieux ?!

Vous trouverez les liens internet des projets de loi déposés qui en disent long sur la “démocratisation” de l’accès aux études selon les éluEs du Grand Conseil. L’utopie de réserver les études aux riches est en construction au parlement genevois.

Pour celles et ceux qui croient encore que les députéEs prennent des décisions sérieuses et réfléchies, voici les références de projets de loi effrayants aux sensations fortes garanties. Accrochez-vous à vos chaises !

5000 francs par semestre pour le projet de loi 9856 présentés par les députéEs Guy Mettan, Anne-Marie von Arx-Vernon, Véronique Schmied, Béatrice Hirsch Aellen, Luc Barthassat, Jacques Baudit, Guillaume Barazzone, Mario Cavaleri, Michel Forni, François Gillet, Pascal Pétroz et Pierre-Louis Portier.

de 9’500 à 46’000 francs (suivant la faculté choisie) pour les étrangers pour le projet de loi 9818 présenté par les députéEs Pierre Kunz, Pierre Weiss, Jacques Follonier, Frédéric Hohl, Jean-Marc Odier, Olivier Jornot, Françis Walpen, Edouard Cuendet, Eric Bertinat, Philippe Guénat et Henry Rappaz.

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Les fondements moraux de la gratuité des études

Derrière les taxes universitaires se cache un principe farfelu : marchander le Savoir. En effet, demander de l’argent en échange d’une transmission de Savoir s’assimile à un échange marchand. Une brève réflexion sur les propriétés du savoir permet de montrer à quel point il est absurde de vouloir mettre un prix aux connaissances. C’est ce que nous nous proposons d’entreprendre dans ce texte.

Ce que nous appelons le Savoir, ce sont ces formes particulières de connaissances théoriques qui s’établissent dans un rapport d’extériorité [ref]Le Savoir se distingue du savoir-faire qui, lui, est complètement pris dans la pratique.[/ref]. Le Savoir désigne la connaissance de proposition vraie, ou plutôt qualifiée de vérité dans un espace social [ref]Car comme le rappel Bourdieu, s’il y a une vérité, c’est que la vérité est enjeu de lutte.[/ref] En Occident, le Savoir est donc intimement lié à la science, qui, en tant que processus reconnu, permet de formuler des propositions considérées légitimement comme vraies. Il est la forme de connaissance dominante, celle qui procure les profits (économiques et symboliques) les plus importants. A l’opposé, la connaissance pratique, le savoir-faire, est largement dévalué. L’université s’est construite comme le lieu idéal-typique de production et de transmission de Savoirs où les seuls savoir-faire qui sont enseignés et pratiqués (techniques expérimentales, d’enquête, de recherche, d’analyse) ne sont que des moyens pour créer un Savoir nouveau. L’université est donc le lieu de définition des Savoirs dominants et de constitution de vérité légitime. Elle occupe de ce fait une place très importante dans le champ du pouvoir qui l’expose à des tentatives d’ingérence. Pour que la logique du champ scientifique soit celle du discours rationnel, il faut créer les conditions d’autonomisation du champ, c’est-à-dire mettre des barrières suffisamment élevées pour « exclure l’importation d’armes non spécifiques, politique et économique notamment, dans les luttes internes » [ref]Bourdieu Pierre (2003), Méditations pascaliennes, Seuil, Paris, [1997], p.161.[/ref] pour ne conserver que les armes scientifiques dans le processus de création de Savoir. L’université est donc le lieu que notre société s’est donnée pour créer du Savoir en garantissant des conditions de production du travail scientifique. Le but y est d’améliorer notre compréhension du monde au profit de la collectivité. Elle est donc essentiellement collectiviste. Dans cette optique, il est essentiel qu’elle reste financée par la collectivité, afin de ne pas être récupérée par des intérêts privés. L’enseignement et la recherche scientifiques sont donc tiraillés par une nécessité d’autonomisation vis-à-vis des enjeux de pouvoir de la société et un objectif collectiviste au service de la communauté. Ils doivent s’extraire de la société, tout en y restant fondamentalement ancrés.Il découle de ce double mouvement à la fois d’autonomie et de collectivisme [ref]Les camarades de tout bord apprécieront le rapprochement.[/ref] que la production scientifique est un bien commun qui se place idéalement au-dessus des clivages sociaux. Il convient alors de toujours veiller à ce que les conditions du travail scientifique soient garanties (autonomie) et que le Savoir soit collectif (collectivisme), donc public, au profit de tous les membres de la communauté. Autrement dit, puisque les conditions de création du Savoir sont produites par la collectivité, le Savoir lui-même est un bien commun. Le Savoir étant un bien commun, qui peut prétendre vouloir le vendre ? Il appartient déjà à l’ensemble de la collectivité. Il est complètement absurde de vouloir le marchander. D’autant plus que c’est un bien non exclusif[ref]C’est-à-dire que la consommation de ce bien (pour autant que l’on puisse parler de consommation de Savoir), ne prive pas la consommation d’autres agents (contrairement à une pomme, par exemple, qui ne peut être mangée deux fois.)[/ref]. Il faut, au contraire, poser la question de sa diffusion aussi large que possible et des moyens pour le rendre accessible au plus grand nombre.
Non seulement les conditions de création de Savoir sont produites par la collectivité, mais le Savoir lui-même est le fruit d’un processus collectif. D’abord, l’énorme majorité de notre Savoir est constitué de l’héritage universel laissé par les générations précédentes depuis des millénaires. Il existe bien évidemment un intérêt général à ce que cette accumulation de Savoir continue d’être transmise de génération en génération. La propagation de ces connaissances ne doit pas être privatisée et mise au profit d’une seule classe, d’une part parce que la diversité des Savoirs acquis serait mise en danger (par élimination des Savoirs ne représentant aucun intérêt pour cette classe), d’autre part, parce que ces Savoirs ont été élaborés grâce à un long travail socio-historique qui leur confère le statut de propriété universelle. Autrement dit, la valeur des Savoirs ne peut pas se réduire au travail personnel d’accumulation des connaissances. Ne serait-ce que parce que, sans le monde social, ce travail d’accumulation n’aurait pas été possible. C’est pourquoi, les connaissances mêmes incorporées dans un individu ou accumulées dans un livre conservent toute la valeur de ce long travail socio-historique, c’est-à-dire une valeur sociale, commune à l’ensemble de la société et inestimable. L’héritage des Savoirs acquis est donc une valeur commune, mais la production d’un Savoir nouveau est également le fruit d’un travail collectif même s’il se concrétise dans le travail d’une seule personne. En effet, l’individu qui crée un nouveau savoir est lui même le fruit de sa socialisation. Il a été construit par une langue, une culture et par l’interaction permanente avec la collectivité (c’est-à-dire l’ensemble des membres de la société, soit directement, soit indirectement). Il a été construit par la société qui l’entoure. Il a bénéficié également du long travail social d’accumulation des connaissances. Ce sont la construction sociale dont il est le fruit et ces Savoirs hérités qui produisent un Savoir nouveau. La production de Savoir est l’aboutissement d’un travail social qui engage l’ensemble de la société et qui, même s’il se formalise finalement à travers un seul, est donc la propriété de l’ensemble de la collectivité[ref]A l’image d’un sport d’équipe, l’auteur du but (le créateur de Savoir) est un individu précis mais le but est le fruit d’un travail collectif, et a ce titre il appartient à l’équipe (la société) dans son ensemble (ce n’est pas le joueur qui gagne un point ou un but mais toute son équipe.)[/ref].
Le Savoir lui-même est une production sociale, collective. Il est également totalement absurde de prétendre qu’il peut être approprié individuellement. Le Savoir, en tant que production sociale, est un bien social. Là encore, il convient de se demander comment sa répartition peut être élargie au maximum.

Tant les conditions de production des savoirs, que la production du Savoir elle-même sont le résultat d’un investissement et d’un travail collectifs. L’université, comme lieu de création et de transmission du Savoir, est un bien commun. Elle est une propriété collective, un bien public au sens fort. Puisqu’elle est la propriété de tou.te.s, tout le monde doit pouvoir y avoir accès, sans restriction aucune et en particulier d’ordre financière. La gratuité est donc au fondement de l’université. Introduire des taxes, c’est détruire l’université en niant son universalité.